Face à l’hypothèse d’un affrontement avec la Russie, le général Mandon choque pour préparer les
esprits
Le général Mandon a décidé de choquer, parce que le temps file
dangereusement. Lors de son intervention mercredi devant les maires de
France, il a lancé un avertissement retentissant sur les sacrifices à faire,
humains comme financiers. L’hypothèse d’un affrontement avec la Russie fait
partie des hypothèses que les armées européennes étudient désormais avec
inquiétude. La Russie se prépare, « je le sais », a-t-il affirmé. Le chef d’état major
des armées a évoqué l’horizon 2030. Il a demandé à ses soldats d’être
prêts dans « trois ou quatre ans ». Mais le calendrier est potentiellement plus
incertain.
Partout en Europe, la possibilité d’un conflit à brève échéance est étudiée. De
l’autre côté du Rhin, l’Allemagne envisage aussi un scénario noir. Dans une
interview à la Frankfurter Allgemeine Zeitung, le ministre de la Défense, Boris
Pistorius, a évoqué une accélération. « Les experts militaires et les services de
renseignements peuvent évaluer quand la Russie aura régénéré ses forces et
pourra être en mesure de mener une attaque contre un membre de l’Otan, at-
il expliqué. Nous avons toujours dit que cela pouvait être le cas à partir de
2029. Mais certains disent que ce serait envisageable dès 2028 et certains
historiens militaires pensent même que nous pourrions avoir vécu notre
dernier été en paix », a-t-il prévenu.
Si Vladimir Poutine a décidé de tester l’Alliance atlantique, il réfléchit à une
fenêtre d’opportunité pour passer à l’acte. Une course contre la montre est
enclenchée. À la fin de la décennie, l’armée russe pourrait compter 2 millions
de soldats, a prévenu le général Mandon. Elle « produit plus de matériels
militaires qu’elle n’en consomme en Ukraine », a-t-il ajouté. Lorsqu’il était
ministre des Armées, Sébastien Lecornu ajoutait qu’un arrêt des hostilités en
Ukraine permettrait mécaniquement à Moscou de compléter ses stocks à une
cadence plus rapide.
À courte échéance, la Russie ne semble pas en mesure de mener à la fois un
effort de guerre en Ukraine et de risquer une confrontation ailleurs. Mais si elle
obtenait une démilitarisation, partielle ou non, de l’Ukraine, elle pourrait
redéployer ses ressources. Elle a déjà commencé à repenser son organisation
militaire aux frontières de l’Europe.
Pour analyser le calendrier d’une confrontation, les experts militaires, au sein
des services de renseignements comme de l’état-major, croisent la possibilité
d’un cessez-le-feu en Ukraine, l’état de l’armée russe, celui des forces
occidentales, les scénarios d’un choc avec l’Occident et le contexte
géopolitique. Et au bout du compte, il restera la décision ultime et secrète
d’un autocrate. L’analyse est subjective, admet un expert.
La fin du mandat de Donald Trump, en janvier 2029, fait partie des données de
l’équation. Le président américain aurait-il la volonté et les moyens de
s’opposer à une montée en agressivité de Vladimir Poutine ? Quelles seront
les priorités stratégiques de son successeur élu en novembre 2028 ? Les
relations entre les deux rives de l’Atlantique pourraient être au point le plus
bas. Le vice-président JD Vance ne cache pas son désintérêt pour l’Europe. Au-delà
de l’appréciation de Donald Trump, les États-Unis considèrent par ailleurs
leur compétition pour le leadership mondial avec la Chine comme prioritaire. «
Au Pentagone, une horloge visible de tous les officiers fait le décompte avant
2027 », a déclaré, dans une confidence surprenante, le général Mandon lors de
son intervention devant les maires de France. « Pour les États-Unis, la Chine
(pourrait) s’emparer de Taïwan en 2027 », a-t-il ajouté. Pékin pourrait décider
de reconquérir l’île par la force à cette échéance. Militairement, elle détient les
moyens nécessaires. Dans l’hypothèse de fronts multiples, un cas de figure qui
préoccupe beaucoup à l’Otan, la Russie pourrait choisir de coordonner, avec son alliée, sa propre offensive contre l’Europe.
À la question de la date du choc s’ajoute-t-elle celle de sa nature. Les cellules de prospectives de l’état-major comme les think-tanks ont commencé à travailler sur des scénarios. Dans son discours, le général Mandon a précisé qu’il ne s’agirait évidemment pas de défendre l’Alsace contre les chars russes, mais de s’engager « par solidarité » avec un État du flanc est, qui subirait une attaque. Les plans de défense de l’Otan se focalisent sur la menace d’une invasion, une tentative russe de prendre un gain territorial dans un pays Balte ou autour du corridor de Suwalki, qui sépare l’enclave de Kaliningrad de la Biélorussie. La Russie testerait la solidité de l’article 5 de l’Alliance atlantique. Mais d’autres possibilités existent de mettre à l’épreuve l’Alliance. Dans un long article, le spécialiste des questions militaires Stéphane Audrand a exploré le scénario d’une nouvelle « bataille de l’Atlantique », en jugeant les moyens européens insuffisants face à des opérations de drones sous-marins et de sous-marins russes.
La Russie pourrait aussi être tentée d’agir dans d’autres domaines, où elle détient des capacités déjà prêtes à l’emploi. Elle dispose de moyens d’action dans l’espace, alors que les Européens n’en ont pas encore. Dans le cyber, où le temps de préparation et de pré-positionnement est crucial, les capacités de nuisance de la Russie sont établies. La menace a été jugée « particulièrement inquiétante » par le nouveau commandant de la cyberdéfense, le général Naëgelen, dans une interview parue cette semaine dans Libération.
L’hypothèse d’une confrontation divise cependant les spécialistes, certains considérant que l’agressivité de la Russie vis-à-vis de l’Europe est aussi la conséquence du soutien occidental à l’Ukraine. Sous-entendu : si les Européens entendent les inquiétudes russes sur l’extension à l’est de l’Otan, Moscou pourrait faire retomber la pression. Ce n’est pas l’analyse retenue parle général Mandon.
Vladimir Poutine observe aussi le réarmement européen et constate, inévitablement, sa lenteur. S’il veut tenter un coup de force, le président russe pourrait être tenté à un moment d’accélérer, même si ce scénario paraît irrationnel. Mais les services de renseignements français ne croyaient pas, en2022, à l’invasion de l’Ukraine, tant elle leur paraissait vouée à l’échec. Le président russe a quand même déclenché la guerre…
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