Pendant les fêtes, j’ai passé quelques jours à Farm-Land, un espace rural massivement multijoueur du sud de la France, où l’utilisation des réseaux sociaux est une pratique ancestrale et bien rodée.
En arrivant au village, rien de plus simple pour s’enquérir des dernières nouvelles que de se brancher directement au réseau le plus populaire du coin, Rumeurs, le comptoir du bar des Platanes.
C’est le réseau le plus mature, car il a su adopter le premier un business model pour monétiser les discussions entre villageois: le verre au comptoir coûte 2,10 euros par personne pour poursuivre la discussion générale. En nombre d’abonnés, c’est de loin le premier réseau de la Vallée.
Sans surprise le climat est au centre des discussions des Campagnautes. Depuis trois jours, le risque de neige pour le week-end est au cœur du buzz, avec plusieurs mentions sur d’autres réseaux secondaires comme Chez des gens et Dans la rue.
Un clash IRL au centre des rumeurs du jour
Le soir, retour au bar pour l’apéro. Au comptoir, on apprend que Le Paul, dit «Le Ratou» dans le village, a croisé le maire et qu’il s’est fâché avec lui à cause d’une demande de permis de construire qui s’éternise depuis des mois. Le Ratou s’est emporté contre le maire, qu’il a live-clashé devant deux témoins qui passaient par là.
Christian le troll, le facteur qui a un avis sur tout, n’a pas tardé à donner son point de vue à propos de l’altercation sur Place du Village, le réseau concurrent de Rumeurs. Pour lui, l’affaire est avant tout politique: Le Ratou, qui n’a jamais supporté que sa sœur ait une aventure avec le maire, a des ambitions municipales pour 2014 et prépare une liste concurrente de l’équipe sortante.
Le post du Christian, villageois influent dans la Vallée, a été rapidement relayé sur Rumeurs par quelques villageois qui participent activement aux deux réseaux, démultipliant la viralité de l’information.
En rentrant ivre mort chez lui dans le village voisin, le Pierre a pris le temps de relayer l’anecdote à trois potes croisés sur le chemin; eux-mêmes l’ont chacun relayée à une dizaine de personnes rencontrées le soir même ou le lendemain matin dans la Vallée.
Résultat, après une nuit agitée sur les réseaux, les discussions portant la mention #LeRatou sont en tête des trends. Les haters se sont déchaînés, en particulier dans les réunions privées, comme sur les groupes Amicale des chasseurs, Association historique du village et Entente sportive du canton.
Sur Clochemerle, le réseau en perte de vitesse des grenouilles de bénitier qui se réunit tous les dimanche matin, l’anecdote aussi remporte un vif succès, au point que le modérateur du réseau, le curé Bertrand, est obligé de publier un post de réconciliation à ses ouailles.
Voilà… La contrainte de la vie dans le village pas encore global, c’est qu’on y est sans cesse détourné de son activité principale (par exemple parcourir cent mètres pour aller à la boulangerie) par le flux incessant des discussions de rue, déclenchées au hasard des rencontres avec les habitants.
On peut ainsi mettre une demi-heure pour remplir cette modeste tâche, distrait par un café chez des voisins, une discussion qui s’éternise sur la Place du village, sans oublier le boulanger lui-même, qui gère son personal branding en échangeant quelques banalités avec chaque personne qui pénètre dans sa boutique…
Bref, à l’ère de la communication en temps réel, l’homme est à la merci des réseaux de proximité, et il voit sa productivité s’effondrer à cause de son goût immémorial pour la pratique des potins et de la langue de pute… De sorte que nombre de villageois souffrent du syndrome de l’attention deficit desorder: accros aux dernières news, ils ont besoin de renouveler les rumeurs tous les jours.
Et que dire des jeunes, occupés à tourner sans fin en scooter dans le village, quand ils ne s'amusent pas à faire des LOLcats —un jeu très prisé localement qui consiste à exploser des chats errants à coups de carabine à plomb.
Mais ça ne s’arrête pas là. Impossible de faire quoi que ce soit incognito quand on habite à la campagne. La veille, la femme du Pierre a déboulé comme une furie dans le bar: elle cherchait son mari qui lui avait promis de l’aider à faire les courses.
Il faut dire qu’en garant son camion d’ERDF devant le bar, Pierre se checke-in lui-même sans le vouloir, de sorte que toute la Vallée sait où il se trouve à tout moment. Au village, tout le monde vous surveille.
Jean-Laurent Cassely
Le Village : le réseau social à la française
- sacamalix
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Il n'y absolument aucun mérite à exciter les gens. Le vrai héros c'est celui qui apaise.
La laïcité n'est pas une conviction mais le principe qui les autorise toutes, sous réserve du respect de l'ordre public.
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