Hongrois rêver mais non.
Hongrie : l‘étonnant soutien de Viktor Orbán à George Simion, candidat roumain d’extrême droite
Souverainiste et pro-russe, George Simion a tout pour plaire au Premier ministre Viktor Orbán.
Mais le soutien de ce dernier au candidat, qui a tenu par le passé des propos anti-hongrois, ne va pas sans surprendre la minorité hongroise de Roumanie.
Depuis son retour au pouvoir en 2010, le Premier ministre national-populiste Viktor Orbán cajole les minorités hongroises vivant dans les pays voisins, et les Hongrois de Roumanie – un million de personnes – sont particulièrement choyés. Leurs écoles, églises, associations, et leur parti de l’Union démocrate magyare de Roumanie (UDMR) reçoivent de généreuses subventions de Budapest, et ils ont un droit de vote restreint aux élections législatives en Hongrie. Résultat : le parti d’Orbán rafle près de 90 % des suffrages de ces citoyens de la diaspora.
Quelle n’a pas été leur stupeur lorsque, dans un discours prononcé le 9 mai à l’abbaye de Tihany (à 100 km au sud-ouest de Budapest), Viktor Orbán a apporté son soutien au candidat d’extrême droite à la présidentielle roumaine. «M. Simion a déclaré, je cite : “L’heure est venue pour une Europe des nations, une Europe chrétienne, dans laquelle nous nous battrons pour notre droit à être des citoyens européens.” Cette déclaration n’a pas été prononcée en Hongrie, mais en Roumanie voisine. Et nous y souscrivons pleinement !» a déclaré Orbán.
Ravi, le politicien roumain a aussitôt repris un extrait de ce discours dans l’un de ses clips de campagne, et utilise l’adoubement d’Orbán pour s’attirer les votes des Hongrois de Transylvanie. Au sein de l’UDMR, c’est la consternation. George Simion, ancien hooligan, s’est fait connaître en 2019 en vandalisant un cimetière de Roumanie consacré aux soldats hongrois morts pendant la Première Guerre mondiale. «Tout jeune, Simion était déjà contre les Hongrois ! Contrairement à ce que disent certains, il n’est pas la solution, il est le problème. Il faut voter en masse contre lui, et soutenir Nicusor Dan», implore dans une vidéo Hunor Kelemen, président de l’UDMR, qui redouble d’efforts pour appuyer le maire de Bucarest, adversaire de Simion au second tour ce dimanche 18 mai.
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Coup de poignard dans le dos»
Les Eglises catholique et protestante magyares de Roumanie appellent publiquement à voter contre Simion. Bien que Viktor Orbán ait tenté de corriger le tir en assurant Hunor Kelemen de son affection pour ses compatriotes d’outre-frontières, ces derniers ont le sentiment que le Premier ministre hongrois les vend pour un plat de lentilles. En effet, si Simion est élu président dimanche, Viktor Orbán aura un allié souverainiste, pro-russe et anti-ukrainien au Conseil européen.
En Hongrie, on accuse le choc. «
Je ne comprends pas pourquoi Orbán soutient ce vandale et trahit nos frères Hongrois», s’étonne Judit S., une retraitée budapestoise qui souhaite l’anonymat. «C’est un coup de poignard dans le dos des Hongrois de Transylvanie», accuse le magazine hongrois conservateur indépendant Valasz. «
Un politicien responsable ne peut pas appeler à voter pour Simion», estime l’écrivain György Dragomán qui, à l’instar de nombreux intellectuels de la minorité magyare, a quitté la Roumanie pour vivre en Hongrie. Et même le commissaire à la Culture du gouvernement Orbán, Szilárd Demeter, lui aussi originaire de Roumanie, relate avoir été tabassé par des nationalistes roumains et conclut sur les réseaux sociaux : «
Un Hongrois de Transylvanie ne vote pas pour Simion.»
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Good morning Russia»
La volte-face de Viktor Orbán peut-elle mobiliser massivement les Hongrois de Roumanie (environ 6 % des électeurs) contre George Simion au scrutin de dimanche ? Csaba Lukacs, directeur de la rédaction de l’hebdomadaire hongrois Magyar Hang, ne le pense pas. «Une bonne partie des Hongrois de Roumanie suivent aveuglément Viktor Orbán et voyant que ce dernier appuie Simion, ils voteront pour le nationaliste. De plus, il y a une forte demande des électeurs pour un candidat anti-élite, anti-globalisation ; et ce sentiment éclipse tout le reste.»
En épaulant Simion, Viktor Orbán, le plus pro-russe des dirigeants européens, «fait le jeu de Poutine qui cherche à déstabiliser l’Europe», opine Maté C., budapestois de 29 ans qui travaille dans la restauration.
Chez lui, le Premier ministre hongrois continue à s’inspirer de la Russie pour réprimer sa propre opposition.
Son parti, le Fidesz, vient de présenter au Parlement hongrois un texte copié sur la loi russe sur les agents étrangers. Objectif : sanctionner les ONG et les médias indépendants recevant des financements étrangers, y compris des fonds européens, et qui «menacent la souveraineté de la Hongrie».
L’Autorité de souveraineté, un organe orwellien fondé en 2024, pourra bloquer les comptes en banque des organisations soupçonnées «d’influencer la vie publique» et leur imposer des amendes phénoménales. En mars, Viktor Orbán avait promis un grand nettoyage de printemps contre ses rivaux qu’il avait taxés de «punaises». Il a tenu parole. «Good morning Russia», a titré le site d’informations indépendant Telex.
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