Corvo a écrit : ↑07 mai 2025 07:26
La visite à l’Elysée du président syrien Ahmed al Charaa, un délicat jeu diplomatique pour Emmanuel Macron
Pour sa première sortie hors du Moyen Orient, le président syrien de transition, Ahmed al-Charaa, cherche du soutien face à Israël et pour lever les sanctions économiques américaines.
Il a fallu déployer un exercice d’équilibrisme diplomatique pour qu’Emmanuel Macron reçoive le président syrien Ahmed al-Charaa, ce mercredi 7 mai à Paris :
concilier l’engagement de la France à soutenir la Syrie post-Assad et les nécessaires précautions de sécurité pour accueillir un ex-chef jihadiste, toujours considéré comme un terroriste par l’ONU.
Le nouveau maître de Damas, dont la France accueille la première visite hors du Moyen-Orient, est présenté par l’Elysée comme le «président intérimaire des autorités syriennes de transition». Et, comme lors de ses déplacements ces dernières semaines dans plusieurs pays arabes, il a fallu demander une exemption des Nations unies pour lever son interdiction de voyager et atteindre Paris. «
Ne pas engager le dialogue avec ces autorités de transition, […] ce serait être irresponsable vis-à-vis des Français et surtout ce serait tapis rouge pour Daech», a estimé le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, mardi sur RTL.
Pour définir la politique de la France vis-à-vis de la Syrie en transition, l’Elysée met en avant les mots de «constance» et «exigence». Sa position d’opposition continue au régime de Bachar al-Assad depuis 2011, refusant la tentation de normalisation qui progressait ces dernières années parmi les pays européens, vaut à Paris la confiance des Syriens et de leurs nouvelles autorités. Forte de cet «engagement historique en soutien des Syriennes et Syriens qui aspirent à la paix et à la démocratie», selon l’entourage du chef de l’Etat, la France peut faire valoir ses points de vue au pouvoir islamiste en Syrie.
Violences contre les minorités
Macron redira donc son «soutien à la construction d’une nouvelle Syrie libre, stable, pluraliste, souveraine et respectueuse de toutes les composantes de la société syrienne», selon la formule de l’Elysée. Mais la liste des exigences françaises continue de s’allonger face aux événements dramatiques en Syrie, dont les violences contre les minorités alaouite ou druze. Emmanuel Macron compte demander à son invité «de faire en sorte que la lutte contre l’impunité soit une réalité» et que «les responsables d’exactions contre les civils» soient jugés, a ajouté son entourage. «Notre demande, c’est celle d’une protection de tous les civils, quelle que soit leur origine et quelle que soit leur religion», a assuré la présidence française.
Côté exigences démocratiques, même si tout a été vite fait mal fait, la case «dialogue national» a été cochée à Damas en janvier après une convocation précipitée, qui a réuni pour quelques heures près de 500 Syriennes et Syriens au Palais du peuple, le siège de la présidence. La déclaration constitutionnelle restreinte publiée quelques semaines après comportait des points positifs, notamment sur l’égalité de tous les Syriens ou la liberté d’expression, mais octroyait des pouvoirs très étendus au Président, longtemps chef rebelle du groupe Hayat Tahrir al-Sham, issu de l’ex-branche syrienne d’Al-Qaeda.
Inclusivité et sécurité
L’invitation d’Emmanuel Macron à Charaa date de février : elle avait été conditionnée à la formation d’un gouvernement syrien inclusif et à des garanties sur la sécurité du pays. En mars, un gouvernement syrien a été formé où toutes les communautés étaient représentées, a minima, dont une seule femme qui, étant chrétienne, cochait deux cases d’un coup. La deuxième condition reste un vœu pieux dans un pays où des soubresauts de violences effarants se sont multipliés ces dernières semaines.
Paris se montre confiant sur les engagements pris par les autorités syriennes dans la lutte contre le terrorisme de l’Etat islamique et a soutenu l’accord entre le gouvernement syrien et ce que l’Elysée appelle «nos alliés kurdes» du nord-est syrien. Toutefois, les massacres qui ont visé la communauté alaouite début mars, après une confrontation armée avec des anciens partisans du régime Assad, a créé la stupeur à l’intérieur comme à l’extérieur de la Syrie. De nouvelles exigences internationales ont été formulées, y compris par la France, en particulier la formation d’une commission d’enquête et la poursuite des coupables. Si les autorités syriennes ont répondu à cette exigence, les travaux de la commission avancent lentement et, pour le moment, sans résultat significatif.
Côté Ahmed al-Charaa, les attentes concernent essentiellement l’étranglement économique de la Syrie, qui cherche à contourner les sanctions américaines maintenues par l’administration Trump.
Mais côté diplomatique, le président syrien ne peut pas s’attendre à des déclarations définitives de la France, sinon une forme de pression sur Israël qui poursuit ses raids quotidiens en Syrie et s’érige en protecteur de la communauté druze.
Face aux déclarations de responsables israéliens affirmant clairement leur vœu de partition de la Syrie, la France ne saura que réitérer son soutien à «l’intégrité et la souveraineté du pays».
Même sous la direction d’un ex-jihadiste qui n’aurait jamais rêvé d’être reçu à Paris.
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