SOURCE : LE FIGAROAgressions, menaces de mort… Quand piscines et parcs aquatiques sont contraints de fermer à cause des incivilités
RÉCIT - Des violences d’une ampleur inédite prennent les municipalités de court, alors que les fortes chaleurs entraînent une surfréquentation de ces sites de loisirs.
C’était censé devenir l’attraction de l’été dans l’agglomération du Mans : le premier parc aquatique de la région ! Las, quelques heures seulement après l’ouverture tant attendue, ce mardi, toboggans, pistes de glisse et jeux flottants ont dû être démontés. Face à « une invasion de jeunes des cités », qui s’en sont pris violemment à un agent de sécurité, jusqu’à créer « une émeute de 200 à 300 personnes, munies de barres de fer et de pierres », le gérant de la structure n’a « pas eu d’autre choix » que de « fermer, définitivement ». Agressions, bagarres, refus de respecter le règlement, menaces de mort… Alors que la France traverse un épisode de canicule historique, les esprits s’échauffent jusque dans les piscines, parcs aquatiques et autres plans d’eau. Une vague d’incivilités d’une ampleur inédite, qui a entraîné la fermeture de plusieurs établissements.
« Je ne peux pas assurer la sécurité de mes salariés ; mardi c’était Bagdad ! », s’effare Anthony Walle, le gérant de l’entreprise Wallengo, encore sous le choc. Alors que les employés achevaient de monter la structure, dimanche, sur le plan d’eau de la Gémerie, près d’Arnage, un groupe d’une trentaine de jeunes se sont invités sur les lieux et ont commencé à s’amuser sur les différents modules. « On a fait intervenir la gendarmerie deux fois, mais ils sont revenus aussitôt, raconte le patron. Lundi, rebelote avec 50 jeunes. Mais mardi, alors que l’on avait fait un très très bon démarrage le matin, vers 16 h 30, le même groupe de perturbateurs s’est incrusté, sans payer, donc sans gilet de sauvetage. Je suis intervenu avec un agent de sécurité. Mais, rejoints par des dizaines d’autres, ils ont poursuivi l’agent qui s’est réfugié dans un bungalow. Ils ont utilisé des barres de fer pour défoncer la porte ; ils voulaient sa peau ! Les gendarmes sont intervenus avec des flash-balls et ont évacué l’agent, qui est traumatisé. »
Les sept salariés du site ont exercé leur droit de retrait. « Je n’ai pas de mots, soupire Anthony Walle. On a travaillé toute l’année pour remporter cet appel d’offres et signer une convention de trois ans avec Le Mans Métropole. J’ai investi 165.000 euros. On m’a dit que je devais encadrer ma structure. Mais je ne peux pas prendre plus de deux agents de sécurité ! J’ai le même parc aquatique dans l’Orne, et heureusement tout se passe très bien là-bas… » Le patron a porté plainte. « En plus j’ai essayé de leur expliquer, à ces jeunes, qu’on était là pour leur apporter des animations, pour qu’ils passent un bel été, poursuit-il. Mais ça n’a servi à rien. On est tous dégoûtés, on n’a reçu aucun soutien des élus du coin. Notre seule envie maintenant, c’est de partir d’ici au plus vite. »
Personnel pris à partie
En Alsace, plusieurs piscines ont également été victimes d’incivilités ces derniers jours. Les collectivités locales s’alarment d’une violence croissante. La piscine du Wacken, à Strasbourg, n’a rouvert qu’avec des horaires restreints mercredi matin, après que des membres du personnel ont été pris à partie ce dimanche. Selon les premiers éléments de l’enquête, le médiateur de la ville a fait un rappel à l’ordre à deux baigneurs perturbateurs. Rejoints par leurs proches, ils ont agressé le médiateur. Une maître-nageuse venant s’interposer a été renversée et blessée au genou. Ce qui lui a valu un arrêt de travail de quinze jours. La police a interpellé les suspects, et la piscine a été évacuée dans la foulée.
A Colmar, le même jour, c’est le personnel du stade nautique qui a été insulté et même menacé de mort : les fauteurs de troubles ont menacé de revenir avec des armes. « Un petit groupe de jeunes adultes s’en est pris verbalement à nos maîtres-nageurs, de manière extrêmement vulgaire et violente, décrit Éric Straumann, maire de Colmar. Ce sont de jeunes remplaçants pour l’été, qui sont très choqués. Ils ont décidé d’exercer leur droit de retrait, et moi, sans maîtres-nageurs, je ne peux plus ouvrir ! Une plainte a été déposée, et on essaie d’identifier ces jeunes gens. J’espère que les sanctions seront fortes ; ils seront en tout cas définitivement exclus de nos installations. »
Plusieurs actes de violences rapportés
Le stade nautique a rouvert mercredi, « avec une dizaine de policiers en tenue et en civil qui font des rondes », précise le maire. « Ce sont des choses qui n’existaient pas il y a quelques années encore, se désole-t-il. Si on laisse faire ça en début de saison, ça ne peut que s’aggraver… Nous sommes là dans un quartier de reconquête républicaine, et on a la population derrière nous, qui est la première à en pâtir. »
Ce n’est pas la première fois de la saison estivale que des violences sont rapportées aux abords des bassins alsaciens. Le vendredi 13 juin, à la piscine de Hautepierre, à Strasbourg, une responsable de bassin a été giflée par une baigneuse, ce qui a entraîné la fermeture de l’équipement sportif tout au long du week-end. « Cette baigneuse ne portait pas vraiment un burkini mais un tee-shirt, un short et un paréo, relate Vincent Debes, vice-président de l’Eurométropole en charge du sport. Quand l’agente lui a signalé qu’il fallait mettre un maillot, elle lui a carrément donné un coup de poing au visage ! Son compagnon est venu en renfort, un attroupement s’est formé, certains se sont mis à filmer. Il y avait environ 200 jeunes avec une attitude agressive et insultante. En fait, ils s’étaient donné rendez-vous sur les réseaux sociaux pour faire le buzz à la piscine. »
La piscine de Hautepierre était déjà restée fermée durant une partie des vacances scolaires de Pâques, après des actes d’incivilités commis par des adolescents, le 12 avril. « Ils se sont mis à taper partout avec des boudins, à courir, à crier, à se battre… 300 jeunes qui s’énervent, c’est énorme, a rapporté un maître-nageur à France 3. Qui sera responsable en cas de noyade ou décès ? » Plusieurs membres du personnel, traumatisés, s’étaient mis en arrêt maladie et l’Eurométropole avait dû mettre en place une cellule psychologique.
«C’est une société où les jeunes n’ont plus de repères»
Le 14 juin, c’est à l’espace aquatique L’O d’Obernai que les gendarmes sont intervenus, après des invectives contre une maître-nageuse. Depuis, un agent de sécurité a été embauché. « J’ai des collègues à Lille, Bordeaux, Nantes, qui me font aussi part de violences dans des lieux sportifs, fait remarquer Vincent Debes. Le phénomène est en forte augmentation ces dernières années, depuis le Covid : il y a de plus en plus de provocations et de non-respect des règles et de l’uniforme. C’est une société où les jeunes n’ont plus de repères. Leurs parents non plus d’ailleurs. Je déplore aussi les attitudes, les regards de certains vis-à-vis des jeunes femmes ; il y a un autre mode de vie qui est problématique. Quand vous avez un jeune maître-nageur, tout content de faire sa première vacation, qui se fait menacer, qui a peur de ne pas retrouver son deux-roues après, c’est quand même dur ! Il est très regrettable qu’une majorité tranquille se voie imposer la fermeture d’équipements publics qui coûtent très cher à la collectivité. »
Ce lundi, « à la suite des violences survenues au sein de la piscine du Wacken, nous souhaitons tout d’abord exprimer tout notre soutien aux deux agents impliqués, ont réagi dans un communiqué commun Pia Imbs, présidente de l’Eurométropole, et Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg. Nous condamnons fermement ces actes de violence. De tels comportements sont inacceptables et ne sauraient être tolérés, en particulier quand ils surviennent dans des lieux dédiés au public. »
Quant à la CGT, elle a rappelé que « depuis des semaines, les incidents se multiplient dans les piscines de Strasbourg ». « Entre chahutages, agressions verbales et maintenant physiques, les agents de la collectivité sont régulièrement malmenés par certains usagers, souligne le syndicat. Les agents de la collectivité assurent quotidiennement un service public de qualité et sont à la disposition du public, de tous les publics. Ils ne sont pas là pour se faire insulter ou pire encore, se faire frapper. »
Tarif résidentiel
Le jour de la Fête de la musique, samedi 21 juin, une rixe a éclaté au parc aquatique O’Gliss Park, dans la commune du Bernard, en Vendée. Deux frères ont été transportés à l’hôpital. Que faire face à la multiplication de ces incivilités ? « Je pense qu’à terme il nous faudra une flotte d’agents formés à la médiation et à la sécurisation », affirme Vincent Debes, qui a demandé le déploiement de quatre agents de sécurité supplémentaires à la piscine du Wacken, quatre autres à celle de Hautepierre, ainsi que trois médiateurs de plus au Wacken.
Dans le Puy-de-Dôme, après de nombreux incidents lors des dernières saisons à la piscine municipale, la commune de Puy-Guillaume a décidé de mettre en place un tarif résidentiel et de doubler le prix des entrées pour les personnes extérieures à la commune. « Cela va du refus de respecter le règlement, comme le port du maillot de bain, aux plongeons dans la piscine, explique André Debost, adjoint en charge du tourisme, au journal La Montagne. La saison dernière, notre maître-nageur a dû se mettre en arrêt maladie à cause de ces incivilités. Nous avons dû fermer la piscine le 11 août. C’est un manque à gagner pour la commune d’autant plus que nous avions également dû fermer quelques jours en juillet pour les mêmes raisons. Cette année, nous renforçons le recrutement avec des agents de sécurité et des agents d’accueil. »
À Léguevin, près de Toulouse, les grilles de la piscine municipale resteront closes tout l’été. Une décision « difficile et longuement mûrie » que cette « non-ouverture exceptionnelle », informe la mairie dans un communiqué. « L’équipement, vieillissant, nécessite des interventions techniques de plus en plus nombreuses pour répondre aux normes actuelles, tant en matière de sécurité que de qualité d’accueil », écrit la municipalité. Parallèlement, les conditions d’exploitation sont devenues « particulièrement complexes, face à des problématiques récurrentes d’incivilités qui engendrent des coûts et des contraintes supplémentaires ».
Piscine interdite aux Français
À Porrentruy, petite commune suisse toute proche de la frontière française, «l’accès à la piscine de plein air sera limité du 4 juillet au 31 août aux personnes de nationalité suisse, aux titulaires d’un permis d’établissement et aux titulaires d’un permis de travail suisse valide », vient de décider le maire. En clair, le site est interdit « à nos voisins français qui ne travaillent pas en Suisse », traduit le quotidien Le Matin. Pour justifier cette mesure, les autorités évoquent « une vingtaine d’interdictions de piscine prononcées depuis le début de la saison, en raison de comportements inappropriés, d’incivilités et de non-respect des règles en vigueur ». Elles concerneraient « à 95 % des Français », selon le Quotidien jurassien.
Du harcèlement visant des jeunes femmes, un langage inapproprié, des baignades en sous-vêtements, des comportements violents après des remarques… « Hier encore (mardi), un groupe de Français en est venu aux mains avec les agents de sécurité », témoigne Lionel Maître, un responsable du Syndicat intercommunal du district de Porrentruy (SIDP) dans la presse locale. Les habitants de Porrentruy paient des impôts pour leur piscine, ils veulent pouvoir en profiter en toute quiétude. »
Une illustration supplémentaire, s'il en était besoin, de la montée de la violence dans notre société.