Corvo a écrit : ↑26 avril 2025 07:46
Qu'en pense et qu'en dit le monde éducatif de ce forum ?...
Trois professeurs racontent comment le discours d’extrême droite s’est banalisé au sein du corps enseignant de leur collège ou leur lycée.
Propos sexistes, racistes, transphobes… S’ils restent minoritaires, ces discours gagnent aussi du terrain en salle des profs, portés par un climat politique plus radicalisé.
Chez les enseignants, le vote pour l’extrême droite n’est plus anecdotique : il a bondi en quinze ans, en passant de 1 % à la présidentielle de 2007 à 25 % en 2022, selon une enquête du chercheur au CNRS Luc Rouban. Trois professeurs racontent à Libé leur inquiétude face à la banalisation de propos réactionnaires au sein de leur établissement.
«
Une liste syndicale avec de vrais idéologues à l’intérieur»
Hugo, 24 ans, professeur d’histoire-géographie dans un lycée à Savigny-sur-Orge (Essonne)
«Il y a deux ans et demi, une liste syndicale de quatorze profs s’est présentée comme apolitique, mais on a très vite vu que plein de ses membres se rapprochaient d’un positionnement à droite, à l’extrême droite même. La deuxième année, ils étaient trente dans cette liste, avec quelques vrais idéologues à l’intérieur.
«Ça s’est traduit par des remises en cause d’actions comme pour la journée du 8 mars l’an dernier. Des élèves avaient mis des collages féministes sur les murs, c’était validé par l’administration, mais les profs de cette liste ont contesté ça en conseil d’administration. Le 17 mars, pour la journée de lutte contre les LGBTphobies, ils ont même retiré des affiches de l’Education nationale de lutte contre l’homophobie. Il y a des choses plus triviales encore.
Dans le cadre de la semaine des langues, le chef cuisinier avait fait des petits panneaux pour expliquer d’où venaient les plats.
Un midi, il y avait une chorba : il y était écrit que c’était un plat qu’on trouvait notamment au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, traditionnellement servi pour rompre le jeûne.
Les profs de cette liste ont dénoncé un entrisme musulman, c’est ridicule.
En salle des profs, toutes les listes syndicales ont des espaces d’affichages et sur le leur, il y avait des propos transphobes, sexistes sous la forme de longues litanies. Notre administration a fini par réagir, heureusement.
«Face à eux, je me suis battu de pied ferme avec quelques collègues pendant deux ans et, électoralement, ils ont bien reculé, ils sont vingt maintenant. On a tout fait pour mobiliser les collègues moins politisés, pour qu’ils prennent la mesure de cette menace, par le biais d’AG, d’heures syndicales, de contre-affichages.
J’y ai laissé des plumes parce que j’étais une bonne cible pour eux en tant que prof d’histoire-géo et queer. J’avais droit à des attaques personnelles.»
«
On est juste sidérés par certains propos»
Agathe (1), 40 ans, professeure de français dans un collège de la région Occitanie
«Si le RN arrive au pouvoir en France, j’ai des collègues prêts à suivre les instructions. Dans mon collège, trois d’entre eux tiennent de plus en plus ouvertement un discours d’extrême droite. Ils nous ont déjà dit que des médias comme France Inter et le Monde véhiculaient des fake news sur Trump. Ils tiennent des propos sexistes, parfois racistes ou homophobes, transphobes. Pour la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, le principal a proposé une heure de vie de classe sur l’égalité filles-garçons et l’un de ces trois collègues a répondu ne pas vouloir organiser de débat là-dessus, en expliquant en avoir marre qu’on considère toujours les femmes comme des victimes. Il estime que les femmes doivent agir sans se faire remarquer et que les garçons ne peuvent plus draguer. Il est pourtant professeur d’histoire-géo et d’enseignement moral et civique ! C’est donc son devoir de transmettre ces valeurs d’égalité.
«On connaissait les positions de ces profs mais ils font bloc désormais et il y a de moins en moins de personnes pour leur tenir tête. Parce qu’on a souvent peu de temps en salle des profs pour se lancer dans un débat politique, qu’on n’est pas toujours préparé à argumenter ou qu’on est juste sidérés par certains de leurs propos. Je me demande si certains collègues ne commencent pas à partager leurs opinions.
Ils adhèrent à des discours antiféministes, sécuritaires, critiques de l’écologie – en reprenant l’expression «écologie punitive» par exemple. Pour beaucoup, quand des élèves se traitent de “PD”, ce n’est pas homophobe.»
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Ce sont toujours les élèves issus de l’immigration qui prennent»
Yaid (1), 47 ans, prof de lettres et d’histoire-géographie dans un lycée professionnel à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine)
«
J’ai senti une bascule au moment des gilets jaunes, à l’automne 2018. Depuis, des profs de mon lycée ont une parole raciste décomplexée, radicale, à mille lieues des valeurs républicaines. C’est complètement aberrant dans une profession comme la nôtre qui doit apprendre la tolérance aux élèves.
Un collègue m’a déjà balancé que le multiculturalisme avait échoué et qu’il fallait retrouver des classes à dominante blanche.
«Dans une salle informatique, un collègue regardait un jour la vidéo d’une classe parisienne avec des élèves qui foutaient le bordel et beaucoup étaient issus de l’immigration.
Il s’est tourné vers moi alors qu’il y avait d’autres profs, et m’a pris à partie juste parce que je suis issu de l’immigration, en disant : “
Tu trouves ça normal ? Ce sont des sauvages.”
«Face à ça, je prends sur moi, par peur de mal réagir. Mais je garde une rancœur mauvaise. Ça me fait surtout mal de voir que ces profs racistes s’en prennent à des élèves issus de l’immigration. Quand leur classe déborde, ce sont toujours eux qui prennent et au moindre faux pas, ils peuvent être virés et ils se retrouvent après en décrochage scolaire. A côté de ça, on a aussi des classes avec des élèves qui ont un discours raciste et LGBTphobe, assumé devant les profs. Ça aussi, c’est très dur.»
(1)
Les prénoms ont été modifiés.
https://www.liberation.fr/societe/educa ... ASGAX6PT4/