[quote=jabar post_id=1886536 time=1603275190 user_id=6751]
J'ai lu ce point de vue sur reddit. C'est plus terre à terre que ces débats tellement en "hauteur" qu'on en perd l'humain.
Passez quelques minutes à le lire avant de vous empresser de taper un avis mille fois lu. Faudrait prendre un peu de recul.
[quote]...qui est un peu désolé de l'ensemble des "solutions" qu'il voit passer sur ce sous depuis vendredi pour résoudre les problèmes de fondamentalisme.
Je suis prof en lycée dans le 93, dans une de ces villes dont on n'entend jamais parler en bien aux infos, dans un bahut où une majorité des gamins sont musulmans (60-70% à la louche, estimation faite sur la proportion jambon/poulet parmi les sandwichs lors des sorties géologie qu'on pouvait faire avant cette réforme à la noix).
Je vois passer à peu près toutes les solutions qui touchent à la lutte directe contre l'influence des prédicateurs, à la défense de la laïcité, à l'engagement citoyen, bref, des solutions "Marianne" (ça me saoûle vraiment de voir Natacha Polony devenue le nouveau phare de la pensée par ici, mais passons). Je ne dis pas que ces solutions ne servent à rien, attention. Mais tout ça ne va servir qu'à soigner des symptômes. L'islamisme radical, comme la délinquance d'ailleurs, ce sont des symptômes, le problème, c'est l'existence d'une jeunesse sans avenir, sans perspective et avec très, très peu de moyens de s'en sortir.
Le lycée brasse plus de mille gamins. Parmi eux, aucun ne semble "prédestiné" à commettre un attentat barbare ou à aller se faire sauter au nom de son Dieu. Mais quand on voit que des gosses deviennent de plus en plus ouvertement croyants, systématiquement, c'est suite à un décrochage scolaire - j'insiste sur le "suite à". Autant le fait de traîner avec les mauvaises personnes peut causer un décrochage, autant la religion c'est le recours quand on n'a vraiment plus rien d'autre.
Et le souci c'est que dans ces quartiers "populaires", si l'école ne marche pas, il n'y a rien. Pas d'embauche dans la boîte de papa, pas de petits boulots dans le voisinage, pas de sortie grâce aux activités socio-culturelles, et quasi pas d'échappatoire par le sport, à part le gamin sur un million qui fera l'objet d'un reportage sur Stade 2. Beaucoup de parents sont allophones ou analphabètes, donc pour les devoirs à la maison, pas d'aide possible (sans compter que certains gamins doivent être en autogestion avec leur fratrie le temps que les parents rentrent). Aux réunions "de parents", c'est très fréquent que le responsable soit le grand frère/la grande soeur qui lui/elle parle français, a eu le Bac, et s'en sort, parce que même si le Bac est dénigré, reste qu'il permet beaucoup, beaucoup plus facilement de s'insérer, surtout au sein de populations immigrées qui partent de zéro niveau culturel et éducatif en France.
Reste la délinquance, qui apporte de l'argent et donc met de l'argent sur la table, et la religion, qui donne une échappatoire à une réalité sans véritable perspective. Du coup tout échec scolaire, dans ces quartiers, mène à un risque de délinquance ou de radicalisation parce que ce sont les principales alternatives à...ben, la misère absolue et l'isolement qui en découle. Et l'échec scolaire, ça fait à peu près vingt ans qu'absolument RIEN de significatif n'est fait pour lutter contre. Les classes sont de plus en plus chargées - on est un lycée privilégié parce qu'on n'a pas plus de 30 élèves par classe. Je ne sais pas combien parmi vous ont déjà essayé de s'adresser à 30 gamins d'un coup, mais c'est pas évident d'avoir un suivi individuel sur un créneau de 55 minutes ; et comme je l'ai dit, la plupart des lycées n'ont pas ces restrictions, les classes pouvant facilement monter à 35.
Les primes liées à l'activité en zone prioritaire sont misérables compte tenu de l'investissement personnel requis, et de toute façon, Oncle Fétid Jean-Michel Blanquer est en train de tranquillement faire disparaître les dispositifs pour faire des économies. Par exemple, mon lycée est "PLV" (à l'origine "Plan de Lutte contre les Violences", mais la novlangue a transformé ça en "Politique de La Ville", c'est plus joli), et est en surcapacité, du coup un nouvel établissement va ouvrir à 500 mètres à peine. Autant dire que le public sera le même...mais le futur bahut ne sera pas PLV, parce que maintenant on n'en ouvre plus. Du coup, exit la prime à l'enseignement ou les moyens supplémentaires pour réaliser un certain nombre de projets.
Et dans ces lycées, on trouve en général un "noyau" de profs installés là depuis un bout de temps, et le reste, une majorité, de jeunes profs qui n'attendent qu'une chose : pouvoir se barrer dans un coin plus tranquille. C'est même pas à cause du cadre de vie, parce que la majorité des profs habite dans Paris ou dans des coins de banlieue vraiment sympas, c'est juste que c'est un job usant et que les bénéfices qu'on en tire sont, encore une fois, misérables comparés au coût.
Et encore, ça c'est pour les profs qui ont réussi un des concours : une part très significative des équipes pédagogiques dans le 93 est composée de contractuels, donc de gens engagés par l'état mais qui n'ont ni l'Agreg ni le CAPES, mais doivent malgré tout faire le même job que ceux qui ont dédié 5 ans d'études + des stages à l'apprentissage de l'enseignement. Alors parmi ces contractuels, il y'a non seulement ceux qui ont raté les concours et les repassent, et, évidemment, quelques excellents profs qui n'ont juste pas le diplôme du concours pour diverses raisons (par exemple l'absence de la nationalité française - j'ai fait quelques soirées avec un Vénézuélien qui est prof d'EPS dans le privé parce qu'il n'a pas le droit de passer le CAPEPS puisque pas de passeport français - ou une phobie des concours), mais il y'a aussi logiquement une part de personnes complètement dépassées...et là, je ne parle que des gens en lycée, qui font face à un public "sélectionné" par rapport aux collèges.
Donc une large part des enseignants de collège REP+ du 93 n'ont pas reçu la formation nécessaire pour se retrouver face à des élèves ; élèves qui ont, en général, un bagage culturel, économique et linguistique nettement inférieur à la moyenne nationale, et qui donc auraient besoin de plus d'accompagnement afin d'atteindre les niveaux de compétence exigés par le cursus scolaire.
Pour info, la prime de 10.000 euros au bout de 5 ans pour les enseignants du 9-3 est une vaste fumisterie : non seulement elle est contraignante (si on part au bout de 4 ans, on touche rien), elle ne s'adresse qu'aux néo-titulaires (donc je suis personnellement arrivé 1 an trop tôt), et s'accompagne de la suppression des primes REP et PLV (seul REP+ reste). Ce qui veut dire qu'avant, un enseignant en PLV touchait entre 100 et 200 euros mensuels de prime - soit environ 8000 euros mensualisés sur 5 ans (de mémoire des calculs que j'avais faits à l'époque). Maintenant, il faut rester absolument 5 ans pour toucher à peine plus.
En plus, l'argent c'est pas du tout la priorité numéro 1 des enseignants. On préfèrerait avoir des moyens humains. Plus d'embauches. Moins d'élèves par classe. Des CPE mieux formés et accompagnés - celui responsable des Terminales dans mon bahut est en burn-out et ne reviendra pas. Que les collègues malades soient remplacés - on a fait les deux dernières semaines avant les vacances sans infirmière scolaire, en pleine deuxième vague de Covid. Qu'il y'ait plus de médecins scolaires, de psychologues, d'assistantes sociales, pour que chacun n'ait pas à gérer des centaines et des centaines de cas.
On a l'impression qu'à terme, il n'y aura plus que des profs dans les établissements scolaires, et qu'on devra donc être profs, CPE, conseillers d'orientation, psychologues, et assistantes sociales, si ce n'est infirmiers en cas de besoin. C'est pas en augmentant la charge de travail - pour, du reste, des tâches qui ne relèvent pas de notre formation, mais passons - qu'on attirera des enseignants en zones d'éducation prioritaire où le travail est, par essence, plus prenant.
J'ai par le passé pu avoir des mots négatifs pour les classes préparatoires - mais c'est parce que je suis aussi passé par là. J'ai vu ce que touchaient les profs de prépa pour faire cours à des classes, certes nombreuses, mais attentives à l'excès et dans lesquelles le suivi individuel n'est pas une exigence puisque l'idée c'est "marche ou crève". Je me souviens des moyens dont on disposait en termes de matériel de manipulation, de specimens à étudier (j'étais en BCPST), ou des sorties scolaires chaque année. Et tout ça pour un public majoritairement constitué de fils d'ingénieurs, de médecins, de cadres sup, bref, de jeunes gens CSP+ au moins culturellement depuis leur naissance. Du coup, c'est un peu indécent de voir autant d'argent dépensé pour la formation d'élèves qui selon toute vraisemblance s'en sortiraient très bien à la Fac - qui coûte beaucoup moins cher par tête qu'une CPGE - alors que chaque année on presse un peu plus le citron pour ce qui est des moyens alloués à l'éducation nationale.
Voilà, c'était un semi-coup de gueule. J'ai aussi été traumatisé par ce qui est arrivé à Conflans. Je me pose plein de questions sur mon métier, surtout qu'en SVT on a aussi nos sujets "sensibles" à aborder. Mais de voir qu'on propose toutes les solutions du monde pour résoudre "l'islamisme" sans se rendre compte que, tant que notre système scolaire et social engendrera autant de misère, il y'aura toujours des conséquences négatives pour la société. Si on parvient à endiguer l'islamisme mais que rien ne change au niveau des inégalités, la misère qui se tournait vers la religion ira ailleurs. Peut-être vers la délinquance. Peut-être vers les drogues. Peut-être vers des émeutes urbaines à répétition. Mais elle ne disparaîtra pas.
Et pour ceux qui pointent le doigt vers les musulmans en disant que "les pauvres bien de chez nous, ils deviennent pas des fous de Dieu" - c'est vrai. Mais j'aimerais bien savoir quelle est l'incidence de l'alcoolisme chez les classes populaires blanches, et toute les horreurs intimes qui en découlent (pour le coup je ne sais pas, les musulmans ne boivent pas donc il n'y a pas trop d'alcoolisme là où je suis, c'est déjà ça). C'est l'avantage du pinard j'imagine, ça crée une misère silencieuse et solitaire, à part dans la rubrique "faits divers", ou "féminicides". Là aussi il y'a un échec à aider ces populations, contre lequel on ne lutte qu'en coupant les subventions à l'éducation.
TL;DR - c'est important de lutter contre l'islamisation et de proposer des solutions, je ne vais pas faire d'angélisme en disant que ça se résoudra tout seul. Mais tant qu'on ignorera la galère dans lequel se trouve l'Education Nationale suite aux baisses continues de moyens (surtout dans le collège), on ne fera que déplacer la misère et la société aura toujours des problèmes à résoudre.
Un peu comme soigner un cancer uniquement par chirurgie - sans chimio ou radiothérapie, donc un traitement de fond, long et difficile, il restera toujours des cellules malades qui créeront un nouveau problème. Et histoire que l'on soit clair, le cancer, dans mon analogie, c'est bien la misère.[/quote]
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En gros tu résumes bien ce que me raconte ma petite fille .`