Il y a un article dans le Figaro qui résume bien la problématique Benzema. En voici quelques extraits :
Karim Benzema, influenceur décomplexé d’un islam culturel
RÉCIT - Accusé par Gérald Darmanin de «liens notoires» avec les Frères musulmans, le footballeur est à tout le moins le porte-étendard d'une jeunesse arabe qui se cherche une incarnation.
(...)
En la matière, l’ancienne vedette du Real Madrid, recrutée en septembre par le club saoudien d’Al-Ittihad, n’a jamais reconnu une quelconque allégeance. En revanche Karim Benzema, personnalité publique suivie par près de 142 millions d’internautes sur Instagram, Facebook et Twitter, a disséminé çà et là ces dernières années sur les réseaux sociaux des preuves de sa sympathie pour un mode de vie musulman, tel qu’il est pratiqué en Égypte ou dans les pays du Golfe ; des signaux assez discrets pour rester sujets à l’ambiguïté, mais suffisamment appuyés pour susciter l’engouement de ses fans, et les polémiques de ses détracteurs.
Ces derniers lui reprochent notamment, après l’assassinat de Samuel Paty en 2020, de s’être fait prendre en photo aux côtés de l’imam de la mosquée Al-Badr à Meaux, Nourdine Mamoune, dont le domicile venait d’être perquisitionné. Karim Benzema avait d'ailleurs porté plainte contre le militant de Reconquête ! Damien Rieu qui lui reprochait cette image. Jugé en septembre, ce dernier a remporté son procès, la justice n’ayant pas considéré ses tweets comme diffamatoires. Damien Rieu s’était défendu à l’audience, en rappelant que le footballeur avait «liké» sur Instagram une publication du combattant de MMA Khabib Nurmagomedov où celui-ci écrivait notamment après le meurtre de l’enseignant devant le collège de Conflans-Sainte-Honorine : «Qu'Allah fasse descendre son châtiment sur celui qui empiète sur l'honneur du prophète». «Le tribunal a reconnu que j’avais parfaitement le droit de dénoncer les ambiguïtés islamiques du ballon d’or», s’était d’ailleurs félicité le militant du parti d’Éric Zemmour.
Pèlerinage à La Mecque et médecine traditionnelle
Au-delà de ces ambiguïtés, la vedette de foot qui a fait le choix, comme d’autres footballeurs en fin de carrière, de partir jouer en Arabie saoudite, affiche très largement sa foi musulmane sur les réseaux sociaux. Le 7 août, il publie une vidéo face caméra d’un pèlerinage à La Mecque, en train d’effectuer ses tours de la Kaaba, monument sacré de l’islam.
À la fin du mois de septembre, le joueur s’affiche cette fois en tenue traditionnelle saoudienne à l’occasion de la fête nationale du pays, le drapeau vert de l’Arabie saoudite posé derrière lui sur un fauteuil. On peut y lire la chahada, la profession de foi de l’islam, accompagné d’un sabre, symbole de justice et de conquête. Dans les commentaires de ses publications, les internautes sont très nombreux à appeler le joueur à se prononcer sur la Palestine, souvent d’ailleurs dans des commentaires rédigés en anglais ou en arabe - témoignant de la portée internationale de son audience. «Mashallah frère prie s’il te plaît pour les musulmans de Palestine», écrit l’un d’entre eux, qui semble en définitive avoir été exaucé.
Depuis plusieurs années déjà, le footballeur utilise sa communication sur les réseaux sociaux comme un vecteur d’influence au profit d’un soft-power arabo-musulman, au croisement entre le culturel et le religieux. Ainsi des clichés sur lesquels il pose torse nu, de dos, exposant comme des trophées les marques de ventouse qui strient ses épaules athlétiques. Il s’agit des stigmates laissés par la pratique intensive de la Hijama, une médecine traditionnelle controversée qui aurait été, selon le politiste du CNRS Bilel Ainine, conseillée par le prophète Mohamed à ses fidèles.
Le recours par Karim Benzema à la Hijama, et surtout la publicité qu’il lui donne, résume en somme la méthode rigoureuse avec laquelle le footballeur distille avec discrétion ses clins d’œil. Idem lorsqu’il pose en qamis sur Instagram, à côté d’un verre de lait ou d’un bol de dattes pour la rupture du ramadan. Sans jamais revendiquer explicitement sa piété, Karim Benzema saupoudre sa communication de marqueurs identitaires, plus que de slogans politiques ou religieux explicites. «Djihadisme d’atmosphère» ? Sûrement pas : plutôt un islam culturel et social, entendu comme un mode de vie englobant, revendiqué tout à la fois comme une fierté et une différence.
«C’est Allah contre Jésus»
Pour expliquer ce tournant de plus en plus affiché dans la construction de son personnage, les hypothèses vont bon train. De toute évidence, son exclusion de l’Équipe de France en 2016 marque un tournant, même s’il avait déjà toujours refusé de chanter les paroles de la Marseillaise, au motif que celles-ci sont trop guerrières - déchaînant déjà contre lui les critiques de la droite. Après sa mise en examen dans l’affaire de la sextape de Mathieu Valbuena, il accuse Didier Deschamps de l’avoir exclu de la sélection pour l’Euro 2016 à cause de préjugés racistes.
Mais ce tournant victimaire a-t-il été un accélérateur dans le rapport de Karim Benzema à l’islam comme un marqueur culturel alternatif, voire rival, de celui de certains coéquipiers ? En 2022, le journaliste Romain Molina s’intéresse à la rivalité entre Benzema et Giroud, et cite un cadre de la Fédération française de football qui s’inquiète du raidissement de ce qu’il désigne comme un affrontement communautaire. «C’est Allah contre Jésus», aurait dit la source de Romain Molina, dans une formule restée tout à la fois anonyme et célèbre. La rivalité entre les deux joueurs est du reste attestée, là encore, par les signaux discrets qu’envoie Karim Benzema sur ses réseaux sociaux. Comme quand il «like» un message moqueur dans lequel un internaute tourne en dérision la foi chrétienne de son coéquipier. Ou un autre, plus violent, dans lequel l’un de ses fans évoque «cette chiquette de Giroud».
Parmi les journalistes sportifs qui suivent de près la carrière du joueur, d’autres évoquent aussi une double évolution : celle d’une part des banlieues françaises, dont les marqueurs identitaires sont de plus en plus religieux. «La culture des banlieues s’intéresse de plus en plus à l’orthopraxie musulmane, alors Karim Benzema évolue aussi en ce sens», décrit un commentateur sportif. Un agent de footballeurs souligne auprès du Figaro la dimension internationale du joueur : «Gérald Darmanin pense sans doute que Karim Benzema parle aux jeunes des quartiers en France. Ce n’est pas exact. En réalité, ses fans sont aussi et surtout en Algérie, en Égypte, en Arabie saoudite... Et là, les événements à Gaza ces derniers jours ont libéré une colère folle. Karim Benzema le sent et c’est pour cela qu’il doit réagir. Il parle à la jeunesse arabe du monde entier.» Ajoutant : «je ne pense pas qu’il est en lutte pour islamiser la France, comme Médine par exemple, mais plutôt qu’il se voit comme le porte-drapeau du monde arabe. Et ce rôle date de 2016, pas tant parce qu’il en a voulu à Deschamps mais surtout parce qu’il est devenu la vraie star du Real Madrid, après Ronaldo. Il a bénéficié d’une visibilité gigantesque, y compris et surtout hors d’Europe.»
(...)