Bande de trou du GUD !!!...
«Pas croisé depuis quinze ans» ? Au RN, la «GUD connection» toujours active en coulisses
Contrairement aux affirmations de Marine Le Pen et Jordan Bardella, les sulfureux entrepreneurs issus du néofascisme étaient encore étroitement associés aux campagnes du parti lors des dernières régionales.
ordan Bardella a beau être jeune, il n’a pas l’air au courant des incroyables possibilités permises par la technique moderne. Comme le télétravail ou les vols réguliers entre Paris et Rome. Ainsi, pour faire croire en l’absence de relations entre le Rassemblement national (RN) et les acteurs de la «GUD connection», ces anciens militants d’extrême droite radicale reconvertis dans de juteuses prestations de services au parti de Marine Le Pen, le président du RN convoque de curieux arguments. «Axel Loustau [l’un de ces entrepreneurs, ndlr] n’a plus de relations commerciales avec notre mouvement depuis 2017. Frédéric Chatillon [ancienne figure majeure du GUD reconvertie dans les affaires], vous le savez, a quitté la France : il vit et travaille à Rome. Qu’est-ce que vous nous reprochez dans cette affaire ?» s’est-il défendu sur France Inter le 15 mai, après la participation de Loustau à une manifestation néofasciste à Paris.
Bardella, il est vrai, n’est pas le seul au RN à mentir comme un arracheur de dents. Interrogée par le Monde, Marine Le Pen avait rabaissé les deux hommes au rang de simples «actionnaires minoritaires de prestataires», en l’occurrence de la société de communication e-Politic, dont ils détenaient à l’époque 45 % des parts.
Quant au vice-président du parti, Sébastien Chenu, il avait carrément prétendu auprès de Mediapart, en novembre 2022 : «Frédéric Chatillon, ça fait quinze ans qu’on ne l’a pas croisé.»
Lien entre le RN et un imprimeur
Pas croisé ? Quinze ans ? En 2021, Frédéric Chatillon jouait pourtant un rôle actif dans la campagne du RN pour les élections régionales. Pas seulement via e-Politic, mais en tant que coordinateur de l’impression de documents de campagnes du parti. L’ancien gudard était chargé de faire le lien entre des têtes de listes régionales du RN et la société Imprimatur, un des imprimeurs historiques du mouvement, situé à Limoges et chargé alors d’éditer et d’acheminer les documents électoraux officiels des candidats : bulletins et affiches dites «R39», du nom de l’article du code électoral qui prévoit leur remboursement par l’Etat.
Ce rôle est attesté par différents courriels consultés par Libération. Dans l’un d’eux, daté de mai 2021, signé «Frédéric Chatillon pour Imprimatur» et envoyé avec une adresse générique «
elections-regionales@i-imprimatur.fr», l’ancien gudard propose ainsi de réaliser lui-même la maquette de la profession de foi d’un candidat. Ou, au cas où l’équipe de campagne souhaiterait s’en occuper elle-même, de s’inspirer du modèle mis à disposition : celui réalisé pour la campagne du RN en Ile-de-France. C’est-à-dire pour celle de Jordan Bardella. «Avez-vous besoin d’un assemblage de la maquette de Jordan ? (Fichiers sources : maquette, images, typographie)», s’enquiert Chatillon, démontrant sa proximité avec l’actuel président du RN. Sont jointes l’affiche officielle de Bardella non finalisée et sa profession de foi.
Etait-il alors salarié par le RN, par l’imprimeur ? A quel titre, et avec quel intéressement intervenait-il dans la campagne ? Contactés par Libération, ni Jordan Bardella, ni le président du Conseil de surveillance d’Imprimatur, Jean-Philippe Tauran, n’ont répondu à nos questions. Quant à Chatillon, il s’est contenté de cette insulte : «Cafard.» Bardella a toutefois confirmé lundi 15 janvier le rôle joué par ce dernier lors des régionales 2021 RN, en marge de ses vœux à la presse. «A [sa] connaissance», a-t-il dit, l’ancien gudard était «rémunéré par Imprimatur».
«Interlocuteur unique»
Ainsi, alors qu’il a été condamné un an plus tôt dans l’affaire Jeanne, vaste escroquerie au remboursement public des frais de campagne du RN, l’homme jouait encore en 2021 son rôle d’entremetteur dans la logistique des campagnes frontistes. En 2017, dans le Procès interdit de Marine Le Pen, le journaliste de Challenges Laurent Fargues raconte ce jour où tout a commencé : en janvier 2011, Marine Le Pen, fraîchement élue à la tête du Front national, convia plusieurs imprimeurs du parti pour leur expliquer que Chatillon, à l’époque patron de l’agence de communication Riwal, «[serait] désormais leur interlocuteur unique pour toutes les questions liées à la fabrication des tracts et affiches. Il sera leur donneur d’ordre et eux les sous-traitants». Alors dirigeant d’Imprimatur, Jean-Philippe Tauran, cité par Laurent Fargues, expliquera plus tard aux enquêteurs : «On nous a dit que si on ne souhaitait pas fonctionner comme ça, on ne serait pas sollicité.»
Chatillon est encore présent en 2017, pour la campagne présidentielle de Marine Le Pen. Pourtant déjà mis en examen dans l’affaire Jeanne, il est «coordinateur technique du print et du web». Parmi ses collègues, le jeune Jordan Bardella, 22 ans, chargé des commandes en documents de propagande pour les fédérations. L’un des imprimeurs est alors Presses de France, d’Axel Loustau.
En 2020, changement de stratégie. Les ennuis judiciaires liés à l’affaire Jeanne ont forcé le RN à faire le ménage : lors de la «convention nationale municipale» du parti d’extrême droite, à Paris, un stand invite les têtes de liste à s’inscrire sur une nouvelle plateforme internet «de gestion du R39». Le stand est tenu par des représentants d’Imprimatur, qui promettent aux candidats des délais «rapides et tenus», et surtout de ne pas avancer un centime. Grâce à une déclaration de «subrogration» que le RN fait signer à ses têtes de listes, l’imprimeur sera remboursé en direct par les préfectures. Il s’agit bien là, un peu comme dans l’affaire Jeanne, d’un «kit de campagne» clefs en main – mais non obligatoire (et légal) cette fois. Même méthode pour la partie «comptable» de la campagne, proposée par le cabinet CDC expertise, proche lui aussi de Marine Le Pen et de la GUD connection, qui œuvre toujours pour le RN, par exemple aux législatives de 2022.
Réseaux de la famille Le Pen
Revenons à 2021. Dans les Pays-de-la-Loire, la tête de liste RN Hervé Juvin a pour directrice de campagne Victoria de Vigneral. Frédéric Chatillon et elle échangent quasi quotidiennement. «Je l’avais presque tous les jours au téléphone ou via Whatsapp», confirme un autre cadre de la campagne. Devis pour des tracts ou des tee-shirts, commande en urgence de nouvelles affiches : à chaque fois, Chatillon fait le pont entre Imprimatur et Vigneral. En juin 2021, cette dernière envoie ainsi à «Frédéric» les adresses de cinq référents RN locaux chez qui envoyer un stock d’affiches supplémentaires pour la campagne de Juvin. Le gudard se charge de transmettre l’info à son contact chez Imprimatur.
Si Vigneral et Chatillon sont en contact suivi, c’est que cette dernière n’est pas une inconnue de la famille. Devenue présidente du groupe RN à la région après l’exclusion de Juvin – groupe aujourd’hui disparu suite à la démission de plusieurs de ses membres –, elle est également salariée du groupe du RN au Parlement européen, pour lequel elle est chargée de l’événementiel. C’est chez elle, à Bruxelles, que l’une des filles de Frédéric Chatillon a été logée pendant la durée de son stage au sein du groupe, au premier semestre de 2023. Vigneral, qui selon nos informations a postulé pour figurer sur la liste RN aux prochaines européennes, cherchait-elle à se faire bien voir de la hiérarchie du parti ? Chez celui-ci, la proximité avec les réseaux de la famille Le Pen est souvent mieux récompensée que l’ardeur à mener son mandat.
Quant à Imprimatur, l’entreprise, l’entreprise, créée en 1992, a presque toujours travaillé avec le Front national. Elle a historiquement été sollicitée pour de nombreuses élections et plusieurs têtes de listes aux régionales de 2021, y compris Sébastien Chenu dans les Hauts-de-France (vous savez, celui qui n’a pas croisé Chatillon depuis quinze ans), ont eu recours à ses services. Même si, le concernant, affirme un ancien membre de sa campagne, Joshua Hochart (aujourd’hui sénateur), «tout se réglait entre l’équipe et Imprimatur», sans passer par Chatillon. Mais via la même adresse courriel utilisée par ce dernier.
Cahier des charges précis
Etait-il conseillé ou imposé de travailler avec Imprimatur pour les régionales ? Réponse ironique d’un cadre local : «Conseillé est un joli mot.» Même tableau pour les élections départementales de la même année, où la société était quasi imposée aux candidats avec, toujours, le même «acte de subrogation» signé par les binômes : «Nous soussignés […] demandons à ce que le remboursement des frais de propagande officielle […] soit directement effectué au profit de notre prestataire désigné […] Imprimatur.» «Il n’y avait pas d’obligation, on pouvait prendre de la propagande libre mais c’était de la proposition, ils n’ont pas refait la même erreur [qu’au moment de l’affaire Jeanne, ndlr.]», explique un cadre local.
Le résultat est sensiblement le même : l’immense majorité des candidats RN n’ont pas le temps, les réseaux ou les compétences pour choisir eux-mêmes leur imprimeur. A quoi il faut ajouter le caractère hypercentralisé du RN, dont les élus locaux ne disposent pas d’un écosystème économique, et avec lequel certaines entreprises rechignent encore à travailler. D’autant que les documents officiels répondent à un cahier des charges précis.
Le fameux R39 oblige les candidats à respecter les standards de taille, grammages et intitulés des bulletins de vote et affiches, fixés à chaque élection par la loi, comme le montant remboursable.
Pour ceux à qui cela aurait échappé, un mail aux allures de coup de pression l’a rappelé en février 2020, à l’approche des municipales. Signé de Gilles Pennelle, coordinateur du scrutin pour le RN, il assène : «Je vous rappelle que le R39 répond à des règles extrêmement strictes. Que vous passiez par Imprimatur (solution centralisée) ou un autre imprimeur, ces contraintes s’imposent ! […] L’improvisation, l’amateurisme, l’originalité et le laisser-aller n’ont aucune place dans ce dispositif !» Rassurant.
En face, le RN propose des bons de commande préremplis où les candidats n’ont plus qu’à signer pour bénéficier d’un kit fourni par Imprimatur qui en outre avance les frais. Ne vous inquiétez pas : on s’occupe de tout. Même depuis Rome.
Mise à jour le 15 janvier 2024 avec une précision de Jordan Bardella
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