Qu'on se le dise !...
Dans tout ce brouhaha médiatico-judiciaire fait d’approximations et de contre-vérités, il serait salutaire d’en revenir aux faits :
non, Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy n’ont pas été moins bien traités que la moyenne des justiciables.
La maîtrise du récit. En politique comme en communication de crise, c’est une donnée essentielle. Et un art dans lequel Nicolas Sarkozy comme Marine Le Pen excellent, bien aidés par des acteurs médiatiques pour certains complaisants ou pour la plupart trop peu vigilants. Lors de leurs condamnations respectives dans des affaires où c’est leur probité qui était en question, l’un comme l’autre ont mis toute leur énergie, et ils n’en manquent pas, pour déplacer les termes du débat à leur avantage en mettant frontalement en cause la justice en général et les juges auxquels ils ont eu affaire en particulier.
Voilà une stratégie qui s’avère, hélas, efficace dans un pays où la justice du quotidien, celle des gens ordinaires, est aussi méconnue que ciblée à longueur de journée par la droite, l’extrême droite et une bonne part du champ médiatique.
Résultat : on a la désagréable impression que le sujet est moins le fait qu’ils aient été reconnus coupables de faits graves, que la justice - guidée non par le droit mais par la «haine» selon Nicolas Sarkozy, par des arrière-pensées politiques selon Marine Le Pen – les ait si injustement maltraités.
Mécanique de diversion
On parle davantage de l’exécution provisoire des peines prononcées en première instance que des raisons pour lesquelles Sarkozy, comme Le Pen, ont été condamnés dans des dossiers fort peu reluisants pour un ancien chef de l’Etat et pas plus glorieux pour celle qui ambitionne de le devenir. Disons-le :
il n’est pas illégitime qu’un débat puisse avoir lieu autour de l’exécution provisoire des peines, mais force est de constater que Sarkozy, comme Le Pen et l’ensemble de leurs soutiens, ne s’en sont jamais préoccupés avant que cela les concerne directement.
Il en va de même pour les conditions de vie le plus souvent indignes dans les prisons françaises, où l’ancien chef de l’Etat assure qu’il ira dormir «la tête haute».
Quant à l’infraction d’«association de malfaiteurs», qui a valu cinq ans de prison ferme à l’ancien président et qui est largement utilisée en matière de terrorisme comme de grand banditisme, il convient de rappeler que la gauche (Robert Badinter) l’avait supprimée en 1983 avant que la droite (Albin Chalandon) ne la rétablisse en 1986… pour ne jamais l’interroger depuis.
Cette mécanique de diversion visant à tirer à boulets rouges sur la justice intervient d’ailleurs presque à chaque fois qu’un responsable politique de premier plan ne passe pas entre les mailles du filet et se retrouve reconnu coupable. Chaque fois, on entend les intéressés se draper dans les grands principes en affirmant de façon grandiloquente être des sortes de nouveau capitaine Dreyfus et en déclarant qu’à travers eux, c’est l’état de droit (qu’ils brocardent dès qu’ils en ont l’occasion) qui est attaqué. La ficelle de la victimisation est grosse, mais elle sature la discussion.
Berlusconisation ou trumpisation
Dans tout ce brouhaha fait d’approximations et de contre-vérités, il serait salutaire d’en revenir aux faits plutôt que d’en rester à leur interprétation orientée et toxique. Même si leur sort bénéficie logiquement d’un retentissement hors norme, non, Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy n’ont pas été plus maltraités ou tout simplement moins bien traités que la moyenne des justiciables. Au contraire, même : l’ancien chef de l’Etat aurait très bien pu être menotté dans l’enceinte du tribunal et dormir en prison dès le soir même. Cela a d’ailleurs été le cas pour deux autres prévenus reconnus coupables dans ce dossier et qui ont, eux aussi, fait appel de leur condamnation.
Si l’on dézoome quelque peu du tumulte de ces derniers jours, on se dit que Nicolas Sarkozy aura quand même fait beaucoup de mal à l’institution judiciaire comme à l’équilibre des pouvoirs. Lorsqu’il était à la tête de l’Etat, comme chaque fois qu’il est sorti d’un tribunal avec une nouvelle condamnation ces dernières années. On ne peut que constater qu’il aura aussi grandement contribué, par la multiplication de ses condamnations, à alimenter la défiance des citoyens à l’égard de leurs représentants.
Tout cela témoigne, et chacun choisira l’image qui lui parle le plus, d’une berlusconisation ou d’une trumpisation de notre société qui n’est pas de bon augure. Une dérive où des juges se retrouvent menacés à titre personnel dans un climat alimenté par des (ir)responsables politiques qui en font de fait des cibles. Dans ce contexte inquiétant, il apparaît urgent de défendre l’action du Parquet national financier, de répéter encore et encore (tant que c’est le cas) que la justice est bien indépendante dans notre pays et de fustiger tous les politiques qui dénoncent un «gouvernement des juges» quand la justice est aussi peu laxiste avec eux qu’avec un citoyen lambda. Nicolas Sarkozy a tout à fait raison quand il affirme que, s’il n’est pas au-dessus des lois, il n’est pas non plus en dessous des lois.
Mais on a aussi le droit de ne pas tomber dans le panneau car c’est bien en droit qu’il a été jugé.
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