Flatter les enquêteurs sans débourser un centime
Depuis la Loppsi 2 en 2011, les véhicules et autres biens saisis à des mis en cause (surtout des trafiquants et braqueurs présumés) peuvent en théorie être utilisés par les policiers ou gendarmes qui ont mené l’enquête. Une récompense, en quelque sorte, le droit de « se payer sur la bête ».
Destiné à « priver les criminels du produit de leur crime », ce volet de la Loppsi avait d’autres qualités chères aux forces de l’ordre :
aligner leur régime sur celui de la douane, qui pouvait déjà utiliser les biens saisis depuis longtemps. Charles Prats, magistrat et ancien douanier, se souvient ainsi d’avoir récupéré « une Audi A8, l’avion Cessna 310 d’un trafiquant colombien et ma propre voiture de service » ;
flatter les enquêteurs qui ont résolu une affaire ;
leur donner des voitures d’un standing supérieur à ce que l’Etat achète d’habitude ;
le tout sans débourser un centime (en théorie).
C’était habile. En théorie seulement, parce que les procédures sont tellement complexes que ça n’arrive presque jamais. Un cas a pourtant connu une médiatisation fulgurante : celui de la Mercedes de Lorient en juillet 2011.
La presse de l’époque s’enthousiasme pour la nouvelle voiture banalisée des gendarmes, capable d’atteindre « 250 km/h en 14 secondes » :
« D’une valeur catalogue de 66 300 euros (hors options), il a été saisi il y a quelques mois à un chauffard en grand excès de vitesse, et qui roulait sous l’emprise d’un état alcoolique. Equipé d’un deux tons et d’un girophare, il est désormais utilisé pour certaines missions de lutte contre les comportements routiers à risque. »
Les pandores lorientais l’ont gardée un an, puis la Mercedes a été « redistribuée » au groupement de surveillance et d’observation de Rennes, explique le capitaine Barbin à Lorient. Elle sert maintenant aux filatures.
« Trouver une solution au plus vite »
– Depuis 2004, la police nationale peut aussi acheter des véhicules d’occasion pour « accéder plus discrètement à certaines zones sensibles ». Une centaine est achetée chaque année
Source : Rapport parlementaire de Jean-Pierre Blazy
Le député (PS) Jean-Pierre Blazy a rendu en octobre un rapport sur le budget de la sécurité, pour la dernière loi de finances. Dedans, il évoque l’état (préoccupant) du parc automobile. Il regrette que la disposition prévue par la Loppsi ne trouve pas d’application concrète :
« Votre rapporteur pour avis presse l’administration de bien vouloir trouver, au plus vite, une solution juridique afin que ce dispositif législatif soit effectif pour les policiers et gendarmes. »
Jean-Pierre Blazy a doublé son rapport d’une question écrite à Bercy, dans laquelle il demande à connaître « l’échéance à partir de laquelle ce dispositif sera effectif ». Posée en novembre, sa question reste sans réponse à ce jour. Comme celle qu’il a posée au ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, lors de la discussion budgétaire.
« C’est un dossier en cours d’avancement », explique Laurent Ysern, délégué syndical d’Unité SGP Police.
« Pour l’instant, le dispositif n’existe que dans la loi. Très peu de véhicules saisis ont effectivement été récupérés par les services, et en attendant les frais de garde représentent un coût considérable. »
Trois ou quatre ans de parking
On peut trouver plusieurs causes à ce blocage. Concrètement, lorsqu’un suspect est arrêté et sa voiture saisie, les policiers ou gendarmes conduisent le véhicule dans un de leurs parkings et l’immobilisent. Ils peuvent alors demander au magistrat chargé de l’enquête l’autorisation de s’en servir.
Retrouver le propriétaire d’un véhicule
La procédure peut être compliquée par des montages financiers complexes, quand le suspect est passé par des prête-noms pour acheter sa voiture. Il semble aussi que certains trafiquants ou braqueurs utilisent désormais des services de location, pour que la voiture ne soit pas saisie lors de leur arrestation.
Mais au préalable, l’Etat doit s’assurer de l’identité du propriétaire (voir encadré), évaluer la valeur de la voiture et provisionner cette somme sur un compte bloqué.
C’est très important : si le suspect est innocenté par la suite, il faut pouvoir le rembourser du prix de sa voiture. Cette procédure d’évaluation pose de nombreux problèmes à France Domaines, l’organisme qui en est chargé.
« On passe à côté de voitures formidables »
Sans cette étape, pourtant, pas touche à la voiture. Elle se retrouve stockée sous scellés, comme celle du policier malheureux cité plus haut, jusqu’à la condamnation définitive du suspect. Cela peut prendre plusieurs années. Le fonctionnaire se désole :
« Une voiture qui ne tourne pas pendant trois ou quatre ans se prend une claque. On passe à côté de voitures formidables. On en a fait tomber, des méchants ! Mais on ne profite jamais de nos efforts. Au service, nous n’avons jamais bénéficié d’un véhicule par ce biais. »
Les belles berlines, garées sur les parkings des forces de l’ordre un peu partout en France, meurent à petit feu. En 2012, Le Figaro écrivait :
« Près de 2 500 voitures confisquées sont stationnées dans des fourrières et des garages dans l’attente d’être attribuées. »
Certaines finissent par être vendues pour renflouer le budget de l’Etat, sans forcément être affectées à des services de police.
Parfois, ce sont les policiers eux-mêmes qui n’en veulent pas, faute de pouvoir payer les coûts d’entretien très élevés de ces modèles haut de gamme. Le groupement de gendarmerie des Deux-Sèvres, par exemple, a renoncé à une Audi flambant neuve l’an dernie