Au premier abord, l’épisode est anecdotique. La semaine dernière, Jordan Bardella a pris sa plume pour exiger du ministre de l’Intérieur, Laurent Nunez, la publication du nombre d’étrangers en situation irrégulière sur le territoire français. Largement relayée sur les réseaux sociaux, cette lettre ouverte avait moins pour objet d’obtenir une réponse – par définition imprécise – que de creuser le sillon porteur de la détestation des étrangers. La missive aurait donc fini à la poubelle des vaines polémiques si le président du RN n’avait osé convoquer Marc Bloch, héros de la Résistance, assassiné le 16 juin 1944 par quatre tueurs de la Gestapo. « Notre peuple mérite qu’on se fie à lui et qu’on le mette dans la confidence », écrivait le célèbre historien, dans « L’étrange défaite », ouvrage de référence sur la bataille de France publié après sa mort en 1946.
On voit bien l’intention de Jordan Bardella consistant à une tentative de récupération d’un homme qui entrera au Panthéon en juin prochain. Mais elle dépasse le simple cynisme du politicien et relève d’une falsification de l’Histoire ainsi que d’un dévoiement de la mémoire de Marc Bloch. La phrase citée par le chef du RN ne peut en aucun cas être rapportée au contexte contemporain. Le livre dont il faut rappeler qu’il a été rédigé entre juillet 1940 et septembre 1940, est une analyse des causes de la débâcle mais en plus des implacables constats de la défaite il est un appel à la lutte contre le nazisme et à une reconstruction du pays sur des bases sociales. Le parallélisme des formes que prétend faire Bardella est donc aussi inepte que choquant. L’instrumentalisation est encore plus insupportable pour qui a retenu de ses cours d’Histoire que Marc Bloch, juif français combattant contre les nazis et le gouvernement de Vichy – inspirateur du Front national dont le RN est l’héritier – fut par ses actes et ses écrits un défenseur ardent de la République mais aussi d’une Europe ouverte contre les nationalismes. Les courtes études de géographie de Jordan Bardella ne peuvent justifier son ignorance…
L’indignation de la famille de Marc Bloch et d’un collectif d’historiens est à la hauteur de l’indigne outrance. Mais le silence du reste de la classe politique est également troublant. Il atteste de son mépris de l’Histoire et de ses valeurs mais peut-être surtout d’un débat public qui se nourrit de telles saillies, chacun pouvant à tour de rôle dériver vers l’indécence dans le seul espoir de flatter ses électeurs.
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