Fallait pas être malin pour prévoir qu'augmenter les droits de douane de ses principaux clients et founisseurs allait fiche le bordel: désorganiser complètement les chaînes de production de l’industrie automobile et de renchérir d’environ 3 000 dollars le coût d’un véhicule neuf sur le territoire des Etats-Unis!

Une mesure aux antipodes du soutien que M. Trump entend apporter aux constructeurs de Detroit, et qui lui a valu un torrent de critiques.
Après la Colombie, le Mexique et le Canada : les tarifs douaniers de 25 % décidés pendant le week-end contre le Mexique et le Canada et qui devaient entrer en vigueur mardi 4 février n’ont même pas été mis en œuvre.
Ils ont été suspendus lundi 3 février pour au moins un mois. Cette folle journée avait commencé par un début de krach à Wall Street, les marchés paniquant soudain, alors qu’ils n’avaient jamais pris au sérieux les menaces de Donald Trump. Puis est arrivé un premier accord avec le Mexique dans la foulée d’un entretien entre M. Trump et son homologue mexicaine, Claudia Sheinbaum.
« Le Mexique renforcera immédiatement la frontière nord avec 10 000 membres de la garde nationale pour empêcher le trafic de drogue du Mexique vers les Etats-Unis, en particulier le fentanyl. Les Etats-Unis sont déterminés à œuvrer pour empêcher le trafic d’armes de grande puissance vers le Mexique. [Les Etats-Unis] suspendent les tarifs douaniers pendant un mois à partir de maintenant », a écrit sur X la présidente Sheinbaum. « Je me réjouis de participer à ces négociations avec la présidente Sheinbaum, alors que nous tentons de parvenir à un “accord” entre nos deux pays », confirme Donald Trump sur son réseau Truth Social. La Bourse se ressaisit et l’indice S&P 500 finit en baisse limitée de 0,76 % tandis que l’indice Nasdaq riche en technologies recule de 1,2 %.
A cette heure-là, le cas du Canada n’était toujours pas réglé. Il a fallu attendre un deuxième entretien avec le premier ministre Justin Trudeau. A 16 h 35, heure de Washington, l’annonce tombe : les mesures de rétorsion sont suspendues. M. Trudeau promet en échange la mise en place d’un plan frontalier de 1,3 milliard de dollars, avec le « renforcement de la frontière avec de nouveaux hélicoptères, de nouvelles technologies », la nomination d’un haut responsable chargé de lutter contre le fentanyl et l’ajout des cartels mexicains à la liste des entités terroristes. « Les tarifs douaniers proposés seront mis sur pause pour au moins trente jours, pendant qu’on travaille ensemble là-dessus », se réjouit M. Trudeau.
Les marchés pas très loin du point de rupture
Cette technique de menaces et de chantage a interloqué les observateurs sur la méthode Trump. Ce bluff conduit peut-être à des concessions immédiates mais il crée des incertitudes massives et une instabilité permanente pour les investisseurs et partenaires politiques des Etats-Unis. Pourquoi le président a-t-il imposé des droits auxquels bien peu croyaient alors que selon le Wall Street Journal, les équipes américaines et mexicaines négociaient encore vendredi à la veille du décret présidentiel ? Pourquoi faire marche arrière si rapidement, au risque de rendre tout futur bluff inopérant ? Ce scénario était-il prémédité ou s’agit-il d’un chaos digne du premier mandat de Donald Trump ?
Plusieurs explications. D’abord, la chute de Wall Street, qui est un baromètre auquel Donald Trump prête attention, était sérieuse. Les marchés n’étaient pas très loin du point de rupture, quand l’annonce de l’accord provisoire avec le Mexique les a faits rebondir.
« Politique d’intimidation »
Stratégiquement, l’attaque contre les propres alliés des Etats-Unis est jugée absurde, comme en attestaient les commentaires de Larry Summers, ancien secrétaire au Trésor de Bill Clinton.
« Les tarifs douaniers de Donald Trump constituent une stratégie d’intimidation. L’intimidation n’est pas une stratégie gagnante dans le temps, que ce soit sur la scène nationale ou internationale », écrivait dimanche M. Summers, estimant que Donald Trump faisait « un cadeau stratégique à Xi Jinping ». Le président chinois « se voit offrir une excuse pour ses échecs économiques et une porte ouverte supplémentaire à tous nos alliés alors que nous prouvons notre manque de fiabilité par notre politique d’intimidation ».
Les Etats-Unis ont sans doute davantage besoin du Mexique, pour leur industrie automobile et le contrôle de la frontière. Cette situation peut expliquer qu’un accord soit intervenu rapidement tandis que M. Trump prenait un malin plaisir à maltraiter le Canada, qui n’est nullement responsable de la crise du fentanyl ni de la crise migratoire. Mais l’humiliation Trump a suscité un regain de fierté au Canada augurant d’une riposte ferme, dans la limite des moyens du pays.
Donald Trump n’a jamais parlé de fentanyl dans ses déclarations lundi à la Maison Blanche, ce dossier étant manifestement un prétexte à ses obsessions tarifaires. Il semble pour l’instant décidé à poursuivre dans cette veine. Dans la journée, il a continué de distiller ses menaces vis-à-vis de l’Europe, s’indignant de ce qu’il n’y ait pas de voiture Ford ou Chevrolet dans les rues de Munich. « Chacun de ces pays meurt d’envie de conclure un accord. Vous savez pourquoi ? Parce qu’ils nous arnaquent vraiment gravement et c’est pour ça que nous avons 36 000 milliards de dollars de dette. Nous l’avons parce que nous faisons de mauvaises affaires avec tout le monde et nous ne permettons plus cela », a déclaré Donald Trump dans son bureau Ovale.
En réalité, il s’agit d’un « bluff à la Pyrrhus ». Plus personne à l’avenir n’aura confiance dans la parole des Etats-Unis, Donald Trump ne respectant même pas le traité de libre-échange avec le Canada et le Mexique qu’il avait lui-même négocié lors de son premier mandat.