Quels sont les liens de Marine Le Pen avec la Russie de Vladimir Poutine ?
Déclarations, voyages, soutiens, financements… Marine Le Pen et le Rassemblement national entretiennent des liens étroits avec le régime russe, qu’ils tentent de minimiser depuis l’invasion de l’Ukraine.
A la veille de l’élection présidentielle de 2017, Marine Le Pen s’était rendue à Moscou pour serrer la main de Vladimir Poutine, dans une scène aux allures d’adoubement politique. Cinq ans plus tard, la candidate du Rassemblement national (RN) a singulièrement changé de ton à l’égard du maître du Kremlin, qui a entre-temps envahi l’Ukraine :
«
Je n’ai pas de lien d’amitié avec Vladimir Poutine, que j’ai rencontré une fois dans ma vie, je n’ai même pas de liens financiers avec lui. »
Une tentative d’occulter une décennie de proximité politique, idéologique et financière entre Marine Le Pen et Vladimir Poutine.
De multiples déclarations de soutien ou d’admiration
Depuis son accession en janvier 2011 à la présidence du Front national (FN) – renommé Rassemblement national en 2018 –, Marine Le Pen a clamé à de multiples reprises son admiration pour Vladimir Poutine et son soutien à sa politique, en dépit des multiples violations des droits humains et du droit international de la part du régime russe. Elle n’a commencé à véritablement infléchir sa position qu’après l’invasion de l’Ukraine, en février 2022.
13 octobre 2011
« Je ne cache pas que, dans une certaine mesure, j'admire Vladimir Poutine. (...) Nous devons développer des relations avec Moscou, nous partageons de nombreux intérêts communs, tant sur le plan civilisationnel que stratégique »
(interview au journal russe Kommersant)
Mars 2014
La Russie annexe la Crimée, après l'intervention militaire de séparatistes prorusses et un référendum contesté avalisant le rattachement de la péninsule à la fédération russe.
30 septembre 2015
Vladimir Poutine intervient en Syrie. Si Moscou assure viser des membres du groupe Etat islamique, les Occidentaux soupçonnent l'armée russe de cibler surtout les opposants à Bachar Al-Assad. Le même jour, la France ouvre une enquête pour « crime contre l'humanité » visant les actes de torture commis par le régime Assad.
1er octobre 2015
« Ces doutes exprimés sur les frappes russes, de la même manière que l'enquête lancée en France, participent de la décrédibilisation de l'action menée par Vladimir Poutine. La France aurait dû faire ce que la Russie est en train de faire. »
(interview sur Europe 1)
3 janvier 2017
« Je ne crois absolument pas qu'il y a eu une annexion illégale de la Crimée : il y a eu un référendum, les habitants souhaitaient rejoindre la Russie »
(interview sur BFMTV)
24 mars 2017
Vladimir Poutine reçoit pour la première fois Marine Le Pen au Kremlin.
2 février 2021
L'opposant russe Alexeï Navalny est condamné à trois ans et demi de prison : la justice lui reproche d'avoir violé son contrôle judiciaire, alors qu'il est parti se soigner en Allemagne après son empoisonnement au Novitchok par une équipe d'agents secrets russes.
5 février 2021
« On va avoir du mal à demander à la justice d'un pays étranger d'opérer la relaxe de quelqu'un [Alexeï Navalny]. En revanche, je demande à la Russie d'être attentive aux droits de la défense de M. Navalny, qui a été jugé pour avoir été à l'encontre de son contrôle judiciaire (...) Donc tout ça n'a pas grand chose à voir avec la politique. »
(interview sur BFMTV/RMC)
8 février 2022
« Je ne crois pas du tout que la Russie ait le souhait d'envahir l'Ukraine. »
(interview sur BBC News)
21 février 2022
Vladimir Poutine reconnaît l'indépendance des républiques séparatistes pro-russes du Donbass.
21 février 2022
« La décision de Vladimir Poutine est un acte éminemment regrettable qui ne participe pas à la nécessaire désescalade des tensions que j’appelle de mes vœux (...) Néanmoins, tout doit être fait pour retrouver la voie du dialogue afin d’assurer la paix en Europe. »
(communiqué)
24 février 2022
L'armée russe envahit l'Ukraine.
25 février 2022
« Tout le monde a une forme d'admiration pour Vladimir Poutine. Mais je considère que ce qu'il a fait est éminemment condamnable, ça change en partie la vision que je peux avoir de lui. »
(interview sur BFMTV)
22 mars 2022
« Je n'ai pas de lien d'amitié avec Vladimir Poutine que j'ai rencontré une fois dans ma vie, je n'ai même pas de liens financiers avec lui. »
(interview sur BFMTV)
Des voyages à Moscou et une réception officielle
La présidente du RN s’est rendue au moins à quatre reprises en Russie depuis 2013, en recevant à chaque fois les honneurs du régime.
Juin 2013 : reçue à la Douma dès son premier voyage attesté en Russie
Un an après sa première candidature à l’élection présidentielle, Marine Le Pen fait un voyage de dix jours en Crimée (encore ukrainienne à l’époque) et en Russie. A Moscou, avec Louis Aliot (alors vice-président du FN), elle est reçue par deux figures importantes de la Douma, la chambre basse du Parlement russe : son président, Sergueï Narychkine, un ancien du KGB/FSB, et le président du comité des affaires internationales, Alexeï Pouchkov. Durant cette visite, elle dénonce « une sorte de guerre froide contre la Russie menée par l’Union européenne [UE] ». « La Russie est présentée sous des traits diabolisés (…). Je me sens plus en phase avec ce modèle de patriotisme économique qu’avec celui de l’UE », insiste-t-elle devant les caméras.
Avril 2014 : deuxième visite en Russie, elle est reçue à nouveau à la Douma
Quelques semaines après l’annexion illégale de la Crimée par la Russie et moins d’un an après sa dernière visite à Moscou, Marine Le Pen est de nouveau reçue à bras ouverts par Sergueï Narychkine. Ce proche de Poutine, propulsé au sommet du pouvoir grâce à ses liens étroits avec le président russe, est lui-même visé par les sanctions de l’UE et des Etats-Unis depuis l’annexion de la péninsule ukrainienne. L’occasion pour la présidente du RN de lui apporter son soutien et de lui rappeler son opposition à de telles mesures :
« J’ai dit dès le début que les sanctions et même les menaces de sanctions (…) étaient tout à fait contre-productives. Je le maintiens. »
Mai 2015 : troisième voyage à Moscou, toujours accueillie à la Douma
Marine Le Pen devant la Douma, à Moscou, avant une rencontre avec Sergueï Narychkine, le 26 mai 2015. KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP
Pour la troisième année consécutive, Marine Le Pen est reçue par Sergueï Narychkine à la Douma. Ce dernier complimente longuement la députée européenne d’extrême droite, qualifiant le FN de formation politique « stable et persistante ». « Grâce à votre influence personnelle, les définitions nouvelles de votre parti correspondent au temps et à l’esprit de la France moderne », ajoute ce proche de Vladimir Poutine.
« Ce traitement, Moscou ne l’accorde pas à tout le monde, rappelait la correspondante du Monde à l’époque. Deux jours auparavant, Karl-Georg Wellmann, député de la CDU, le parti conservateur d’Angela Merkel, s’était vu refouler du territoire à son arrivée le 24 mai à l’aéroport de Moscou en raison de ses liens avec l’Ukraine, dont il préside le groupe d’amitié au Bundestag. »
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4 mars 2017 : une première réception officielle par Vladimir Poutine
Marine Le Pen reçue par Vladimir Poutine au Kremlin, le 24 mars 2017. MIKHAIL KLIMENTYEV / AFP
Moins de quatre semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle de 2017, la candidate du RN se rend pour la quatrième fois en cinq ans à Moscou, où les portes du Kremlin lui sont désormais ouvertes.
Vladimir Poutine, pour qui elle n’a jamais caché son admiration, la reçoit pendant une heure et demie. Devant les photographes, ils échangent une poignée de main chaleureuse et s’assoient autour d’une même table. « Je sais que vous représentez un spectre politique en Europe qui croît rapidement », lui glisse le président russe.
« Nous ne voulons en aucune façon influencer les événements en cours », lance Vladimir Poutine, anticipant les accusations d’ingérence dans la campagne présidentielle. Selon l’équipe de Marine Le Pen, la réunion était avant tout destinée à mettre en avant les convergences de vue, notamment sur la lutte contre le terrorisme et la crise migratoire qui touchait alors l’Europe. Se disant « entièrement d’accord » avec la candidate française sur ces questions, il assure que « c’est seulement en combinant nos efforts que nous pourrons effectivement faire face à la menace terroriste ».
Lors de ce voyage, Marine Le Pen fait également un crochet à la Douma, où elle est reçue par son nouveau président, Viatcheslav Volodine, lui aussi proche du président russe. Elle y salue l’intervention des forces russes en Syrie et réitère son « point de vue sur l’Ukraine qui coïncide avec celui de la Russie », réaffirmant sa volonté de faire lever les sanctions internationales qui pèsent sur des personnalités russes.
Des votes systématiquement favorables à la Russie
Le soutien du RN et de Marine Le Pen à Vladimir Poutine va au-delà des mots. Par l’intermédiaire de ses députés européens, le parti d’extrême droite a presque systématiquement défendu le régime russe en votant contre les résolutions du Parlement européen qui condamnaient les actions belliqueuses ou les violations du droit international commises par le maître du Kremlin.
L
es élus RN n’ont commencé à infléchir leur position qu’après l’invasion de l’Ukraine, en consentant à approuver, le 1er mars 2022, l’un des paquets de sanctions décidés par l’UE.
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/ar ... 55770.html