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En février 2001, plus de neuf cents réfugiés kurdes, arrivés sur la côte varoise ont brutalement crevé l'écran des télévisions françaises. L'administration a réagi avec une célérité et une bienveillance inhabituelles. Les migrants, quant à eux, ont su jouer avec les stéréotypes en vigueur pour obtenir le meilleur statut possible.
Acte I. Le naufrage de l’East Sea.
Le 17 février 2001, la nuit. Une nuit froide. Une nuit d’hiver. Un vieux vraquier rouillé, battant pavillon cambodgien, glisse sur une mer d’huile, au large des côtes du Var, au sud de la France. Quelques heures avant l’aube, il s’échoue entre les cailloux de la plage de Boulouris, près de Saint-Raphaël. Dans les cales de l’East Sea, plus de 900 réfugiés kurdes, dont la moitié d’enfants, sont pressés les uns contre les autres. Ils ont voyagé huit jours entiers, couchés ou debout, pataugeant dans un cloaque nauséabond. La nourriture et quelques bouteilles d’eau leur étaient jetées depuis le pont par des hommes en cagoule. Quand ils osaient se plaindre des conditions d’hygiène, les marins les menaçaient, en kurde ou en turc, de les jeter à la mer. Trois bébés sont nés au cours de la traversée, dans l’obscurité et la puanteur de la cale.
Deux heures avant l’échouage, une voix a réveillé les réfugiés : «Préparez-vous, on est presque arrivé». Plus tard, les 908 boat people ont entendu qu’on déverrouillait les portails de la cale, puis plus rien, jusqu’au bruit sourd de la coque raclant les rochers. L’équipage avait pris la fuite, abandonnant l’épave, les hélices en marche.
Vers 3 heures 30, une poignée de réfugiés se décident à quitter le bateau. Ils partent en éclaireurs. Sur la terre ferme, ces hommes affaiblis, en haillons, sonnent à la porte de la première maison qu’ils rencontrent sur la route de la plage : «On est dans un bateau, parviennent-ils à balbutier en anglais. Réfugiés. Appelez l’onu et la Croix-Rouge. Pas la police». L’alerte est donnée.