Rien d'étonnant finalement.
A l’enterrement de Jean-Marie Le Pen : chants grégoriens et retrouvailles entre skinheads
A La Trinité-sur-Mer dimanche, après la cérémonie en famille, ouverte à quelques grappes de Trinitains, les admirateurs du «Vieux» côtoient les nostalgiques du IIIe Reich dans les rues et les bars.
Samedi, à la Trinité-sur-Mer (Morbihan). Dans les 500 personnes marchent en direction du cimetière, derrière le corps sans vie de Jean-Marie Le Pen. La procession se fait au son des binious. Une fanfare bretonne en tenue traditionnelle accompagne la chose. Tout le clan est là. L’ancienne femme, Pierrette, les filles et les petits-enfants, Marine, Yann, Marie-Caroline, Marion Maréchal… Certains applaudissent au passage du corbillard. Des badauds venus voir «l’enfant du pays». On va descendre le fondateur du FN dans le caveau familial : tombe en granit et croix celtique, sous un arbre éternel. Dedans, déjà : Pierre, Jean, Marie… Bientôt : «Jean-Marie : 1928-2025».
Des gardes du DPS, pour «Département Protection Sécurité», le service d’ordre du parti d’extrême droite, encadrent la marche. Ils vont entonner une Marseillaise sur la tombe. Aucun débordement. On dénombre quand même un autocollant «Action antifasciste», retrouvé dans un abribus du port, malgré la quinzaine de cars de CRS autour. Plus tôt, les proches du défunt ont assisté à une messe à l’église Saint-Joseph. Couronne de fleurs «les députés du Vaucluse». Un portrait de Le Pen trônant devant l’autel. Le même que celui de la campagne pour la présidentielle 2002, celle du 21 avril et du second tour : noir et blanc, Saint James, coupe en arrière. La «stricte intimité familiale» est relative.
Dans l’église, des Trinitains par grappes ont été invités à entrer pour finir de garnir les bancs. Il y a deux caméras et un photographe (de la société de com e-Politic) pour immortaliser la chose. Messe par le père Dominique le Quernec. On prie pour «un papa, un papy, un ami fidèle», dit un homme au pupitre. Plus tard : chants grégoriens. Sur le livre de messe : «L’avenir commence toujours demain.»
On distribue un fascicule aux invités : «Jean-Marie Le Pen : une vie au service de la France», son œuvre − les parties acceptables. «
Celui qui a survécu à trois guerres, à d’innombrables agressions, à un naufrage, à un incendie, et que le sort fit échapper à un accident d’avion, celui qui réchappa à plusieurs attentats, rejoint aujourd’hui la cohorte des combattants morts pour la liberté.» Rien que ça. Dehors : 200 curieux. Des gens de la Trinité, Vannes et autres bleds du coin, même d’Arles. Il y a Bruno, veste en cuir, Jacqueline, en manteau de fourrure type léopard, Nad’, une blonde très maquillée. «Jean-Marie [Le Pen] était un lanceur d’alerte, un type hors du commun, brillant, une force de la nature au courage phénoménal», dit l’un d’eux. «
Si seulement il avait été élu, soupire un autre. Ça serait pas toute cette merde avec les Arabes.»
Plus loin, près du monument aux morts, ou trouve aussi «Tchoupi», d’Arradon. Un Spitz roux de trois ans. Il aime sauter sur les genoux et remuer le popotin. Il n’a aucune idée de qui était Jean-Marie Le Pen. L’homme du «détail de l’histoire», du «Durafour crématoire», de «l’inégalité des races», etc. etc. Un «sacré bonhomme», selon un type. Il se désole de la scène de liesse survenue à Paris le soir de l’annonce du décès du «Vieux», à 96 ans. «Ça respecte même pas un mort. Ces gens, ce sont des délinquants et des drogués, des bons à rien. On ne sait même plus s’ils sont des mâles ou des femelles.» Il regarde la population amassée devant l’église, blanche, plutôt âgée : «C’est ça, la France.»
«Tu connais petain.net ?»
Débarque d’ailleurs un groupe d’une vingtaine, composé en partie de skinheads : blousons noirs, vêtements militaires, certains cagoulés, écusson tête de mort des troupes aéroportées «le diable rit avec nous». Il y a Jimmy, un trapu, costaud, bomber et kilt, barbe blanche, béret vert de la légion, dessins sur le visage et les mains. Un autre rasé fait voir son tatouage sur le crâne. Il y a le chanteur d’un groupe de oi! bretonne, Malfrat. Et aussi Lancelot Galey, ex-membre du GUD, fondateur d’une application de chant où l’on trouve des marches du IIIe Reich.
Le soir, tout ça va s’ambiancer dans un bar du port. Discussions classiques entre skinheads, on se tape dans le dos, on trinque. Machin raconte à truc la fois où il a mis une droite à un camarade : «Brrrraaaaaa.» Sept points de suture pour l’autre, sur la joue. Un gus chante «à la clai-reu branlette, j’ai sorti mon poireau». Ça se donne donc des conseils musicaux : «Tu connais petain.net ?» Le Spotify des néonazis. L’un d’eux explique qu’il se ferait bien tatouer une croix celtique sur le torse. On fait aussi dans le conseil vestimentaire (de skin) : «Pour mon bomber, j’ai pris un Alpha industries. Regarde mes bretelles rouges : cinq balles dans une friperie. Harrington, c’est de la qualité.» Devant la scène, un habitué des lieux trouve d’un coup l’ambiance sympathique : «Je vous offre un verre ?»
«Ça serait bien que ça parte en steak»
On boit à «Jean-Marie». Ça chante «j’avais un camarade». Ça enchaîne les bières. Il y en a un qui est originaire de Concarneau. Dans la vie, il fait de l’intérim. Un vrai intellectuel. Sur sa table de chevet, on trouve «la Bible, la Doctrine du fascisme de Benito Mussolini, et l’Allemagne renaît d’Hermann Göring». Achetés sur Amazon. «Hitler était un personnage intéressant, mais considéré comme un modéré.» «Dans notre mouvement, qu’il dit, on cherche l’excellence génétique, idéologique. On a cet esprit de compétition.»
Jeudi prochain, il devrait débarquer à Paris, pour la messe hommage à Jean-Marie Le Pen à l’église Notre-Dame du Val-de-Grâce. «Ça serait bien que ça parte en steak. Faudrait taper un grand coup, flinguer tous les politicards en même temps. Les préfets, on devrait leur casser la tête. Tu en vois un là et “paaaaa” sur l’arrière du crâne».» Il mime un coup de barre à mine. Quand soudain, sans que l’on sache pourquoi : «L’alcool, avant, ça valait que dalle. Maintenant, ça coûte une couille.» Le bar où l’on se trouve est au milieu de deux autres troquets. A gauche, le Bigorneau, où le RN passe sa soirée. L’autre, à droite, a fermé ses portes dans l’après-midi «suite à des comportements regrettables».
Un couple s’est cru malin d’y faire des saluts nazis.
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