Manifestations
En Israël, la nomination du nouveau chef du Shin Beth renforce la colère et l’inquiétude
Les manifestations contre Benyamin Nétanyahou ont pris une nouvelle ampleur ce samedi 24 mai à Tel-Aviv après l’annonce de l’arrivée du général David Zini à la tête des services de renseignements, malgré l’opposition de la Cour suprême.
L’inquiétude et la colère ont poussé une fois de plus samedi soir des centaines d’Israéliens dans les rues de Tel-Aviv pour réclamer le retour des otages mais aussi protester contre le meurtre des enfants à Gaza, dont les photos apparaissaient sur certaines pancartes. Ces manifestations sont devenues récurrentes chaque fin de semaine.
Un sursaut citoyen qui peut sembler aussi nécessaire que dérisoire, alors que 57 otages (dont 34 sont présumés décédés) restent détenus par le Hamas, et que les massacres se poursuivent dans la bande Gaza, où un couple de médecins a vu neuf de ses dix enfants tués samedi lors d’un bombardement.
Mais ce samedi les manifestants voulaient également protester contre la nomination deux jours plus tôt du général David Zini à la tête du Shin Beth, l’agence de la sécurité intérieure. Fondateur de la brigade commando (agrégat d’unités de forces spéciales), petit-fils de rabbins français qui ont immigré en Israël, et père de onze enfants, Zini est connu pour son hostilité à toute négociation d’échange d’otages contre des prisonniers palestiniens. C’est également un intime du Premier ministre Benyamin Nétanyahou, qui semble avoir pris la décision de le nommer à ce poste sensible, de façon inhabituelle. «Après un meeting dans sa voiture», selon le site i24 News. Sans même avoir consulté Eyal Zamir, le chef d’état-major de l’armée qui aurait été informé de ce choix quelques minutes avant l’annonce officielle jeudi soir.
Otages abandonnés
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Je ne pensais pas qu’Israël était capable de laisser des otages à Gaza», s’est écrié Naama Levy, lors de la manifestation samedi soir sur la place des otages à Tel-Aviv. Cette jeune femme de 20 ans s’exprimait publiquement pour la première fois depuis sa libération. Elle avait été enlevée le 7 Octobre par le Hamas à la base de Nahal Oz et retenue otage pendant 477 jours. Ses accusations ce soir-là ne visent pas tant ces geôliers, «ils n’ont nulle part où aller et se contentaient de prier», dira celle qui va surtout dénoncer la stratégie meurtrière de son gouvernement. «Ce sont les bombardements qui m’ont le plus effrayé. A chaque fois, j’étais certaine que c’était la fin», a-t-elle souligné en évoquant sa captivité. Des bombardements qui l’ont même mise en danger, «lorsqu’une partie de la maison où je me trouvais s’est effondrée», précisera-t-elle également.
Ce n’est pas la première fois que les manifestants dénoncent la mise en danger, voire le sacrifice, des otages enlevés le 7 Octobre. «
Nétanyahou, et non le Hamas, est le véritable ennemi d’Israël»,
avait ainsi accusé Shaï Mozes, fils de deux ex-otages, le 10 mai lors d’une précédente manifestation sur la place Habima à Tel-Aviv.
Bras de fer juridique
La nomination de David Zini renforce les craintes d’une guerre totale, menée par un Premier ministre qui veut éviter de rendre des comptes alors qu’il est poursuivi dans plusieurs affaires. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il aurait désavoué, puis réussi à écarter Ronen Bar, le précédent chef du Shin Beth.
Lequel avait diligenté une enquête visant des proches de Nétanyahou accusés d’avoir touché des pots-de-vin du Qatar.
Le limogeage de Ronan Bar, annoncé le 21 mars, avait été immédiatement suspendu par la Cour suprême. Après avoir tenté de s’opposer à son renvoi, Bar avait fini par jeter l’éponge, annonçant fin avril qu’il quitterait son poste le 15 juin.
La Cour suprême a finalement réitéré mercredi que la décision de le renvoyer était «irrégulière et contraire à la loi».
Et la procureure générale de l’Etat et conseillère juridique du gouvernement, Gali Baharav-Miara, a interdit au Premier ministre de nommer un remplaçant. Ce qu’il a donc fait à peine vingt-quatre heures plus tard.
Qui sortira vainqueur de ce bras de fer juridique qui affaiblit la démocratie israélienne ? L’affaire est d’autant plus embarrassante que la confirmation de la nomination de David Zini dépend du comité Gronis, chargé de valider les postes les plus sensibles. Or cet organe décisionnaire est actuellement inactif, faute d’avoir pourvu tous ses membres.
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Révolte civique»
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Nétanyahou agit de manière impulsive, comme un animal en cage», a dénoncé le 17 mai l’ancien Premier ministre Ehud Barak, devant un millier de personnes lors de la précédente manifestation sur la place Habima à Tel Aviv.
Evoquant le «drapeau noir de l’illégitimité [qui] flotte sur chacune de ses actions», celui qui avait proposé en 2000 une solution à deux Etats a exhorté ses compatriotes à une «révolte civique», les pressant «d’agir par tous les moyens pour faire tomber» Nétanyahou, «avant qu’il ne nous entraîne dans l’abîme».
Dans l’immédiat, rien ne semble pourtant arrêter l’offensive israélienne qui a redoublé d’intensité depuis la rupture de la trêve le 18 mars.
Dimanche en milieu d’après-midi, la Défense civile de Gaza annonçait la mort de 22 personnes dont une femme enceinte à la suite de frappes aériennes dans le nord et le centre de la bande Gaza.
Avec plus de 54 000 morts côté palestinien, et une vingtaine d’otages israéliens abandonnés à leur sort, les manifestants n’ont pourtant pas renoncé : mercredi, ils seront à nouveau dans la rue pour les six cents jours de détention des otages.
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