Comme un clin d’œil de l’histoire. Alors qu’il y a pile 100 ans, le 23 avril 1919, la journée de 8 heures était adoptée et célébrée comme une « conquête ouvrière », l’Élysée réfléchit à rallonger le temps de travail. Dans son projet d’allocution – reportée en raison de l’incendie de Notre-Dame – Emmanuel Macron avait évoqué « la nécessité de travailler davantage ».
Pourquoi le chef de l’État réclame-t-il plus d’efforts ? Parce qu’il cherche de l’argent frais pour financer les mesures annoncées en décembre, et celles – à venir – qu’il doit dévoiler ce jeudi dans son discours à l’issue du grand débat national. Emmanuel Macron devrait par exemple introduire deux nouvelles tranches d’impôt sur le revenu (IR) destinées à alléger la fiscalité des classes populaires et moyennes.
Mais cette pente plus douce de l’impôt aura un coût pour les finances publiques. Et le manque à gagner inquiète d’autant plus au ministère des Comptes publics qu’un autre défi majeur pointe à l’horizon, celui du financement de la dépendance. Celle-ci, selon un récent rapport remis à Matignon, exigera dans un futur proche d’énormes efforts financiers. Plus de 9,2 milliards d’euros seront nécessaires d’ici 2030. Mais comment faire ? Trois scénarios sont sur la table.
Dire adieu à un jour férié ?
« C’est la piste la plus chaude », confie un poids lourd de la commission des finances de l’Assemblée. Le 8 mai est celui que l’exécutif aurait mis « en tête de sa liste », parmi les onze jours fériés définis par le Code du travail. Combien attendre d’une telle mesure ? À titre de comparaison, la journée de travail supplémentaire non payée, instaurée en 2004 par Jean-Pierre Raffarin, rapportera 2,1 milliards d’euros en 2019. Pour le 8 mai, « on pourrait tabler sur 3 milliards », selon une source à Bercy. Le gain pourrait servir à compenser des baisses d’impôts (les pistes actuelles les situent entre 1 et 5 milliards), mais il n’est pas suffisant pour financer la dépendance.
-Les jours fériés en Europe:
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Travailler jusqu’à 64 ans ?
La députée Aurore Bergé, porte-parole LREM, est montée au créneau ce dimanche dans le JDD : « Nous avons aussi ouvert le chantier de l’âge du départ à la retraite ». Ses propos ont mis le feu aux poudres… y compris au sein de la majorité présidentielle. « Qu’est-ce que de pareilles déclarations veulent dire ? s’agace un député LREM. Elles ont été très mal reçues dans notre groupe, alors qu’il n’y a eu aucune concertation entre nous sur le sujet. Si Aurore Bergé, qui n’est ni économiste ni spécialiste du Budget se lance ainsi, c’est qu’elle est pilotée par l’exécutif. »
D’autres députés s’inquiètent aussitôt de l’impact dans l’opinion d’un recul de l’âge de la retraite, une mesure soutenue par le Medef. « Aujourd’hui, l’âge légal de départ à beau être fixé à 62 ans, les Français partent en moyenne à 63 ans pour bénéficier de leurs annuités complètes, relève Émilie Cariou, influente députée (LREM) de la commission des Finances. Ils effectuent déjà un effort supplémentaire. Surtout, je rappelle que le Président avait promis de ne pas toucher à cette balise. » Certes, mais c’était avant la crise des Gilets jaunes… Et déplacer le curseur de 62 ans à 64 ans rapporterait gros : 6 à 10 milliards d’euros chaque année.
Abandonner les 35 heures ?
Ce scénario a très peu de chances d’aboutir…. « Un retour aux 39 heures ? Je n’y crois pas, désamorce un haut fonctionnaire du ministère des Finances. C’est d’autant moins crédible qu’Emmanuel Macron vient de désocialiser et défiscaliser les heures supplémentaires en décembre. Ce serait donner d’une main pour reprendre de l’autre. »
-Durée moyenne du temps de travail en Europe en 2016:
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Les syndicats vent debout:
Force ouvrière agite d’ores et déjà la perspective d’une « grève ». « Les pistes à l’étude ont déjà été essayées, ce sont celles qui nous ont conduits dans l’impasse où nous sommes », fustige de son côté Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT. Qui ajoute : « Si on veut résorber le chômage, il ne faut pas travailler plus, il faut travailler moins. »
Ce jeudi, Emmanuel Macron précisera ses projets. Mais ce discours post-grand débat, censé apaiser les Gilets jaunes, pourrait électriser le pays en ouvrant le brûlant dossier du temps de travail.