L'addiction sexuelle toucherait, selon les spécialistes, 5% de la population. Comment se manifeste cette dépendance? Comment la gérer lorsqu'elle concerne son conjoint?
"J'ai 38 ans et je suis marié depuis 17 ans. J'ai deux enfants de 13 et 14 ans. Et je suis sex-addict. Je n'en suis concient que depuis l'âge de 34 ans, après que peu à peu, cette addiction ait remplacé tous les rapports humains normaux que je pouvais avoir. Pour faire simple, les amis sont remplacés par les plans cul. Après dix années passées à tout lui cacher, j'ai fini par avouer à ma femme qui j'étais. Nous suivons une thérapie, mais pour l'instant, la dépendance est la plus forte. Combien de temps ma femme va-t-elle rester?"
Ce témoignage, F. l'a laissé sur l'un des forums dédiés à la dépendance sexuelle. Loin d'être isolé, il reflète assez bien le ton général des messages, tous empreints de honte et d'inquiétude: comment espérer que son ou sa conjoint(e) accepte à long terme de rester, lorsque l'on ne maîtrise pas ses pulsions sexuelles? De même, comment, lorsque l'on vit avec un sex-addict, se protéger soi-même des dégats collatéraux? Voici quelques éléments de réponses grâce à Jean-Benoît Dumonteix, psychanalyste et addictologue, auteur avec Florence Sandis de l'ouvrage Les sex-addicts. Quand le sexe devient une drogue dure (Hors Collection, 2012).
Les sex-addicts, des personnes en souffrance
"Les sex-addicts ne sont pas des pervers", précise en préambule Jean-Benoît Dumonteix. "Un pervers jouit de dépasser les limites sexuelles de l'autre. Les sex-addicts sortent du cadre "normal" de leur sexualité, mais n'en jouissent pas, bien au contraire." La souffrance, ajoute Jean-Benoît Dumonteix, est l'élément déterminant de cette dépendance sexuelle. C'est cette donnée qui permet de différencier un infidèle chronique qui mettrait son comportement sur le compte d'une pseudo dépendance et le véritable sex-addict, victime de pulsions qu'il ne maîtrise pas.
"On ne peut pas jouer la dépression, or la plupart du temps, les sex-addict finissent par souffrir d'un véritable abattement. Il y a toujours une très grande culpabilité chez ces personnes", ajoute le psychanalyste, qui précise par ailleurs que cette addiction sexuelle peut toucher n'importe qui et concerner tous les âges, toutes les sexualités, tous les sexes.
Cela dit, il observe également certains points communs chez ses patients, majoritairement quadragénaires, en couple et souvent soumis à un stress important dans leur vie personnelle ou professionnelle, qu'il s'agisse de médecins, de politiques ou de responsables d'entreprises. "La sexualité remplit pour ces personnes une fonction d'apaisement d'angoisses exagérément fortes." Mais comme toute addiction, elle crée surtout l'illusion d'un apaisement, d'où la nécessité de recommencer, encore et encore, pour tenter, en vain, de trouver la paix.
Raisonner sur le terrain de la pulsion, non de l'infidélité
S'agissant des conjoints et de la façon dont ils peuvent supporter, dans tous les sens du terme, de tels comportements -Bernard, sex-addict "abstinent après une thérapie de cinq ans évoque par exemple jusqu'à sept partenaires par jour-, Jean-Benoît Dumonteix souligne la dimension pathologique de cette dépendance: "bien sûr, il est tentant de reprocher à l'autre cette double vie. Mais après? Il ne faut pas croire que la volonté ait quoi que ce soit à voir avec ça. Les sex-addicts, comme les alcooliques ou toxicomanes sont sous emprise."
Et il est d'autant plus difficile de se défaire de cette emprise que l'objet de leur addiction est à leur disposition en permanence. Impossible de se débarrasser de son sexe comme on jette une bouteille d'alcool ou un paquet de cigarettes. Raisonner en terme d'infidélité n'est donc a priori pas la voie la plus constructive si l'on décide de rester avec un sex-addict et de l'accompagner dans sa guérison. "On peut plutôt se placer sur un plan plus humain et prendre en compte la pulsion, subie et non choisie par le sex-addict", suggère le psychanalyste.
Se convaincre que l'on n'est pas en cause
Il faut par ailleurs se convaincre lorsqu'on vit avec un sex-addict, que "cela n'a rien à voir avec la personne aimée". D'ailleurs, précise Jean-Benoît Dumonteix, "la plupart du temps, le ou la conjoint(e) n'est pas l'objet de ces pulsions, l'autre faisant tout pour le ou la préserver". "Lorsque j'ai découvert que mon conjoint mutlipliait les rencontres durant la journée et s'était inscrit sur des dizaines de sites de rencontres en ligne alors qu'il ne me touchait presque plus, mon premier réflexe a été de me dire que j'étais responsable, que je n'avais pas pris assez soin de moi après mes grossesses. Il m'a fallu du temps pour accepter l'idée qu'au contraire, il ne me touchait plus parce qu'il m'aimait, qu'il ne voulait pas que j'entre dans cet aspect-là de sa vie", témoigne Sophie, épouse d'un sex-addict "en rémission".
Accepter de se faire aider, en tant que "co-dépendant"
Le conjoint n'a pas non plus "à entrer dans le processus de guérison", poursuit le psychanalyste. En revanche, "il est souhaitable de se faire aider, de pouvoir se confier pour mettre des mots sur les émotions nées lors de la découverte de cette double vie". "On n'est pas avec un sex-addict par hasard, même si pendant des années on ne se rend pas compte consciemment de ce qui se passe. Les co-dépendants ont d'ailleurs souvent eux-mêmes une histoire avec la dépendance. L'inconscient cherche un être aimé qui a le même fonctionnement que soi, même si l'objet de l'addiction est différent." Et d'ajouter: "Il faut aussi se demander pourquoi on reste, ce qu'on attend de cette histoire."
A ce titre, Jean-Benoît Dumonteix constate que souvent, les couples tiennent, "même si au départ il peut y avoir beaucoup de colère et de sidération". "Il y a aussi paradoxalement un soulagement de part et d'autre lorsque le sex-addict vide son sac et se débarrasse de ce poids." "Prendre de la distance dans un premier temps peut être salvateur, mais partir ne change souvent rien au problème, les conjoint(e)s le savent et c'est probablement pour cela que beaucoup décident de rester, histoire aussi de régler ça à deux."
Enfin, recommande le psychanalyste, "il ne faut pas chercher à tout savoir, à connaître tous les détails." "Ajouter de la souffrance à la souffrance ne mène à rien", assure-t-il. Quant à l'espoir de guérir, "il est réel, mais il reste en général une fragilité, comme pour tous les dépendants abstinents". "Mais lorsqu'il y a de l'amour, il y a un espoir pour ces couples."