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Qui se cache derrière «Réseau libre», ce site qui appelle à éliminer des avocats s’opposant au RN ?
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Le site d’extrême droite a dressé une liste d’avocats «à neutraliser». Créé en 2015, ce torchon de haine est lié à un militant d’extrême droite exilé en Russie, que la France avait échoué à faire extrader.
par Jacques Pezet
publié le 4 juillet 2024 à 20h24
La publication a été l’objet d’une condamnation unanime, au-delà du monde de la justice.
Jeudi 3 juillet, le site «Réseau libre» a diffusé une «liste des avocats à éliminer», pour s’être rendu coupable d’avoir signé une tribune contre le Rassemblement national dans Marianne. Le bâtonnier de Paris a immédiatement saisi la procureure de la République de Paris pour signaler ces menaces de morts contre 98 avocats, principalement installés à Paris et à Caen.
Sur le réseau social X (anciennement Twitter), le ministre de la Justice et ancien avocat pénaliste, Eric Dupond-Moretti, s’est joint à eux dans un message, où il «condamne avec la plus grande fermeté la publication par un site d’extrême droite d’une liste d’«avocats à éliminer». Ceux qui veulent la mort de nos libertés commencent toujours par s’en prendre aux avocats». Il promet qu’il «ne les [laissera] jamais faire».
Je condamne avec la plus grande fermeté la publication par un site d’extrême-droite d’une liste d’ « avocats à éliminer ».
Ceux qui veulent la mort de nos libertés commencent toujours par s’en prendre aux avocats.
Je ne les laisserai jamais faire. https://t.co/nV2hGPiXXo pic.twitter.com/7lnG7J5kZg
— Eric Dupond-Moretti (@E_DupondM) July 4, 2024
Cette réaction a eu pour effet de susciter une réaction aussi violente que la publication d’origine. Dans un nouveau billet, Condor (un pseudonyme) renouvelle ces menaces : «La légitime défense contre ces véritables fachistes impose de les neutraliser. Les neutraliser avec les moyens nécessaires.» Plus loin, il traite le bâtonnier de Paris, Pierre Hoffman, d’«ordure» et ajoute : «Tu mérites d’être le premier dont la tête tombera dans le panier !»
Dans son premier, Condor fanfaronnait à propos de l’anonymat dont il semble assuré de jouir, ainsi que sa communauté : «Nous ne sommes pas formellement identifiés, nous ne serons pas arrêtés, et nous serons peut-être condamnés, on s’en tape !»
Serveur situé en Russie
Depuis sa création, Réseau Libre se targue d’être hors de portée de la justice française. Créé en septembre 2015, sous le nom d’Eurocalifat, ce site d’extrême droite met en avant que son «serveur étant situé en Russie, seules les lois de la Fédération de Russie s’appliqueront, et aucune donnée de connexion ne sera communiquée à quiconque sans un ordre judiciaire d’un tribunal russe». En 2023, après cinq années de pause, ce «réseau des patriotes» s’est relancé avec toujours comme ligne directrice la haine des étrangers et des minorités.
Lors de son lancement, le site se présente comme étant constitué d’une équipe de rédacteurs ayant à leur actif «une importante expérience de l’information en ligne et issus de Liberty-Web, SOS-Racaille, Libertyvox, Fdesouche, Euro-Reconquista», des sites phares de la fachosphère du début des années 2000. Se présentant comme l’ennemi de «toute la racaille de France» soit les «politicards, pédérastes, immigrés, immigrationnistes, bobos, collabos, juges rouges, police et gendarmerie vendus à l’occupant immigré», Réseau Libre indique avoir choisi d’être hébergé en Russie «pour éviter la censure de l’Etat collaborationniste français».
Résultat, le site est un véritable torchon, où chaque pseudonyme peut publier des textes ou des commentaires haineux. Sur Réseau Libre, des billets appellent à «flinguer les manouches», promettent «la valise ou le cercueil» à la journaliste racisée Nassira El Moaddem, ou souhaitent éliminer les personnes trans. Cachés par leurs pseudonymes, les rédacteurs du site ont une parole raciste et homophobe débridée : les homosexuels sont qualifiés de «pédérastes» ou de «fiottes», les noirs de «nègres».
Les provocations de Réseau Libre ne se limitent pas qu’à être un forum de haine en ligne. Parfois le site se transforme en média, comme lorsqu’il interviewe Patrick Jardin, le père d’une victime des attentats du 13 novembre devenu militant politique du parti d’extrême droite Reconquête ou encore Pierre Cassen, le fondateur du site ouvertement islamophobe Riposte laïque. Ce dernier peut librement y exposer sa vision d’une France idéale, où «les policiers [peuvent] tirer sans problème sur les délinquants», où «on [interdit] toute visibilité de l’islam» et où «la dictature des minorités, féministes, LGBT, homosexualistes, musulmans [est] éradiquée sans pitié».
Conseils techniques pour perpétrer des attentats
En dehors de ces provocations verbales, Réseau Libre mène également des actions de harcèlement, comme lorsqu’il enjoint sa communauté à appeler directement Raphaël Glucksmann sur son numéro de téléphone personnel, alors dévoilé.
Mais les faits les plus graves ont été révélés dans une enquête très documentée de Mediapart, publiée en avril 2019, qui rapportait que «certains membres du site Réseau libre ont cherché à perpétrer des attentats visant la communauté musulmane». Le média y documente que Réseau Libre, avant sa fermeture en 2018, était un lieu de rencontre pour les suprémacistes blancs, qui y échangeaient des plans et des conseils techniques pour se fournir en armes et perpétrer des attentats contre la communauté musulmane.
Dans cette enquête, Mediapart estime avoir identifié l’administrateur du site qui serait Joël Michel Sambuis, un ancien militant d’extrême droite français de 64 ans, condamné pour «détention d’armes» en marge d’un groupe paramilitaire effectuant des opérations armées, «escroquerie», «faux et usage de faux». L’homme s’est exilé en Russie en 1998 à l’aide d’un faux passeport. Joël Michel Sambuis occupe une place importante dans l’Internet d’extrême droite français, puisqu’il est soupçonné d’être le fondateur de plusieurs sites islamophobes et suprémacistes, dont SOS-Racaille, qui avait inspiré l’attentat contre Jacques Chirac, le 14 juillet 2002. Un an plus tard, comme le rapportait le Monde, Joël Michel Sambuis avait été arrêté à Moscou dans le cadre d’une opération de police franco-russe, mais finalement la Russie avait refusé de l’extrader en 2004. Le présumé cerveau de SOS-Racaille avait demandé l’asile à Vladimir Poutine, en septembre 2003, se disant «persécuté pour des raisons politiques».