A côté de ce crédit politique, les travaux de l’OID sont légitimés par la surreprésentation médiatique de son directeur général. Nicolas Pouvreau-Monti squatte les colonnes ultra-conservatrices du Figaro et de Valeurs actuelles avec ses chroniques. Surtout, le trentenaire jouit d’un passe-droit dans les médias de la galaxie Bolloré. Rien que sur la deuxième semaine de juillet, par exemple, il était convié le lundi dans la matinale d’Europe 1, puis le mercredi et de nouveau le vendredi dans l’émission 180 Minutes info sur CNews. Début 2024, Paris Match, autre titre un temps tombé dans le giron de Vincent Bolloré, présentait l’OID comme «l’institut qui fait référence» sur les sujets d’immigration. Mais Pouvreau-Monti a aussi su se faire une place dans des médias réputés plus neutres : il se rend occasionnellement sur les plateaux de France Info, BFM TV, Arte ou Public Sénat. Bref, il est (presque) partout.
Chiffres choc ou toc
L’OID s’est ainsi invité dans la «grande interview» de François Bayrou par les chaînes d’info, dimanche 31 août. Quand est venue la question des aides versées aux étrangers présents en France, la journaliste Sonia Mabrouk, envoyée à Matignon par CNews, a exposé : «Moi j’ai pris les chiffres de l’Observatoire de l’immigration, ça coûte 3,4 points de PIB.» Et le Premier ministre de désavouer, à demi-mot, le choix de cette source : «Je ne suis pas sûr que l’Observatoire de l’immigration n’ait pas une…» Le lendemain, au micro d’Europe 1, Nicolas Pouvreau-Monti, «surpris par la demi-déclaration» de Bayrou, a répliqué en faisant valoir qu’il s’appuie «systématiquement» sur «des données publiques» issues «de l’Insee, de l’OCDE, d’Eurostat, du ministère de l’Intérieur».
C’est la défense de l’OID quand tombent les critiques : l’observatoire dit s’appuyer sur des chiffres officiels et incontestables. Sauf qu’à y regarder de plus près, il ne retient que ceux qui l’arrangent, quand il ne produit pas, à partir des données publiques, des statistiques franchement contestables. «Lorsque l’OID a cité les travaux de l’OCDE sur l’impact fiscal de l’immigration, il a cité les bons chiffres, mais pas de la bonne manière», illustre Jean-Christophe Dumont, économiste à l’OCDE, où il dirige la division des migrations internationales.
Mais la statistique brandie par Sonia Mabrouk fournit la meilleure illustration du modus operandi de l’OID. Elle provient d’une note relative à «l’impact de l’immigration sur l’économie française» dévoilée par le think tank en juin. «Le moindre taux d’emploi des immigrés et descendants d’immigrés représente une perte de PIB de 3,4 %», peut-on y lire. Avant d’être cité face à Bayrou, ce chiffre choc avait eu les honneurs de nombreux articles dans la presse de droite ou d’extrême droite.
Pourtant, le document dont il est issu est avare de précisions méthodologiques, remarque Virginie Guiraudon, directrice de recherche CNRS au centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences-Po. La lecture de la note suggère que si les immigrés et leurs descendants «étaient autant en emploi que les personnes sans ascendance migratoire», le taux d’emploi augmenterait de 3,36 %… et le PIB s’élèverait d’autant, déduit l’OID. Ce que nous confirme Nicolas Pouvreau-Monti : «L’impact sur le PIB serait d’une ampleur équivalente» à la hausse du taux d’emploi.
Ce calcul est «totalement erroné» selon Jean-Christophe Dumont : «Le PIB correspond à la somme de toutes les valeurs ajoutées : la rémunération du travail en fait une part, mais il inclut également la rémunération du capital.» Or, suivant les estimations des économistes, cette «part de la rémunération du capital» est «en général» comprise entre 30 et 40 % du revenu national, d’après Lionel Ragot, professeur d’économie à l’université Paris-Nanterre.
«Rien d’une recherche académique»
Jérôme Valette, économiste au Cepii (un centre de recherche en économie internationale) et spécialiste des questions migratoires, conteste également le calcul : «Il repose sur une relation de proportionnalité directe, et sans doute un peu trop mécanique, entre emploi et production. Or, pour l’établir de manière rigoureuse, il faudrait tenir compte de plusieurs paramètres : les secteurs dans lesquels ces emplois se situent, le niveau de qualification des personnes concernées, ainsi que leur productivité, entre autres.»
Dans un rapport publié en 2021, l’OCDE avait mesuré qu’en France, «si les immigrés en âge de travailler avaient le même taux d’emploi que les personnes nées dans le pays», le gain pour les finances publiques aurait été de l’ordre de 0,22 point de PIB (en moyenne sur la période 2006-2018). «Il est donc vrai qu’en France, compte tenu du taux d’emploi des immigrés, il y a matière à améliorer leur contribution fiscale, relève Jean-Christophe Dumont. Mais ça ne correspond pas du tout à un coût de l’immigration représentant 3,4 % du PIB.»
Or, par un effet domino, cette approximation rejaillit sur la suite de la pseudo-démonstration de l’OID. A partir de cette hausse du PIB français de 3,36 %, qui aurait représenté en 2024 «une augmentation de 98 milliards d’euros», l’OID déduit en effet que «les comptes publics auraient bénéficié d’un apport supplémentaire de 45 milliards d’euros» grâce aux recettes fiscales. Une somme que l’OID a établie en appliquant, au montant de l’accroissement du PIB (98 milliards donc), un «taux de prélèvements obligatoires de 45,6 %», précise la note. Mais là encore, le calcul «est bien plus complexe que cette simple relation proportionnelle», balaye Xavier Chojnicki, professeur d’économie à l’université de Lille, pour qui «cette note ne répond en rien aux critères d’une recherche académique».
«C’est un think tank d’extrême droite»
Ces derniers mois, l’OID avait livré un autre chiffre choc, mais dénué de pertinence : l’affirmation selon laquelle «580 millions de personnes dans le monde» seraient «éligibles au droit d’asile en France». Une statistique annoncée «en exclusivité» par le Point en début d’année. La donnée sort tout droit d’une note de l’OID présentant l’asile comme «une voie d’immigration hors de contrôle».
«Ce ne sont que des extrapolations», tempère François Héran, titulaire de la chaire Migrations et sociétés au Collège de France, aussi président de l’Institut convergences migrations, un organisme de recherche coordonné par le CNRS. «Ces demandes d’asile potentielles ne reposent sur aucune réalité, puisqu’il faut d’abord vouloir et pouvoir accéder au pays en question», développe le démographe.
«On pourrait dire que toutes les femmes afghanes, par exemple, sont éligibles au droit d’asile en France. Mais le droit d’asile fonctionne sur la base d’évaluations individuelles, renchérit Jean-Christophe Dumont de l’OCDE. On pourrait en théorie imaginer que tous les gens qui ont besoin de protection internationale viennent demander l’asile en France, mais en pratique ils vont plutôt ailleurs – on l’a vu pour les Syriens.» En fait, cette présentation choc pourrait se vérifier dans d’innombrables pays, avec des résultats tout aussi spectaculaires. La note de l’OID mentionne d’ailleurs qu’«une étude britannique récente a abouti à un ordre de grandeur similaire (730 millions de personnes éligibles à l’asile au Royaume-Uni)» – l’étude émanait en 2022 du Centre for Policy Studies, un think tank également classé à droite de l’échiquier politique britannique.
D’une note de l’OID à l’autre, transparaît le message principal porté par l’observatoire : la France s’expose à un risque de submersion migratoire. «On a l’impression, quand on lit l’OID, que nous serions aux avant-postes de l’afflux de migrants, que nous serions débordés, que nous n’aurions aucune politique de sélection. Nous sommes en réalité au bas du tableau, nuance François Héran. Même si l’immigration progresse d’année en année en France, cette augmentation reste très inférieure à celle qu’on observe à l’échelle mondiale. Rien qu’en Europe occidentale, nous sommes au 17e rang par la proportion d’immigrés.»
Au vu de «leurs écrits», de leur «lecture très sélective» des données officielles, afin «d’en donner une interprétation extraordinairement tendancieuse», François Héran assume de conclure que l’OID «est un think tank d’extrême droite». Virginie Guiraudon le rejoint dans cette observation : «Il serait normal que l’OID assume son opposition à l’immigration, aux musulmans, aux descendants d’immigrés.» Mais l’OID avance masqué, et continue de revendiquer sur son site «une vision rationnelle et dépassionnée, fondée sur la rigueur scientifique et l’indépendance politique».
Liens avec le RN et Reconquête
Au-delà de la tournure très idéologique des travaux produits par l’OID, les multiples liens du think tank avec l’extrême droite ont été largement documentés. D’abord, par son financement : si l’OID refuse de le rendre public, on sait qu’il se développe, depuis 2023, grâce aux fonds du milliardaire catholique Pierre-Edouard Stérin via «Périclès», son plan qui vise à hisser l’extrême droite au pouvoir. «Le financement de Stérin ne laisse aucun doute sur l’orientation de l’OID», note Virginie Guiraudon. L’année 2023 coïncide avec la «professionnalisation» du think tank, racontée par Nicolas Pouvreau-Monti à Arrêt sur images.
Directeur général de l’OID, il a participé à sa fondation aux côtés notamment de son ami Maxime Hemery-Aymar, rencontré pendant leurs études. Les deux ont ensemble fait leurs classes au sein de l’association eurosceptique de Sciences-Po, «Critique de la raison européenne». Ils y ont fréquenté Alexandre Loubet, aujourd’hui député RN, et Sarah Knafo, depuis devenue eurodéputée Reconquête.
Autre pilier, le «conseil scientifique» de l’OID n’a rien de «scientifique» – et s’agissant d’un think tank, on devrait plutôt parler de «conseil d’administration» – puisqu’il ne comprend qu’un seul universitaire, le professeur de géographie émérite à la Sorbonne Gérard-François Dumont. Lequel s’était fait remarquer en 1985 pour avoir cosigné dans le Figaro Magazine, avec le théoricien du «grand remplacement» Jean Raspail, un dossier intitulé «Serons-nous encore français dans trente ans ?» Pour le reste, le «conseil scientifique» de l’OID se compose de Pierre Brochand, ancien de la DGSE qui conseille Eric Zemmour, de Michel Aubouin, ex-préfet régulièrement sollicité par le RN, de l’avocat Thibault de Montbrial, obsédé par la sécurité et passé par l’équipe de Valérie Pécresse, ainsi que de Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie, président du comité stratégique du média d’extrême droite Frontières, par ailleurs intervenant dans l’école de formation créée par Jordan Bardella.
En dehors des frontières françaises, l’OID coopère avec quatre autres think tanks, qui partagent sa ligne anti-immigration et nataliste, au sein d’un réseau mondial baptisé International Network for Immigration Research. Dans le lot, on trouve notamment les organisations américaines Center for Immigration Studies et Numbers USA, toutes deux soutenues à leur fondation par John Tanton, un militant raciste proche des suprémacistes blancs, aujourd’hui mort. Les liens noués par Nicolas Pouvreau-Monti avec ces groupes remontent à 2019 : lauréat de la Bourse Tocqueville, il s’était rendu aux Etats-Unis pour y rencontrer les réseaux ultraconservateurs américains. Bénéficiant d’une grande influence parmi les proches de Donald Trump, ces partenaires outre-Atlantique ne font, eux, pas mystère de «leur opposition à l’immigration ou leurs positions politiques», souligne Virginie Guiraudon.
Sollicité à propos des relations et positions de l’OID, Nicolas Pouvreau-Monti a indiqué qu’il ne souhaitait répondre «qu’aux questions portant sur le fond de nos travaux».
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