Bardella passé entre les gouttes de la justice candidat du RN en 2027 ?...
Affaire des assistants du RN : ce que contient l’ordonnance des juges renvoyant Le Pen devant le tribunal
«Libé» révèle les raisons qui ont poussé les magistrats à décider d’un procès pour l’ex-présidente du RN et 26 autres personnes, à l’automne prochain. Leurs observations sont accablantes pour Marine Le Pen.
L’ordonnance rendue le 8 décembre par les juges en charge du dossier des assistants parlementaires fictifs du Front national (devenu Rassemblement national), est accablante pour le RN et les 27 personnes renvoyées devant le tribunal correctionnel de Paris à l’automne. Elle l’est particulièrement pour les deux anciens présidents du parti d’extrême droite, Jean-Marie Le Pen et surtout sa fille, Marine Le Pen.
Ils sont accusés d’être les principaux commanditaires, en «donnant des instructions», du système organisé à l’époque pour faire tourner leur boutique. En faisant payer par le Parlement européen les salaires de pseudo-assistants d’eurodéputés qui, au lieu de remplir leurs obligations contractuelles vis-à-vis de l’institution, travaillaient en réalité pour le Front national.
Les faits s’étalent sur des années, et trois mandatures européennes : la 6e, courant de 2004 à 2009, la 7e, de 2009 à 2014, pour s’arrêter en 2016 au milieu de la 8e (de 2014 à 2019), celle où la plus grande partie de l’argent public a été détournée. Le fonctionnement frauduleux s’est arrêté après le début de l’enquête, confiée par le parquet en mars 2015 à l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, l’OCLCIFF.
Un système élaboré pour alléger des finances en berne ?
Dans leur ordonnance de 155 pages,
les magistrats valident les arguments déjà exposés par le parquet, dans son réquisitoire de fin septembre : dans les premières années, dans une espèce de période de rodage, quand le FN est dirigé par Jean-Marie Le Pen et dispose encore de peu de députés à l’Europe, le parti s’applique à surtout détourner les enveloppes dédiées à l’emploi d’assistants parlementaires pour payer les salaires du personnel travaillant au service de Jean-Marie Le Pen : son assistante, son garde du corps, son directeur de cabinet…
A partir du moment où Marine Le Pen devient présidente du mouvement, le système change de dimension. Après les élections européennes de 2014, et l’arrivée à Bruxelles de 23 députés frontistes, il se développe à une échelle industrielle. «
L’organisation devient de plus en plus structurée, pour franchir un nouveau cap lors de la 8e mandature, avec la consolidation d’un système de gestion des assistants entièrement dédié à la prise en charge sur les fonds parlementaires de personnels du FN», écrivait le parquet. «
Marine Le Pen a pris un intérêt croissant dans la gestion des enveloppes des assistants parlementaires», reprend l’ordonnance des juges. «
Son ingérence se manifestait au-delà d’un simple contrôle. Divers courriels et SMS montrent qu’elle avait un réel rôle d’impulsion et de décision sur le principe des recrutements», peut-on encore lire. «
Elle remplissait alors un mandat de députée, et apparaît comme l’une des principales responsables du système ainsi mis en place, alors qu’elle avait été avisée par ses échanges avec le trésorier du parti, dès 2013, de la nécessité de soulager les finances du FN.»
Les juges soupçonnent en effet que ce système avait été élaboré pour alléger les finances en berne du parti d’extrême droite, à la gestion catastrophique. «
L’étude des comptes permet de constater que le FN présente à cette époque [une dette] de 9,1 millions d’euros», notent-ils,
alors que le préjudice pour le Parlement européen dans cette affaire est évalué à 6,8 millions d’euros.
Dans une lettre datée du 16 juin 2014, le trésorier du FN de l’époque, Wallerand de Saint-Just, signifie justement à Marine Le Pen que «dans les années à venir, et dans tous les cas de figure, nous ne nous en sortirons que si nous faisons des économies importantes grâce au Parlement européen».
Comme l’a révélé Libération, lors d’une audition devant les juges, le 17 avril 2019, Marine Le Pen assumera d’ailleurs que son trésorier de l’époque, aujourd’hui poursuivi pour «complicité de détournement de fonds publics» pour avoir «préconisé» ce système, «baisse la masse salariale» du mouvement qu’elle dirige grâce aux députés venus «chercher dans son vivier des gens qui deviendraient leurs assistants parlementaires».
Une machine bien huilée
Plusieurs anciens députés européens ont aussi raconté à la justice qu’après les européennes de 2014, Marine Le Pen leur a imposé très vite qu’ils mettent à sa disposition une partie de leur enveloppe budgétaire, soit à l’époque 21 000 euros mensuels, pour la rémunération de collaborateurs qui allaient travailler en fait pour le FN, tout en évitant de grever son budget. Dans un livre paru en 2019, Bal tragique au Front national (éditions du Rocher), que Marine Le Pen qualifie d‘«épouvantable tas de boue», une ancienne députée européenne frontiste, Sophie Montel, raconte que, le 4 juin 2014, au cours d’une réunion organisée à Bruxelles juste après les élections, Marine Le Pen a indiqué aux élus qu’ils avaient «le choix de recruter par [eux-mêmes] un assistant», mais que «le reste de [leur] enveloppe d’assistance parlementaire serait mis à la disposition du mouvement». «
Charles viendra vers vous pour la paperasse administrative»,
aurait-elle alors ajouté, selon ce témoignage réitéré par Sophie Montel devant les juges.
Le «Charles» en question est un certain Charles Van Houtte, comptable belge, 57 ans aujourd’hui, l’ancien administrateur du groupe de députés FN à l’Assemblée. «Il apparaît dès 2009 au cœur du système mis en place, estiment les juges. Marine Le Pen lui a confié une mission de supervision afin d’assurer la gestion centralisée et coordonner les contrats d’assistants parlementaires». Il deviendra par la suite «la cheville ouvrière du système de détournements mis en œuvre».
A ce titre, l’homme est poursuivi pour «complicité de détournement de fonds publics», pour avoir «mis en place et centralisé la gestion des enveloppes de frais». Il dispose en effet à l’époque d’une procuration de la quasi-totalité des députés (d’abord 22, puis, 19) et, grâce aux informations des services financiers du Parlement, répartit les embauches des assistants parlementaires en fonction des montants restant disponibles sur les enveloppes des députés.
Lors de son audition devant les juges du 5 septembre 2018, Charles Van Houtte admettra son rôle central dans ce système. Mais tout en niant, malgré de nombreuses preuves affligeantes, avoir eu connaissance de son caractère frauduleux : «
Dans cette histoire, je comprends qu’il y a eu un système d’emplois fictifs mis en place au préjudice du Parlement européen et qui a bénéficié au Front National. Mais, au moment des faits, je n’en avais pas conscience, raconte-t-il. J’ai mis en place un outil de gestion efficace qui a été utilisé à mauvais escient».
Le système ne serait pas complet sans un autre acteur majeur chargé de le mettre en exécution. Il s’agit du «tiers payant». Au parti lepéniste, c’est le même pour tout le monde. Il s’agit d’un certain Christophe Moreau sur la période 2004-2011, puis de Nicolas Crochet, à partir de 2011.
Un proche de longue date de Marine Le Pen, recruté dès qu’elle a repris la direction du RN. Sortes d’intermédiaire RH entre le Parlement et le parti, contractuellement lié aux députés, mais toujours en lien avec le trésorier du FN, le tiers payant est chargé de rédiger les contrats de travail et les bulletins de paie des assistants, de demander leur prise en charge financière auprès du Parlement, puis de régler leurs salaires une fois avoir reçu les sommes.
A ce titre, en tant que rouage essentiel du détournement de fonds publics, Moreau et Crochet sont poursuivis pour avoir permis successivement «que soient affectées et rémunérées sur les enveloppes, des personnes travaillant en réalité pour le FN».
Dans cette machine bien huilée, les assistants enchaînent ainsi les contrats, souvent en CDD, parfois avec des députés différents à mesure qu’une partie de leur enveloppe est disponible. «
Nombre de ces assistants s’avèrent n’avoir aucun lien ou des fonctions particulièrement ténues avec le député auquel ils étaient censés être rattachés», estiment les juges. Parfois, les contrats se chevauchent. Et, quand ça n’est pas le cas, le parti profite des périodes électorales pour faire travailler les mêmes personnes sur les campagnes (législatives, régionales), dans de purs emplois de complaisance. Cela lui permet ainsi de se faire rembourser leurs salaires par l’Etat français, dans le cadre des remboursements de frais de campagne.
Au FN, tout est prétexte à pomper l’argent public.
«Ce que Marine nous demande équivaut qu’on signe pour des emplois fictifs»
Dans leur ordonnance, les juges notent les nombreux courriels contenus dans le dossier d’enquête qui attestent de cette distribution. Ils en reproduisent quelques-uns,
signés par exemple par Charles Van Houtte : «il convient de mettre Louis Aliot sur Jean-Marie et pas sur Marine. En pièce jointe, le nouveau tableau des trésoreries». «
Passer Yann Maréchal [la sœur de Marine Le Pen et mère de Marion Maréchal, poursuivie également, ndlr] sur les comptes de campagne». «
Transférer [Guillaume] Lhuillier sur [Bruno Gollnisch]». «
Demande de prise en charge de Thierry Légier sur Marine Le Pen à mi-temps»…
Ainsi, treize assistants parlementaires d’alors sont poursuivis pour «recel de détournements de fonds publics», pour avoir perçu «des salaires versés en rémunération d’un emploi d’assistant parlementaire» qu’ils n’occupaient en réalité pas. Les peines encourues dans ce dossier sont importantes : dix ans d’emprisonnement, et une amende pouvant aller jusqu’à 1 million d’euros, assorties d’une peine complémentaire d’inéligibilité de cinq ans.
En défense, Marine Le Pen et ses proches prétendent que, s’ils ne travaillaient pas vraiment pour leurs eurodéputés, les assistants visés n’auraient pourtant pas occupé d’emplois fictifs puisque, sur leur temps de travail, ils faisaient quand même quelque chose : «de la politique» pour le FN. Participant donc à une espèce de cause générale qui, au bout du compte, devait bien servir leur élu de rattachement.
Lors de son audition du 9 juillet 2020, les juges font lire à Wallerand de Saint-Just, un mail que lui a envoyé en 2014 un député européen RN, aujourd’hui en rupture avec le parti, Jean-Luc Schaffhauser.
Dans celui-ci, l’homme rappelle au trésorier le règlement du Parlement européen «seuls peuvent être pris en charge les frais correspondants à l’assistance nécessaire et directement liée à l’exercice du mandat parlementaire des députés», et ajoute en commentaire : «
Ce que Marine nous demande équivaut qu’on signe pour des emplois fictifs… et c’est le député qui est responsable pénalement sur ses deniers même si le parti qui en est le bénéficiaire.» Ce à quoi le trésorier répond : «
Je crois que Marine sait tout cela.»
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