«Je vous fais la promesse que nous, on en fera une grande publicité», lance Jordan Florentin, journaliste du média identitaire Frontières sur le plateau de CNews. Ce vendredi 3 octobre, deux jours après la sortie de Sacré Cœur, Florentin prend la défense de ce film chrétien après le refus de la RATP et de la SNCF de réaliser une campagne d’affichage pour le promouvoir pour son caractère «confessionnel et prosélyte», selon le Figaro. Il faut défendre ce projet «magnifique» qui fait carton plein dans les salles, pour lutter contre la «halalisation» de la société, enchaîne le journaliste. CheckNews retrace comment la sphère Bolloré, entre autres, a transformé ce docu-fiction spirituel en objet politique, se félicitant des scores du long-métrage au box-office.
Sacré Cœur, son règne n’a pas de fin est un film finalement assez simple, à petit budget, qui se donne pour vocation de transmettre «un message d’amour pour le monde», explique la coréalisatrice Sabrina Gunnell. Pendant 1 h 30, le long-métrage met en scène les récits d’apparitions du Christ et des témoignages de croyants. La France y est décrite comme «une société qui cherche des repères, de l’identité. S’il y a bien une chose qui est durable et qui résiste, c’est cet amour du Christ pour le monde.»
Reconstitutions des apparitions du Christ
Parmi les interviewés, on notera la présence de l’abbé Matthieu Raffray, proche des milieux catholiques identitaires, dont le mouvement Academia Christiana au sein duquel il célèbre la messe. D’un autre côté, le film ne fait pas d’impasse sur «la révélation des abus, des crimes sexuels, commis par des prêtres envers des enfants mais aussi des adultes, et plus largement tous les abus de pouvoir».
Sacré Cœur marche péniblement sur deux jambes. D’un côté, des reconstitutions «historiques» des apparitions du Christ, notamment à la sœur Marguerite-Marie, au XVIIe siècle, s’appuyant sur des témoignages et analyses de religieux. De l’autre, des témoignages contemporains de croyants aux parcours de vie parfois écorchés, et qui ont trouvé dans la foi un nouveau sens à leur quotidien. Plusieurs de ces figures sont déjà connues des milieux catholiques. Comme «Vinz le Mariachi», jeune Versaillais membre de groupes de musique chrétienne, qui a raconté son parcours spirituel dans un livre. Mais aussi Rodrigue Tandu, qui a grandi à Bondy, et présenté comme «ex-dealer devenu catho des cités» par le Figaro l’année dernière. Ou encore Louis Bouffard, étudiant en droit atteint de myopathie de Duchenne, une maladie génétique, investi dans les débats sur la loi sur le droit à mourir, intervenant dans des médias, dont CNews.
Ces témoignages entrent en résonance avec le parcours de Steven Gunnell, qui a réalisé ce film avec sa femme, Sabrina. Ancien membre du boys band français Alliage, au succès foudroyant à la fin des années 1990, Steven Gunnell a ensuite vécu une traversée du désert, tombant dans l’alcoolisme, la dépression et le surendettement. Jusqu’à sa rencontre avec la foi catholique, qu’il cultive depuis les années 2000, et en réalisant désormais avec sa femme Sabrina des documentaires liés à la spiritualité – c’est ici leur neuvième.
350 000 euros de Canal +
Tourné dans les alentours d’Avignon, Sacré Cœur a coûté «un peu moins d’un million d’euros», explique Sabrina Gunnell. Exceptées les quelques scènes de reconstitutions, le dispositif, léger, est surtout composé d’interviews face caméra. Aucune subvention publique, puisque le film a été surtout financé «par des petits dons» via une campagne participative, selon la réalisatrice. Elle raconte que les équipes de Canal +, rencontrées au cours du tournage, ont tout de même allongé le budget de 350 000 euros. Le générique du film égrène les soutiens et partenaires du film, à commencer par Vincent Bolloré, cité nommément. Puis viennent les logos des médias de son groupe (Canal +, Ciné + OCS, C8, CNews, Europe 1, le JDD), en plus de médias et organisations catholiques (la chaîne KTO, l’hebdomadaire France catholique, la communauté de l’Emmanuel, Anuncio).
Car la portée politique se trouve peut-être davantage autour du film. En plus de l’avoir financé, les médias du groupe Bolloré ont aussi largement participé à sa promotion. Le 28 septembre, le site de CNews publie un article à propos de ce «long-métrage passionnant». Le lendemain, Pascal Praud reçoit Steven Gunnell sur Europe 1 pour donner un «petit coup de main» au film. Le 2 octobre, le lendemain de la sortie en salles, Gunnell est de retour à l’antenne, au micro de Christine Kelly cette fois, avant de se retrouver sur le plateau de CNews le jour suivant. Dans l’édition du 5 octobre du Journal du dimanche, la page 33 affichait aussi une publicité pour le film. Cette promotion déborde aussi dans des médias liés à l’extrême droite, comme Frontières, Valeurs actuelles ou le site Breizh info.
La France, «pays qui refuse cet amour infini de Dieu»
Chacune de ces interviews est l’occasion de rappeler le refus de la régie MediaTransports de mener une campagne d’affichage promotionnelle dans les transports de la RATP et les gares SNCF. Il n’en faudra pas plus pour que soit dénoncée une censure, et pour que CNews décrive la France comme «le pays de l’anti-Sacré Coeur, qui refuse cet amour infini de Dieu». Des élus rejoignent alors cette ligne, dénonçant une «christianophobie ambiante», et comparant cet épisode aux «persécutions des chrétiens», comme l’a fait Laurence Torchu, eurodéputée du mouvement de Marion Maréchal, Identité-Libertés, au micro de Radio Courtoisie. Ce film, lui, est justement «l’occasion pour la France de renouer avec son histoire, sa tradition, sa spiritualité», explique le présentateur de CNews, le 5 octobre.
Près de deux semaines après la sortie du film, les mêmes médias qui en avaient fait la promotion se félicitent du «carton plein» réalisé en salles. Un peu plus de 47 000 entrées la première semaine selon Allociné, et les 100 000 places dépassées le 13 octobre d’après l’équipe du film. Des chiffres qui ne sont un succès que relativement au budget réduit de la production. A titre de comparaison, Sirat avait cumulé 188 700 entrées dès sa première semaine, d’après Allociné.
Auprès de CheckNews, Sabrina Gunnell ne voit aucune ambition politique dans son film, dont le couple continue d’assurer la promotion en parcourant la France. «En cette période de la Toussaint, où il y a beaucoup de films violents, on voulait aussi mettre plus de pluralité, transmettre un message d’espérance», dit-elle. Et concernant l’orientation politique des médias où le couple intervient, elle affirme «ne refuser aucune interview». «On répond là où on nous demande. On partait de zéro, donc quel que soit le média, on voit le côté positif, cela permet de nous faire connaître. Il n’y a pas de mauvaise publicité.»
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