a noter:
Le mot d'ordre est donné aux militants qui ne doivent le communiquer à la base que dans la journée même du 17 octobre pour que la police soit au courant le plus tard possible. Le « boycottage du couvre-feu raciste » doit être pacifique, c'est pourquoi tous les Algériens, hommes, femmes et enfants doivent y participer. Le port d'armes, même les plus insignifiantes, est absolument interdit. Omar Boudaoud souligne que tout manifestant pris avec « ne serait-ce qu'une épingle sur lui serait passible de la peine de mort »B 13, et des militants procèdent à des fouilles pour s'en assurer. Il est également demandé de rester sur le trottoir pour ne pas gêner la circulation. Les hommes seuls et les familles ont pour mission d'atteindre à 20 h 30 un certain nombre de lieux sur les principaux boulevards et places de la capitaleB 14. La participation à la manifestation revêt un caractère obligatoire, les abstentionnistes et les récalcitrants sont gravement menacés : « Ceux qui resteront dans leur chambre seront abattus » ou s'exposent à « de très graves sanctions ». La crainte des sanctions a raison du peu d'enthousiasme de la masse des Algériens et les directives sont largement suiviesA 27. Ceci n'empêche pas que par sympathie la majorité des manifestants penche du côté du FLN, mais à combien se seraient-ils retrouvés s'ils n'avaient pas subi ces contraintes terriblesA 28?
La mise en place du dispositif policier
Le « système Papon » établi entre juin 1958 et 1960 cherche à obtenir une connaissance approfondie de la communauté algérienne, l'information étant considérée comme l'élément le plus important dans la lutte contre la guérilla et les réseaux clandestinsnote 16. Il se concrétise par un ensemble de contrôles administratifs, de leurres, d'actes d'intimidation, d'inspections d'hôtels, de fichages et d'opérations de renseignements. Il tente de supplanter le FLN en reproduisant une domination analogue. Maurice Papon accentue l'efficience de son système à la fin du mois d'août 1961 et c'est la tentative désespérée du FLN pour se libérer de cette menace qui conduit directement à la manifestation du 17 octobreB 15.
La police est très mal informée des évènements qui se préparent, c'est semble-t-il dans la matinée 17 que l'information parvient au cabinet de Maurice PaponA 29. À 16 h 20, tous les services de la préfecture de police reçoivent un télégramme informant que « Le FLN ordonne à tous les FMA de sortir ce soir 17 octobre en fin d'après-midi et en soirée sur les grands axes de la capitale […] afin de manifester pacifiquement contre les récentes mesures préfectorales ». Consigne est donnée dans ce même télégramme d'appréhender les manifestants, de conduire les hommes au Palais des sports, les femmes et les enfants devant être conduits au poste de police de la rue Thorel, dans le IIe arrondissement. Pour faire face à la manifestation, la préfecture mobilise 716 hommes de la police municipalenote 17, 662 hommes de la Gendarmerie mobilenote 18 et 280 CRS, soit au total 1 658 hommes, à peine quelques sections de plus que pour les journées de monômes du Bac, la préfecture ne s'attend pas à la déferlante qui se prépare. Jean-Paul Brunet voit dans cette faiblesse extraordinaire des effectifs l'un des facteurs ayant conduit à la violence de la répressionA 30. Toutefois, le professionnalisme et l'expérience acquise par Maurice Papon peuvent infirmer cette suppositionB 14.
Du Pont de Neuilly à la place de l'Étoile
Jean-Paul Brunet expose qu'il est probable que les « chocquistes » du FLN aient tiré en l'air les premiers coups de feu afin de provoquer un affrontement qui permette de briser le barrage de police et d'attribuer les victimes possibles aux forces de policeA 34. Du fait qu'aucun policier n'ait été touché, House et MacMaster penchent pour l'hypothèse de tirs venant des forces de l'ordreB 16</ref>. Que les policiers aient tiré et qu'ils se soient livrés à des actes d'une violence extrême n'est pas contesté. Un témoin affirme avoir vu « deux gardiens de la paix tirer en l'air pour tenter d'impressionner un groupe de Nord-Africains qui les bombardaient d'objets divers »A 34. Il y a eu des morts dans ce secteur et House et Macmaster déclarent qu'il n'est pas contestable que durant toute la nuit des hommes aient été jetés dans la Seine depuis les ponts de Neuilly, d'Argenteuil ou d'AsnièresB 16.
D'autres manifestants ont pu joindre le secteur de l'Étoile par le métro, mais de nombreux cars de police se tiennent prêts à recevoir les Algériens qui sortent des bouches de métro pour les diriger vers les centres d'internement. Plus de 2 500 Algériens sont appréhendés dans ce secteur où les violences restent à un niveau modeste. Il en est de même dans les secteurs de la Concorde et dans une moindre mesure, de l'Opéra où 2 000 manifestants sont conduits aux centres d'identificationA 35.
Entre la place de la République et l'Opéra
Ils se heurtent vers 21 heures à deux compagnies de CRS devant le cinéma Rex. Des coups de feu partent d'un car de police transportant des interpellés vers le commissariat de la rue Thorel et qui est bloqué par des manifestants. Les incidents de ce secteur sont particulièrement violents et sanglants, l'état de la voie publique sera comparable à celui du Pont de Neuilly : débris de verre, chaussures perdues, flaques de sang, nombreux blessés gisant sur le trottoirA 36,B 17. En fait il semble n'y avoir eu sur place que des blessés mais l'un d'entre eux, le métropolitain Guy Chevalier, décède à son arrivée à l'hôpital et il n'y aura pas d'autre mort résultant de ces affrontementsA 37
Boulevards Saint-Michel et Saint-Germain
Le troisième secteur d'affrontements violents est celui des boulevards Saint-Michel et Saint-Germain, à proximité de la préfecture de police où les cars conduisent certains manifestants interpellés, plus d'un millier au total. À l'intersection entre les deux boulevards, les forces de police encerclent les manifestants qu'ils chargent et frappent. Pour échapper aux coups des policiers, plusieurs préfèrent se jeter du Pont Saint-Michel. Des échauffourées se prolongent jusqu'à 22h30 boulevard Saint-Germain et dans le secteur de Saint-Sulpice où des coups de feu sont tirés. Au cours de l'enquête consécutive, les policiers affirment avoir riposté aux tirs des Algériens ou avoir vu deux hommes « se retourner portant la main à la poche »A
Dans les centres d'identification
Entre 17 h et minuit, une noria incessante de cars de police et d'autobus réquisitionnés débarquent entre 6 000 et 7 000 Algériens au Palais des sports de la porte de Versailles. Au cours de ces transports, les corps sont parfois empilés les uns sur les autres. Après une heure du matin, les 32 derniers cars, contenant 2 623 « FMA » (« Français musulmans d'Algérie », selon la dénomination de l'époque) sont dirigés vers le stade Pierre de CoubertinA 39. Des centaines de manifestants blessés ont été dirigés sur des hôpitaux.Dans cinq hôpitaux seulement, on compte 260 blessés hospitalisés. Jean-Paul Brunet note que sur ces 260 blessés, 88 sont entrés entre le 19 et le 21, ce qui témoignerait de la persistance des brutalités policières bien au-delà de la nuit du 17 octobreA 40. Parmi les policiers, une dizaine a été conduite à la Maison de santé des gardiens de la paix pour des blessures légèresA 39. Certains des blessés hospitalisés viennent du Palais des sports où les 150 policiers qui assurent la garde des détenus se livrent à des brutalités dont le syndicaliste policier Gérard Monate dira dans les semaines suivantes « ...d'après ce que nous savons, il y a eu une trentaine de cas absolument indéfendables »A 39. Tous les internés ne sont pas systématiquement frappés au Palais des sports, mais des sévices sont également exercés avant l'arrivée, dans les commissariats ou pendant les transportsA 39 au Palais des sports, au stade Coubertin, au Parc des expositions, certains au Centre d'identification de Vincennes pour être ensuite expulsés vers l'Algérie29. Jean-Luc Einaudi a recueilli nombre de témoignages d'appelés du contingent affectés au service sanitaire, d'assistantes sociales et même de certains policiers décrivant la « vision d'horreur » qui les a saisis à l'entrée du Palais des sports ou du stade Pierre de Coubertin30. Les sévices sur les détenus se poursuivent jusqu'au 20 octobre où la salle de spectacle doit être libérée pour un concert de Ray CharlesB 18.
Dans la cour de la préfecture de police de l'île de la Cité les 1 200 détenus sont reçus par des « comités d'accueil ». Vingt blessés graves, souvent victimes de traumatisme crânien, doivent être évacués vers l'Hôtel-Dieu et d'autres hôpitaux
on peut parler de massacres.