Et sans les élections Européennes ?
Plan de «remigration» : Le Pen en «total désaccord» avec ses alliés allemands
La leader du RN s’est démarquée du projet de l’AfD, qui envisageait le transfert en Afrique du Nord de nombreux Allemands d’origine étrangère. Elle a évoqué une remise en question de leur alliance européenne.
Hors de question de se laisser pourrir la campagne européenne par les Allemands. C’est en substance ce que Marine Le Pen a dit aux journalistes lors de ses vœux à la presse parlementaire, ce jeudi 25 janvier à l’Assemblée, en prenant pour la première fois clairement ses distances avec ses alliés de l’AfD (Alternative für Deutschland), parti allemand d’extrême droite qui siège aux côtés du RN au Parlement européen, au sein du groupe du groupe Identité et Démocratie (ID). Il faut dire que plusieurs hauts cadres de l’AfD se sont retrouvés aux côtés de néonazis lors d’une réunion secrète à Potsdam pour discuter de la «remigration» de près de 2 millions de «citoyens allemands non assimilés» vers un «Etat modèle» en Afrique du Nord. Après la révélation de cette réunion par le site Correctiv, des manifestations ont éclaté partout en Allemagne, réunissant près de 1,4 million d’antifascistes le week-end dernier.
«Que les choses soient extrêmement claires, je suis en total désaccord la proposition qui aurait été discutée […] dans le cadre de cette réunion, a répondu Le Pen, interrogée sur le sujet. Je l’ai dit et redit cent fois et mon propos est extrêmement clair : nous défendons tous les Français, quelle que soit leur condition d’acquisition de la nationalité. Jamais nous n’avons défendu, je pense depuis le départ de Jean-Yves Le Gallou [un ancien cadre du FN, parti au moment de la scission avec Bruno Mégret en 1999, aujourd’hui proche d’Eric Zemmour, ndlr], une quelconque remigration dans ce sens que la remigration voudrait dire que l’on retirerait la nationalité française à des gens qui l’ont acquise y compris acquis en vertu d’une condition que nous contestons.» Traduisons : même si elle est opposée au droit du sol, Marine Le Pen ne compte pas, une fois arrivée au pouvoir, retirer leur passeport aux Français qui en ont bénéficié.
«
Réveil des peuples»
Mieux : ce «désaccord» serait même de nature à remettre en cause l’alliance au sein d’ID. «Je considère que nous avons une opposition flagrante avec l’AfD et nous serons amenés à discuter ensemble de divergences aussi importantes que celle-là, voire si ces divergences ont ou n’ont pas […] des conséquences sur la capacité que nous avons à nous allier dans un même groupe», a cinglé la leader française. Et ce quand bien même elle a encore réitéré ne pas chercher au Parlement européen «des gens qui ont le même programme politique que nous», mais seulement sur «le règlement de copropriété», à savoir le périmètre à donner aux nations et aux institutions européennes sur les sujets essentiels.
Sauf que le gros million de manifestants allemands pourrait aussi éclabousser son côté du Rhin.
«La décision appartiendra à Jordan [Bardella, président et tête de liste européenne du RN], mais je ne compte pas passer la campagne électorale à me justifier, s’est agacée Le Pen. L’argument des Allemands c’est de dire qu’ils ont une organisation fédérale, donc c’est plus compliqué [car les différentes antennes locales de l’AFD sont plus indépendantes que celles du RN]. Mais moi je me moque de ces argumentations. Soit le parti AFD est tenu et ils ne font pas sporadiquement n’importe quoi, soit il n’est pas tenu».
Dans son discours liminaire à la presse, Marine Le Pen avait déjà pris soin d’omettre l’AfD dans la liste des mouvements amis ayant le vent en poupe. «Depuis des mois nous assistons au réveil des peuples autour de nous et dans le monde», s’était-elle réjouie, citant «l’élection législative au Portugal où notre allié Chega s’affirme comme force importante, en Flandre avec le Vlaams Belang, en Autriche avec le FPÖ [dont le secrétaire général Christian Hafenecker a déclaré que «la remigration est le mot d’ordre du moment»], en Roumanie, en Slovaquie et bien sûr en ce milieu d’année avec les élections européennes qui peuvent bousculer l’Union européenne.»
«
Expulsions d’indésirables»
Le RN aurait déjà tiré un trait sur cet encombrant allié, auquel les sondages promettent autour de 22 % aux élections du neuf juin ? Pas encore. Pour le moment, les deux partis travaillent ensemble au sein d’ID. La perte de la délégation allemande présente en outre un risque pour l’existence même du groupe, qui doit réunir des parlementaires d’au minimum sept nationalités différentes pour se constituer. ID n’en rassemble plus que… huit. Devant les journalistes, jeudi matin, la cheffe du RN a balayé toute inquiétude à ce sujet. «Les groupes politiques se détermineront à l’issue des élections, s’est-elle rassurée. Si je puis me permettre, les élections rebattent systématiquement les cartes.»
Sur le fond, Marine Le Pen reste tout de même en faveur de la déchéance de nationalité «en cas de commission d’un acte incompatible avec la qualité de Français ou préjudiciable aux intérêts de la nation», dont la loi précisera la nature, renseigne de façon assez floue son programme de la dernière présidentielle. En 2019, l’ancienne candidate visait par exemple les jihadistes français partis combattre en Syrie. En 2022, la même avait décidé d’abandonner le dogme frontiste de l’interdiction de la double nationalité, ce qui avait semblé être un pas vers la normalisation de son parti qui admettait désormais que les binationaux étaient des Français à part entière. Mais à l’époque, une note interne envoyée aux cadres par Philippe Olivier, le conseiller de la patronne, présentait la mesure comme… une manière détournée de déchoir plus facilement des binationaux. C’est-à-dire de les expulser ou, en langage identitaire, de les «remigrer». «
La détention d’une double nationalité permet les expulsions d’indésirables et une déchéance de nationalité française en toute légalité internationale en se gardant notamment de créer des apatrides», disait la note, révélée par Libé.
Tout est dans le choix des mots. Et dans le nombre de personnes que ces propositions jettent dans la rue pour manifester.
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