Dans la Casbah d’Alger, colère et lassitude après la dénonciation de l’accord de 1968
En Algérie, la nouvelle du vote du texte porté par le RN à l’Assemblée nationale résonne surtout comme l’écho d’une relation bilatérale depuis longtemps désenchantée.
Dans son petit atelier en ce jeudi 30 octobre après-midi, un vieil homme, les mains noircies, frappe sans relâche une plaque bosselée de cuivre. A l’étage, une jeune femme étend le linge sur un balcon lézardé. Rien ne laisse deviner qu’en France, l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 vient d’être dénoncé par une résolution de l’Assemblée nationale.
Mais à l’heure du café, la nouvelle s’est faufilée comme un éclair entre les arcades partiellement effondrées de la Casbah d’Alger. «La France a dénoncé l’accord de 1968», annonce au vieil artisan un jeune qui gribouille quelques dessins. «Qu’ils le déchirent ! Ça change quoi ?» lâche agacé le dinandier sans lever la tête. Pour lui, Paris continue à définir, seul, les termes de sa relation avec Alger.
Signé six ans après l’indépendance, l’accord de 1968 devait faciliter la circulation, le séjour et le travail des Algériens en France. Dans ce quartier qui fut le cœur de la bataille d’Alger, où Ali la Pointe et Hassiba Ben Bouali sont morts, ce texte n’est pourtant pas perçu comme un privilège. «On n’a pas vu, grâce à cet accord, de différence dans la délivrance des visas et des cartes de séjours. Il signifie surtout, pour nous, que c’était aux Français de décider qui entre en France, qui reste et qui doit partir», s’emporte un grand-père, qui se remémore aussitôt comment les combattants de la guerre d’indépendance étaient pourchassés par les soldats français jusqu’au fin fond de la vieille cité.
«Indifférence»
La conversation s’enchaîne entre deux coups de marteau et des gorgées de thé à la menthe brûlant. Peu connaissent à la lettre les articles de l’accord de 1968, mais tous en comprennent l’esprit, et ce qui en découle. Pour la majorité des habitants de la Casbah, cet accord ne protège pas, il rappelle plutôt les familles d’immigrés entassées dans des logements exigus ; il évoque des familles séparées ; il dit qu’après plus de soixante ans d’indépendance, les Algériens sont considérés par la droite française comme un héritage dont il faut se débarrasser.
Une dizaine de mètres plus loin, dans un atelier, une jeune céramiste compulse les réseaux sociaux en quête de nouvelles idées pour ses œuvres. Elle a grandi à la Casbah, et elle a vu les artisans disparaître les uns après les autres, en l’absence de relève et faute d’une aide financière de l’Etat algérien.
Lorsqu’elle apprend que la France renie l’un des accords hérités de l’indépendance, elle hausse les épaules. «Regardez autour de vous. La Casbah est notre mémoire aussi, et on la laisse pourtant s’effondrer dans l’indifférence». Curieuse, elle consulte tout de même quelques sites de médias algériens. «Après le vote de ce jeudi 30 octobre, une grosse interrogation subsiste : que fera Emmanuel Macron ?» titre ainsi le site Tout sur l’Algérie.
«
Le symbole est fort»
«Apparemment, le vote n’a pas de valeur contraignante, mais le symbole est fort. Reste à savoir comment réagira le président Tebboune», analyse la céramiste. Et si la relation entre les deux pays dégénère davantage, c’est surtout à sa vieille tante, qui a essuyé déjà trois refus de visas, qu’elle pense. «Elle ne pourra plus aller voir sa fille en situation irrégulière en France», se désole-t-elle.
Le vent transporte à ce moment-là un mélange d’odeurs de chorba, de bourek, de sardines et de jasmin depuis une petite gargote mitoyenne. Une porte en bois usée par le temps s’ouvre sur une salle au plafond voûté et blanchie à la chaux, grouillant de monde. Au mur, des photos jaunies de martyrs de la guerre, de chanteurs chaâbi, un drapeau et une photo d’Alger prise avant l’indépendance.
Le propriétaire, la cinquantaine solide, accueille ses clients comme des invités. Il commence toujours par leur montrer la vue depuis la terrasse. Puis, il leur raconte comment ses grands-parents cachaient des résistants au fond du puits, comment les femmes de la Casbah passaient des messages dans leurs foulards et comment les moudjahidin repéraient chaque maison amie.
«
Les Français sont libres de voter et de décider de leur politique avec l’Algérie. Ce qui compte maintenant, ce n’est pas ce qu’ils nous enlèvent là-bas, mais plutôt comment nous devons bâtir notre pays en faisant honneur à nos martyrs», conseille-t-il à ses clients.
Autour de lui, tout le monde n’acquiesce pas. «
Les Français nous sont redevables après plus d’une centaine d’années de colonisation pendant lesquelles ils ont pillé nos richesses», s’insurge un jeune guide avant de dévaler les escaliers étroits et polis par des siècles pour retrouver son groupe de touristes.
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