Une aile de la Maison Blanche détruite pour bâtir une salle de bal: «Trump agit en roi ou en dictateur»
Publié aujourd'hui à 14h03
En démolissant, sans consultation, ce bâtiment historique, le président américain a choqué une partie de l’opinion. Dans la droite ligne d’une gouvernance de plus en plus autoritaire.
En temps normal, les abords de la Maison Blanche sont un joyeux bordel. Il y a les travailleurs tirés à quatre épingles qui côtoient la masse multilingue des touristes. Ceux-là finissent par s’amasser pour prendre un selfie devant les grilles noires de Pennsylvania Avenue. Ils rivalisent de sourires, s’offrent parfois une casquette Maga à prix d’or, au milieu d’un gloubi-boulga dont seule l’Amérique a le secret.
C’est ce sans-abri à la barbe jaunie qui tient trois pancartes, accusant tour à tour Donald Trump de «nazi», d’allié des «extraterrestres» et de «pédophile avéré». Ces trois missionnaires latino-américaines qui vous demandent «si vous connaissez Jésus», et proposent une nouvelle lecture de la Bible. Ou encore ce jeune homme, assis sur une chaise de camping, qui lit dans un haut-parleur une biographie du Président, et propose de vendre quelques livres.
Et puis cette semaine, il y avait cet autre groupe qui se relayait au pied de la statue du général Sherman (1820-1891), à quelques centaines de mètres en face du Département du Trésor, dans une sorte de veillée funèbre. Comme le héros de la guerre de Sécession, de nombreux citoyens américains, et plusieurs caméras des grands médias nationaux, ont observé en direct des engins de chantier et des bras articulés détruire cent vingt-trois ans d’histoire américaine.
Ce jeudi après-midi, il ne reste plus que des ruines de East Wing, l’aile Est de la Maison Blanche, détruite sans préavis par Donald Trump pour construire une immense salle de bal. «

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A la Maison Blanche, l’aile Est a été entièrement détruite pour laisser place à la salle de bal de Donald Trump
D’ici, on ne voit plus qu’un nuage de poussière, mais on entend toujours le vacarme des machines. C’est du ciel que s’observe l’ampleur du désastre – les employés du Département du Trésor se sont vus signifier une interdiction de prendre des photos du chantier. En plus de East Wing, et des pelouses arrachées, toute la colonnade qui reliait cette dernière au bâtiment central a disparu. Et pour beaucoup d’Américains, défenseurs du patrimoine et détracteurs du Président en tête, c’est toute la «Maison du peuple» qui a été souillée.
Indignation immédiate
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Ce n’est pas sa maison. C’est la vôtre. Et il la détruit», s’est indignée Hillary Clinton, candidate démocrate malheureuse face à Donald Trump en 2016. Elle connaît bien cette aile de la Maison Blanche, construite en 1902 sous la présidence de Theodore Roosevelt (1882-1945), puisque c’est là que se trouvaient ses bureaux, lorsqu’elle était première dame.
C’est aussi là qu’ont transité des centaines de milliers de visiteurs américains pour découvrir le temps d’une visite la maison des présidents. Et comme des millions d’autres, ils ont découvert lundi 20 octobre, souvent horrifiés, les premières images de ce bâtiment iconique plier sous les pelleteuses, écrasé dans un amas de briques brisées et des câbles arrachés.
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Je suis très heureux d’annoncer que les travaux ont commencé à la Maison Blanche», s’est félicité Donald Trump le même jour sur son réseau Truth Social. Cela faisait déjà plusieurs mois qu’il évoquait son projet de construire une grande salle de bal. Il avait même promis, en juillet, que le bâtiment ne toucherait pas East Wing. Que nenni.
Les informations égrenées au compte-gouttes cette semaine font état d’une surface de plus de 8 000 m² – soit plus que le bâtiment principal de la Maison Blanche –, qui pourra accueillir jusqu’à 999 personnes – «Je ne voulais pas dépasser les 1 000, je ne voulais pas que les gens s’inquiètent parce que ça devenait énorme.»
Raté. L’indignation a été immédiate, d’autant que le public américain n’a compris que au fur et à mesure de la semaine l’ampleur de la destruction. Et tout s’est fait dans l’opacité la plus totale. Aucune instance officielle, comme c’est la coutume, n’a été consultée. The American Institute of Architects avait pourtant demandé des précisions sur le projet en août.
Mardi, c’est National Trust for Historic Preservation qui a réclamé l’interruption de la démolition et la remise des plans du nouveau bâtiment pour un «examen public». Sauf que rien ne semble légalement obliger l’administration de le faire : la Maison Blanche est exemptée de la loi sur la préservation du patrimoine national.
Conflits d’intérêts
Evidemment, Donald Trump s’est agacé des critiques. Selon lui, pour construire sa salle de bal «correctement», il n’y avait pas d’autres solutions que de raser ce «petit bâtiment» qui n’avait, selon lui, «jamais été perçu comme important». Mais c’est surtout la méthode qui horrifie l’opposition. Il existait quelques soutiens à l’idée d’une nouvelle salle de bal – les grands événements se tenaient jusqu’ici dans une tente installée sur la pelouse faute de place –, mais personne ne s’attendait à un chantier si rapide, et si violent.
«De nombreux événements historiques se sont déroulés dans l’aile Est, et elle a été détruite sans aucune discussion avec l’opinion publique américaine, sans le consentement du Congrès», a réagi le sénateur démocrate Chris Murphy.
Cela dit beaucoup de l’omnipotence ressentie par Donald Trump. Tout au long de la semaine, il a retrouvé sa tenue de magnat de l’immobilier, vantant à qui voulait bien l’entendre son audace de grand bâtisseur. Ainsi que la «douce musique» du chantier qui transpirait sur chacune des réceptions officielles. «Vous entendez ce bruit ? J’adore ce bruit, ça me rappelle l’argent, roucoulait le milliardaire face à des élus républicains cette semaine. Enfin, en l’occurrence, du manque d’argent. Parce que c’est moi qui paye.»
Car oui, l’immense salle de bal ne coûtera «pas un dollar au contribuable américain», a-t-il promis. Tout le financement – dont le chiffre n’a cessé d’augmenter au cours de la semaine, passant de 250, à 300 pour finir à 350 millions de dollars – est privé. Payé de la poche du milliardaire et de ses principaux courtisans pour l’essentiel des oligarques de la Tech.
De quoi approfondir les conflits d’intérêts, selon l’économiste Robert Reich, qui note que la liste comprend «Google, dont le PDG a remercié Trump pour la “résolution” d’une affaire antitrust ; Palantir, qui a des contrats lucratifs avec ICE [la police migratoire, ndlr], ou encore Stephen Schwarzman de Blackstone, qui profite des reculs réglementaires de Trump en matière de capital-investissement».
«Trump agit en roi ou en dictateur»
Autre conflit d’intérêts, et de taille, le président américain a indiqué mardi que le département de la Justice «lui devait probablement beaucoup d’argent». Selon The New York Times, ses avocats avaient réclamé 230 millions de dollars au ministère en compensation de procédures fédérales lancées à son encontre avant son élection pour un second mandat.
Ces mêmes avocats que Donald Trump a nommés à la direction dudit ministère, et qui doivent trancher avec lui sur ce dérangeant dédommagement. «C’est très étrange de prendre une décision où je me rétribue moi-même, a convenu l’intéressé. Si je reçois de l’argent de notre pays, je ferai quelque chose de bien avec, comme le donner à des associations ou à la Maison Blanche.» Au hasard, pour construire une salle de bal ?
«Trump agit en roi ou en dictateur depuis près d’un an, constate amèrement le journaliste Josh Marshall. Il n’y a aucune responsabilité. Pas de limites, pas de sanctions. Les exigences ne cessent donc de s’amplifier.» Du point de vue architectural, le milliardaire ne compte effectivement pas s’arrêter là. Il semble vouloir refaçonner Washington à son image.
Avant la salle de bal, il avait redécoré tout l’intérieur de la Maison Blanche en abusant de dorures, installé un «Wall of Fame», une galerie de portraits de tous les présidents américains, sauf Joe Biden, remplacé par une photo de sa signature. Et voici qu’il prévoit, pour le 250e anniversaire de l’indépendance américaine, un «Arc de Trump», sur le modèle de l’Arc de triomphe parisien.
Une immense construction, présentée il y a dix jours aux fameux investisseurs de la rénovation de la Maison Blanche. Et quand un journaliste lui a demandé à qui il était destiné, l’impétueux milliardaire a simplement répondu : «Moi.»
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Nous ne vivons plus dans une démocratie fonctionnelle, et ces murs effondrés de East Wing en sont un rappel brutal», conclut le sénateur Chris Murphy.
Il semble que le message ne soit pas encore bien passé auprès du véritable propriétaire des lieux :
le peuple américain. Et le locataire de la Maison Blanche en profite pour prendre ses aises.
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