Vingt-neuf ans après les faits, le meurtre de Grégory Villemin sera-t-il élucidé ? De nouvelles expertises d'ADN pourraient éclaircir l'affaire.
La traque à l'ADN se révélerait-elle payante pour résoudre l'une des plus grandes énigmes judiciaires du XXe siècle ? Dix profils génétiques auraient été isolés sur les cordelettes retrouvées autour des mains et des pieds du petit Grégory Villemin, retrouvé mort dans les eaux de la Vologne en 1984.
Ordonnées par la cour d'appel de Dijon en septembre dernier à la demande de Jean-Marie et Christine Villemin, les parents du garçonnet, les analyses ont été réalisées par un laboratoire de Bordeaux dirigé par le professeur Christian Doutremepuich, selon des techniques "innovantes" d'extraction chimique d'ADN et de microdissection au laser. Une nouvelle méthode de recherche qui permet d'exploiter des traces "infinitésimales" qui peuvent apparaître là où rien n'était jusqu'alors visible. Tous les scellés du dossier judiciaire - vêtements, chaussures, cordelettes - ont donc été réexaminés.
Il resterait à confronter ces nouveaux prélèvements au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (le Fnaeg, créé en 1998) et aux centaines de profils génétiques des protagonistes directs et indirects de l'affaire.Les résultats seront présentés mercredi après-midi par le procureur général de Dijon, Jean-Marie Beney.
Corbeau
Ce 16 octobre 1984, Jean-Marie et Christine Villemin alertent les gendarmes de la disparition de leur fils du domicile familial. Un appel téléphonique reçu dans une maison voisine par l'oncle de Grégory, vers 17 h 30, finit de les inquiéter. Au bout du fil, un "corbeau" revendique l'assassinat de Grégory. Le soir même, le corps inanimé du petit garçon est retrouvé.
Le lendemain, les époux Villemin reçoivent par courrier des nouvelles de ce meurtrier anonyme qui écrit : "Ton fils est mort. Je me suis vengé. J'espère que tu mourras de chagrin, le chef. Ce n'est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils. Voilà ma vengeance, pauvre con." La lettre a été postée de Lépanges-sur-Vologne le jour du meurtre, avant la levée du courrier de 17 h 15.
Ce n'est pas la première lettre de menaces reçue par les époux Villemin. Au village, leur situation financière et familiale fait des envieux. Très vite, les soupçons se tournent vers Bernard Laroche, le cousin de Jean-Marie. Le 5 novembre 1984, il est inculpé d'assassinat et écroué, après des expertises graphologiques et le témoignage accablant de sa belle-sœur âgée de 15 ans, Murielle Bolle. Deux jours après, l'adolescente se rétracte. Il est relâché le 4 février 1985, mais reste inculpé d'assassinat. Le 29 mars, à 13 h 15, devant le garage de la maison des Laroche, Jean-Marie Villemin surgit d'un bosquet et tire. Laroche meurt un quart d'heure plus tard.
Progrès scientifique
Le 5 juillet 1985, au cours d'une visite à son mari transféré à la prison de Saverne (Bas-Rhin), Christine est arrêtée par les policiers et conduite chez le magistrat. Désignée comme possible corbeau par des graphologues, l'épouse Villemin est inculpée de l'assassinat de son fils par le juge Jean-Michel Lambert. "Madame, je vous inculpe d'assassinat pour avoir tué votre enfant en préméditant votre geste", lui lance-t-il. Onze jours plus tard, elle recouvre la liberté, mais attendra le 3 février 1993 pour obtenir un non-lieu. La même année, Jean-Marie Villemin, qui a écopé de 5 ans d'emprisonnement, dont un avec sursis, pour le meurtre de son cousin, est mis en liberté conditionnelle.
Entre-temps, le corbeau vole toujours et les palinodies du juge Lambert agacent. Le juge d'instruction est dessaisi le 25 juin 1987 au profit du président de la cour de Dijon Maurice Simon, qui reprend l'enquête... de zéro. Il faut pourtant attendre les années 2000 pour que la justice, saisie par les parents du petit garçon, ordonne une reprise de procédure et l'expertise d'un demi-timbre apposé sur une enveloppe expédiée en 1983 par le "corbeau". Après quatre mois d'examens, les experts déclarent le 17 octobre l'ADN inexploitable. Si cette décision fait retomber les espoirs des époux Villemin, celle du 11 avril 2001, qui clôt l'instruction, les anéantit. Durant 7 ans.
L'affaire évolue au rythme des progrès réalisés en matière de police technique et scientifique. En 2008, les époux Villemin saisissent de nouveau le procureur général de Dijon et demandent la réouverture de l'instruction, pour une nouvelle recherche d'ADN. Les vêtements que Grégory portait le jour de son assassinat sont analysés, de même que les cordelettes entourant ses pieds et ses poignets, une seringue et un conditionnement d'insuline trouvés sur les lieux. Des enveloppes, des lettres et des timbres du "corbeau" sont également passés au crible. Sans succès. En 2012, ils relancent la machine judiciaire. Aujourd'hui, Jean-Marie et Christine Villemin veulent encore y croire et attendent avec "impatience et espoir" que la science puisse mettre un nom sur l'assassin de Grégory.