

L’extrême droite contre l’école : « Grand Endoctrinement » et big data
Harcèlement d’enseignements, paniques morales sur les réseaux sociaux et théories complotistes : l’extrême droite d’Éric Zemmour, via le collectif « Protégeons nos enfants », cible l’école. Une manière de propager une parole LGBTIphobe et raciste, mais aussi de collecter les données de potentiels électeurs, dans le but de préparer les échéances électorales à venir.
«
En novembre dernier, à Valencienne, nous avons fait annuler une sortie scolaire. Il va falloir qu’ils s’y habituent ! »
se vantait Éric Zemmour lors d’un long entretien au journal d’extrême droite Causeur, en mars 2023.
«
Nous », ce sont les membres du collectif « Protégeons nos enfants », lancé par Éric Zemmour le 11 septembre 2022 et piloté par Agnès Marion, vice-présidente exécutive de Reconquête et proche de Marion Maréchal et de La Manif Pour Tous. Le politicien d’extrême droite sortait alors d’une défaite à l’élection présidentielle et, dans un discours de rentrée, expliquait à ses militants quelles allaient être les batailles à venir. En premier lieu desquelles : l’école. Grâce à un réseau de « parents vigilants », le collectif Protégeons nos enfants entend dénoncer les enseignements jugés trop en faveur de l’immigration ou des droits des LGBTI+
Et ces dénonciations vont souvent de pair avec le harcèlement des enseignants qui les dispensent.
Ainsi, à Valencienne, en novembre 2022, l’enseignante qui souhaitait emmener ses élèves visiter un camp de migrants a vu son nom relayé sur les sites de la fachosphère, avant de subir une campagne de harcèlement et de voir son adresse diffusée en ligne. Le rectorat de Lille a porté plainte après lui avoir accordé une protection juridique.
Raids numériques et guerre de civilisation
Depuis cet épisode, les affaires de ce genre n’ont cessé de se multiplier. « On constate globalement une attaque par semaine », assure Yannick Bilec, qui suit le dossier pour la CGT Educ’action. «
Pour l’heure, il s’agit surtout de harcèlement numérique. Même si des cas de tractages aux abords des établissements scolaires ont également été relevés », précise Fatna Seghrouchni, co-secrétaire fédérale de Sud-Éducation.
C
es attaques suivent toujours un mode opératoire bien rôdé :
« Une personnalité d’extrême droite dénonce sur les réseaux sociaux tel cours ou telle activité, s’ensuit une campagne de harcèlement en ligne, allant parfois jusqu’à la publication du nom et de l’adresse d’enseignants visés, et parfois d’un rassemblement. Ce sont de vrais raids numériques, destinés à faire pression sur les enseignants. Avec des comptes de personnalités publiques, du RN ou de Reconquête, qui retweetent d’autres comptes, qui eux-mêmes redirigent vers des canaux Telegram, qui eux vont diffuser des coordonnées personnelles. Ils ciblent des établissements mais aussi des personnes », continue Yannick Bilec.
Cette stratégie repose donc sur une répartition des rôles entre des acteurs et des réseaux à différents degrés d’anonymat. Sur les réseaux grand public et dans la presse, les responsables politiques s’indignent publiquement, faisant simplement part de leur inquiétude et usage de leur liberté d’expression. Ils laissent aux anonymes le soin d’organiser le harcèlement sur des réseaux plus cryptés.
Pour l’extrême droite, la bataille culturelle passe par l’école
« Pour l’extrême droite, l’école a toujours été au centre d’une bataille idéologique, rappelle le syndicaliste, y compris de la part de l’extrême droite, on se souvient des mobilisations contre les ABCD de l’égalité, et la Journée du Retrait de l’École organisée par Alain Soral et Farida Belghoul ». Le fond idéologique était déjà le même. « Ce qui est nouveau c’est la forme, le système qui est mis en place. Il y a une stratégie frontale, on cible des personnes, avec un harcèlement numérique, des campagnes de presse, et des fois, ça se passe dans la rue », continue-t-il.
À noter : le contraste entre la banalité des actions pédagogiques dénoncées – l’étude d’une chanson, l’intervention d’une association agréée, l’énoncé d’un exercice de mathématique… – et leur dénonciation comme autant de témoignages d’une école « à la dérive » et livrée à « l’idéologie woke ». Ce phénomène, c’est celui d’une « panique morale » : une série d’anecdotes, plus ou moins réelles, toujours présentées de façon malhonnête et exagérée. Elle construit un sentiment de menace majeure, ici la menace « woke », ou, comme le formule Éric Zemmour, un « Grand Endoctrinement », miroir de la théorie complotiste du « Grand Remplacement ».
Pour les militants pro Zemmour, l’école serait aux mains de « nombreux militants d’extrême-gauche et wokes » qui auraient « pris l’habitude d’endoctriner sans la moindre opposition » les enfants, les « poussant à désirer changer de sexe » et les soumettant à une « propagande anti-colonialiste », peut-on lire dans une pétition de Protégeons nous enfants.
Yanick Bilec souligne la dimension complotiste inhérente à ces discours, et relève aussi une jonction qui commence à s’opérer avec les réseaux complotistes liés à la crise sanitaire, notamment à travers le site Réinfocovid. Il y voit « une logique de PME, qui vise à prendre des parts de marché, ici à Philippot, qui avait été le premier à surfer sur ces mobilisations ».
Le grand recrutement
Au-delà du combat pour l’école, Éric Zemmour cherche à fédérer des militants et des électeurs. « L’école, c’est 12 millions d’élèves et le double de parents. La propagande de Zemmour, c’est un investissement sur le long terme. Il prépare déjà la présidentielle de 2027 », estime Fatna Seghrouchni de Sud-Éducation.
Pour cela, le chantre de l’exceptionnalisme français n’a pas hésité à recourir au savoir-faire américain.
Sur le site dédié à la campagne, le visiteur est accueilli par les grands yeux bleus et tristes d’une fillette blonde, et des messages sobres, l’invitant à quatre actions simples : signer une pétition, témoigner, s’abonner à une newsletter ou encore télécharger un tract à diffuser autour de soi. Mise à part la dernière, chacune de ces actions conduit à communiquer son adresse mail à l’éditeur du site, le parti Reconquête. Ce dernier pourra alors leur envoyer une newsletter « susceptible d’inclure des éléments de prospection politique ».
Le site signale aussi que les données personnelles des utilisateurs sont « susceptibles d’être transmises à la Nation Builder, situées (sic) aux États-Unis, qui assure notamment l’hébergement de nos sites internet et procède à des opérations de communications politiques ».
https://rapportsdeforce.fr/classes-en-l ... -062618484