Il va lui falloir trouver autre chose.
Affaire des assistants parlementaires : pourquoi les arguments de défense du RN ne tiennent pas
Depuis le début de sa mise en examen pour «
détournements de fonds publics»,
Marine Le Pen martèle que les collaborateurs à Strasbourg n’avaient pas l’obligation de travailler seulement pour leurs eurodéputés durant leurs heures de travail. Elle ne pouvait, pourtant, ignorer les règles strictes du Parlement.
Sans surprise, les juges d’instruction en charge du dossier des assistants parlementaires fictifs du Front national (devenu Rassemblement national) ont suivi les réquisitions du parquet et ordonné vendredi 8 décembre le renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris de Marine Le Pen, du Rassemblement national, et de 26 autres personnes.
Elles sont soupçonnées d’avoir participé à un vaste système visant à rémunérer sur des fonds européens de pseudo-collaborateurs qui travaillaient, en réalité, pour le parti d’extrême droite, sous les mandatures 2009-2014 et 2014-2019.
Les peines encourues sont importantes : dix ans d’emprisonnement et une amende de maximum un million d’euros avec, en plus, une peine complémentaire d’inéligibilité. La menace est majeure pour Marine Le Pen, qui s’est déjà présentée comme la «candidate naturelle» de son camp pour la présidentielle 2027.
Le Pen dénonce un «contresens»
Poursuivie pour «détournements de fonds publics», elle répète depuis des années le même argument pour se défendre : que des assistants parlementaires, durant leurs heures de travail, travaillent uniquement pour leurs eurodéputés serait une «vision erronée du travail des députés d’opposition et de leurs assistants, qui est avant tout politique».
«Je conteste formellement le terme d’emploi fictif. Toutes ces personnes ont bel et bien effectué un travail à la demande de leur député, a-t-elle expliqué devant les juges, lors de l’une de ses auditions, en avril 2019. Je considère que le travail d’un député européen d’opposition est un travail quasi exclusivement politique, il consiste essentiellement à dire le plus grand mal de la politique de ses adversaires, à communiquer sur ces sujets, à construire un discours alternatif et à convaincre les électeurs.» Pour la triple candidate à la présidentielle, qui a siégé à Bruxelles et Strasbourg pendant près de treize ans (de 2004 à 2017), «que des assistants parlementaires de députés Front national au Parlement européen soient des militants Front national, soient en relation régulière avec le mouvement Front national, soient amenés à se rendre ou même à travailler au siège du mouvement Front national dont leurs députés sont bien souvent des dirigeants et où une grande partie d’entre eux ont un bureau, me paraît correspondre exactement à la mission qui est celle d’un assistant parlementaire d’un député Front national.» Avant d’ajouter : «Vouloir faire des assistants, ou même des députés, des fonctionnaires européens qui travailleraient pour le Parlement européen et pour l’UE est à mon avis un contresens.»
«Le Parlement est très strict»
Plusieurs personnes poursuivies dans ce dossier répètent les mêmes éléments de langage. Ainsi, l’ancien assistant parlementaire, Julien Odoul – aujourd’hui député de l’Yonne –, a raconté aux juges, lors de son interrogatoire, le 30 avril 2019, que sa mission «au début de [son] embauche» en 2014, était de «[se] rendre utile auprès de la présidente». «Mon engagement politique est un engagement d’idées et de valeurs pour un parti politique dirigé par Marine Le Pen, a déclaré l’un des actuels porte-parole du parti. Je n’ai rien fait d’autre comme assistant parlementaire. [Car] le combat et l’engagement politique ne se font pas uniquement dans l’hémicycle.»
Sauf que ces arguments ne tiennent pas. Les règles du Parlement européen sont claires. Elles ont d’ailleurs été rappelées par le Parlement, partie civile dans ce dossier, lors de son audition, devant les juges, en février 2017 : «
un assistant parlementaire accrédité ou local, doit se consacrer, durant ses heures de travail, exclusivement à un travail d’assistant parlementaire européen. […] Le Parlement est très strict sur l’interdiction pour l’assistant de réaliser du travail pour un parti politique dans le cadre de ses heures de travail financées par le Parlement européen.»
Rappels du parquet
Marine Le Pen, comme les autres personnes poursuivies ici, ne pouvaient ignorer ces règles.
«Elles sont publiées au Journal officiel du Parlement européen» et consultables à tout moment «sur l’Intranet du Parlement européen, avec des conseils pratiques», est-il rappelé dans le réquisitoire du parquet, rendu fin septembre.
On les trouve aussi dans les guides pratiques des députés et du statut des députés européens, remis à chaque élu au début de chaque législature.
Dans le Guide pratique des députés, on peut en effet lire, page 28, au chapitre «indemnité d’assistance parlementaire», que «
chaque député a droit à une indemnité d’assistance parlementaire pour l’assistance de collaborateurs personnels, qu’il peut choisir librement. L’indemnité d’assistance parlementaire ne peut être utilisée pour couvrir des dépenses personnelles ou financer des subventions ou dons à caractère politique.»
Dans l’autre document, Statut des députés au Parlement européen, il est encore écrit, page 50, au chapitre «assistance de collaborateurs personnels», que «seuls peuvent être pris en charge les frais correspondant à l’assistance nécessaire et directement liés à l’exercice du mandat parlementaire des députés.»
Encore fallait-il lire ces documents, ou ne pas faire semblant qu’ils n’existent pas.
https://www.liberation.fr/politique/aff ... W4G5NIGH4/