
Beaucoup de responsables politiques actuels continuent de se revendiquer du premier président de la Ve République. Il faudrait, pourtant, s’émanciper d’un personnage d’une époque bien différente à la nôtre.
Réinventer, usurper de Gaulle, est un sport national. Deux enjeux questionnent son héritage : la crise politique et la défense. Notre incapacité à imaginer des remèdes proviendrait-elle d’une malédiction gaulliste ? Les fameux boomers s’en rappellent, tout allait mieux aux débuts de la Ve République : stabilité politique, sortie de la guerre d’Algérie, prospérité et une France respectée sur la scène internationale en particulier avec la bombe atomique. Certes les Trente Glorieuses sont idéalisées car on a la nostalgie de son enfance. Aujourd’hui, cela aggrave les ressentiments vis-à-vis de la classe politique, construit une image de déclin qui irrigue les strates de la société et pose la question de la recherche du nouveau de Gaulle.
Différencier le gaullisme de ce qui est gaullien
Or, dans la crise politique intérieure et dans le retour des menaces géopolitiques, nous vivons dans l’illusion du passé. Outre ses faces sombres, la Ve République a été parlementaire à ses débuts : les budgets de défense étaient difficiles à voter et le gouvernement tombe sur une motion de censure en 1962. Surtout, jusqu’à la réforme du quinquennat en 2000, le président fixait essentiellement les grandes orientations pour laisser le gouvernement s’exposer. En politique européenne, de Gaulle échoue à créer une union politique, le plan Fouchet, pour établir une défense commune appuyée sur la dissuasion française. L’indépendance nationale n’était pas la neutralité mais cette idée a été reconstruite par le RPR de Jacques Chirac qui voyait en 1978 dans l’Europe «le parti de l’étranger» à des fins de distinction du président non gaulliste, Valéry Giscard d’Estaing. D’où la nécessité de différencier le gaullisme, revendication de l’héritage, de ce qui est gaullien : de Gaulle lui-même.
Cette confiscation est aujourd’hui entreprise par le RN et Eric Zemmour qui cherchent à incarner l’alternative d’un pouvoir fort où le suffrage majoritaire l’emporte sur l’Etat de droit pour mettre fin aux troubles intérieurs et à la crise politique. La tentation est forte lorsque l’on constate la ruine du parti Les Républicains, censé être les «gardiens du temple» du glorieux héritage.
Au niveau de notre politique étrangère et de défense, Emmanuel Macron tente de sortir de l’image d’une dissuasion nucléaire purement égoïste, qui ne protégerait que le territoire national. Face à cela, le RN affirme sa volonté de l’inscrire dans la Constitution, manière de s’emparer d’un totem gaulliste. Les choses ont toutefois avancé : la semaine dernière, le Président a annoncé un grand discours stratégique pour le début 2026 dans lequel il ferait évoluer notre doctrine nucléaire dans un sens européen.
Solidarité européenne
Cette semaine, tout s’effondre faute de crédibilité politique française. Quelle confiance nos alliés peuvent-ils avoir en un pouvoir dont le temps est compté, sinon instable, voire potentiellement remplacé, par une majorité populiste prorusse ? La faiblesse internationale est patente si l’on ajoute les incertitudes budgétaires. Nul étonnement dans les difficultés du projet d’avion européen Scaf (système de combat aérien du futur), dont l’Allemagne, non seulement entend prendre le leadership, mais en plus, souhaite évincer la France… elle-même tentée par le cavalier seul dans le glorieux souvenir des Mirage et du Rafale. Pourtant, l’heure est à la solidarité européenne face à une possible extension de la guerre à l’horizon 2030.
Charles de Gaulle a présidé la France des Parapluies de Cherbourg et du Gendarme de Saint-Tropez au temps de Khrouchtchev, de Kennedy et de Mao. Elle n’existe plus que dans les souvenirs. Pour sortir des crises, ne faudrait-il pas s’en émanciper pour trouver collectivement de nouvelles solutions sans laisser l’extrême droite réaliser une OPA sur l’héritage de celui qu’elle a, jadis, combattu ?
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