SOURCE : LE FIGARO«Je ne me reconnais plus dans ce pays» : ces Français découragés qui ont décidé de mettre les voiles
Fatigue fiscale, situation politique instable, difficulté à se projeter vers l’avenir… Le marasme français actuel pousse de nombreux actifs à quitter le pays pour s’installer à l’étranger. Et difficile pour eux d’imaginer un retour.
«Rien, a priori, ne nous destinait à vouloir quitter notre pays. Mais depuis la naissance de notre fille, notre regard a changé», confie Jérôme*, 33 ans, responsable financier dans une ETI en région parisienne. Lassé par la pression fiscale, une «classe politique déconnectée» et une France dans laquelle il ne «se reconnaît plus», il s’apprête à tourner la page. D’ici quelques mois, il quittera la France avec sa famille, destination le Canada ou l’Australie. «Nous préférerions rester et contribuer au développement du pays, mais nous choisissons désormais de travailler pour nos propres intérêts. Les personnes que nous jugions autrefois individualistes nous paraissent aujourd’hui simplement lucides», observe-t-il, amer.
Il rejoindra les 2,5 millions de Français qui vivaient à l’étranger fin 2024, dont quelque 1,7 million inscrit sur les registres officiels. Le nombre de départs était en très légère hausse l’année dernière (+2,8% par rapport à 2023). Pas de quoi rattraper néanmoins les années de baisses liées au Covid, selon le ministère des Affaires étrangères. Le point haut avait été atteint en 2017, avec 1,83 million d’expatriés enregistrés officiellement. Mais les motivations évoluent ces derniers temps. «L’expatriation traditionnellement motivée par l’emploi devient aujourd’hui davantage guidée par l’envie de se donner un maximum de chances à tout point de vue, dans un monde économique instable», décrypte Alix Carnot, directrice associée du cabinet Expat Communication.
Fuite des cerveaux
Le marasme politique y est pour beaucoup. La dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024 a agi comme un électrochoc pour Nicolas, 29 ans. Cela a précipité sa décision de quitter la France et l’a poussé à contacter d’anciens camarades de son école déjà expatriés en Suisse ou à Singapour. «En France, j’ai du mal à me projeter dans l’avenir. En plus des difficultés à trouver un logement à Paris, l’absence de perspectives à moyen et long terme me pousse à partir», confie ce jeune avocat d’affaires. La situation politique instable est d’ailleurs l’élément déclencheur du départ pour 11% des Français, selon le baromètre 2024 d’Expat Communication.
Auparavant étudiant à l’ESSEC Business School, Nicolas incarne cette nouvelle génération de jeunes actifs attirés par l’étranger pour des raisons économiques. Chaque année, 10% des jeunes diplômés issus d’écoles d’ingénieurs et 15% de ceux issus d’écoles de commerce s’expatrient. En dix ans, les départs de jeunes talents ont bondi de 23% en volume, alerte une étude de la fédération Syntec et Ipsos BVA, principalement à cause de salaires nets jugés trop bas. «Il faut faire attention à ce qu’à l’avenir, les inconvénients du travail en France, comme la forte fiscalité et la faible rémunération, ne prennent pas l’ascendant sur les avantages, comme le cadre de vie et la stabilité de l’emploi. Sinon, on risque une fuite des cerveaux encore plus importante que celle que la France connaît actuellement», prévient Laurent Giovachini, président de la fédération Syntec.
Ce qui a poussé Jérôme et son épouse à quitter la France, ce sont également les lourdeurs bureaucratiques et financières. Les mêmes qui les ont incités à ne pas reprendre les rênes des entreprises familiales, créées et dirigées par leurs parents. «Nous les avons vus se dévouer corps et âme à leurs entreprises, à leurs salariés, tout en étant continuellement pressurisés fiscalement et administrativement», se souvient le trentenaire. De quoi l’écœurer : «La fracture entretenue entre “patrons” et “salariés” par une classe politique déconnectée nous semble absurde et décourageante. Les sacrifices consentis par nos parents nous paraissent aujourd’hui disproportionnés face à ce que le pays offre en retour», lance-t-il.
«Je veux vivre dans un endroit paisible»
Le climat social, très tendu, pèse aussi dans la balance. Cela a été l’élément déclencheur pour Romain, 38 ans, qui travaille dans le secteur bancaire. Il s’est décidé à partir en Pologne d’ici quelques années, et a déjà commencé à apprendre la langue. «Je veux vivre dans un endroit paisible, prévisible et sûr», explique-t-il. «L’unité, le sentiment d’appartenance, tout ce qui faisait la force de notre pays semblent s’être effrités», abonde Jérôme. Cette ambiance morose accable également les entrepreneurs. «Quand tu construis quelque chose d’ambitieux, tu réalises que la géographie n’est pas neutre. Elle multiplie ta chance, ou elle étouffe ton élan en silence», témoigne par exemple sur X (ex-Twitter) Clara Gold, fondatrice de l’appli de rencontres boostée à l’IA Gigi, alors qu’elle a décidé de quitter Paris pour San Francisco. «J’ai choisi d’aller là où la chance se cumule. […] Là où raconter une histoire sur quelque chose qui n’existe pas encore ne te fait pas passer pour un(e) idiot(e). Au contraire, ça les pousse à envoyer un message à trois potes : “Tu dois absolument la rencontrer.”»
Pour ceux qui ont franchi le pas, difficile aujourd’hui d’imaginer revenir en France. Partie en mars dernier en Australie avec sa femme pour des raisons professionnelles, Marion peine à envisager un retour. «Au départ, on s’était dit qu’on reviendrait après mes six mois de mission, mais plus ça va et plus le contexte fait qu’on veut rester», confie la jeune femme de 28 ans, qui travaille en ingénierie dans une entreprise française. La dissolution de l’Assemblée, et l’instabilité politique qui s’est ensuivie, ont fait émerger des questions. «Pourquoi quitter un lieu super en termes de qualité de vie pour un pays qui ne va pas dans le bon sens ?», s’interroge-t-elle. «Avant, les gens partaient pour une durée circonscrite, constate Alix Carnot, directrice associée du cabinet Expat Communication. Aujourd’hui les deux tiers de ceux qui sont partis ne savent pas si et quand ils rentreront. Ils regardent comment ça se passe en France. Or, il y a clairement un effet de halo négatif quand on est loin, qui ne leur donne pas envie de revenir.»
Les décisions d'expatriation obéissent à des motivations diverses, que l'article décrit bien : il y a des motivations purement professionnelles (une opportunité d'emploi), mais il y a aussi des motivations plus générales liées à un ras-le-bol général sur la situation du pays (les tracasseries administratives, la fiscalité confiscatoire, l'insécurité...).
Mais le pire, et l'article le souligne bien, c'est que les décisions d'expatriation concernent notre matière grise : en gros, la France voit partir des chercheurs, des ingénieurs, des diplômés de grandes écoles, cependant qu'elle accueille des bac-10 en provenance d'Afrique. Pas étonnant qu'elle décline...
Aujourd'hui, je suis un peu vieux. Et puis je n'ai jamais été très doué pour parler les langues étrangères. Donc c'est compliqué, pour moi, de partir. Mais si j'avais été plus jeune et plus à l'aise en langues étrangères, je serais parti, moi aussi.

