Vedette du vaisseau amiral de l’empire médiatique de Vincent Bolloré, l’animateur a fait de son émission sur CNews une machine à droitiser le débat public. Mais aussi à faire la promotion, en plateau comme en coulisses, d’une coalition allant de LR à Reconquête.
Le SMS à peine envoyé, Pascal Praud rappelle illico. Le numéro peut commencer. «Non, mais sérieusement…» s’offusque, théâtral, l’animateur de CNews qui fait mine de râler : encore une demande d’entretien ? Encore lui, pourquoi lui ? C’est vrai ça, pourquoi s’intéresser encore à lui ?
Peut-être bien parce qu’il est le principal visage de CNews, qui présente d’insolents records d’audience, désormais cinquième chaîne la plus regardée de la télévision française ? Son émission quotidienne, l’Heure des pros, est même la seule à être leader sur sa tranche entre 9 heures et 10h30, devant TF1, France 2, et toutes les autres. Le voilà qui joue la vedette dépassée par le succès : «23 % d’audience encore hier, c’est trop… Avant j’étais tranquille, je parlais de foot. Maintenant, mes filles me voient partout…»
A l’Elysée, on juge désormais que le paquebot médiatique de Vincent Bolloré, dont CNews est la proue, «n’est plus un groupe de médias, mais un groupe politique organisé». Praud en est le capitaine, quatre heures et demie d’antenne cumulées chaque jour entre CNews et Europe 1, sans compter son édito dans le Journal du dimanche. Dernièrement, entre sa défense acharnée de Nicolas Sarkozy et ses attaques quotidiennes contre l’audiovisuel public, il rejoue la rengaine d’une union des droites qui irait grosso modo de Gérald Darmanin à Eric Zemmour. Un acteur politique ? Praud récuse : «Je n’ai pas envie d’être un homme politique. Moi, je me vois comme un agitateur d’idées.» Après nous avoir refusé un tête-à-tête («Je n’ai pas confiance…»), il doit raccrocher, Laurent Wauquiez est en train de l’appeler.
En cet automne 2025, on ne compte plus les médias qui s’affairent dans le but de lui croquer le portrait. A dix-huit mois de l’élection présidentielle, qu’il le veuille ou non, l’ancien journaliste sportif de 61 ans est perçu comme l’influenceur majeur de la droite et de l’extrême droite. Cela fait bientôt dix ans qu’il y travaille, après avoir récupéré une émission d’actualité, l’Heure des pros, sur les cendres d’i-Télé. Depuis 2016, son plateau est devenu une machine à droitiser le débat public : grille de lecture décliniste de l’actualité, hiérarchie des sujets calquée sur les thèmes fétiches de l’extrême droite : immigration, insécurité, islam – ce que Praud, dans sa rhétorique populiste bien rodée, appelle «le réel».
Les retraités, «premier parti de France»
Le succès aidant, sa recette a essaimé sur toute l’antenne, et de plus en plus dans le reste du PAF – jusqu’à la chaîne publique Franceinfo, sous le feu des critiques de la gauche pour avoir engagé deux anciens de CNews. Au milieu, passé adolescent par le conservatoire d’art dramatique de Nantes, le sexagénaire cabotine et parle souvent de son émission comme d’un «petit théâtre». Connecté en continu aux colères des réseaux sociaux, notamment X, Praud se pose en pourfendeur du conformisme médiatique et récolte, comme le Rassemblement national, les fruits de l’ambiance dégagiste du moment.
Avec de l’autre côté de l’écran, rien de moins que le «premier parti de France» : les retraités. En analysant les audiences Médiamétrie de l’Heure des pros, on s’aperçoit ainsi que, parmi les 600 000 téléspectateurs environ qui regardent son émission matinale (entre 9 heures et 10 h 30), près de 60 % ont plus de 65 ans. Et même un tiers (200 000 téléspectateurs, donc) ont plus de 75 ans. A peu près les mêmes proportions que pour son émission du soir, dont l’audience monte à près d’un million de fidèles. Un public qui reste aussi très longtemps devant CNews : si ses audiences sont si importantes, c’est à cause de la durée d’écoute (le temps passé devant la chaîne) de ces plus de 65 ans. Surtout, c’est une génération qui pèse plus que les autres dans le corps électoral – lors de la présidentielle 2022, les seniors représentaient un cinquième de la population, mais un quart des votants. Enfin, une génération qui, historiquement, rechigne aussi à voter pour l’extrême droite.
Alors, au-delà de la simple formule de son émission, son activisme pour pousser au mariage entre le Rassemblement national, Reconquête et les Républicains se joue aussi plus concrètement en plateau ou en coulisses. Pascal Praud y porte ardemment le combat de l’union des droites depuis des mois, voire des années, aligné sur ce sujet avec son patron Vincent Bolloré – déjà au moment des législatives anticipées de 2024, le milliardaire breton avait échafaudé avec Eric Ciotti, alors président de LR, le ralliement de celui-ci au RN. Cette fois, l’automne politiquement mouvementé est l’occasion d’une nouvelle bataille. Sur la une du JD News, toutes les figures de la droite et de l’extrême droite défilent pleine page – la semaine dernière, Marion Maréchal y rêvait à voix haute d’une coalition «de Bardella à Retailleau». «Pour un futur candidat de la droite à la présidentielle, CNews est un sujet incontournable, affirme un communicant de LR. Et Praud a acquis un poids plus imposant qu’en 2022.»
«Il n’y a pas de contradicteur» autour de la table
Avec les acteurs du monde politique, qu’il croise régulièrement dans les restaurants où il dîne ou qu’il a constamment au téléphone, les saoulant parfois d’appels ou de SMS, Pascal Praud intimide ou récompense selon la considération qui lui est portée. «Vous ne voulez pas venir dans mon émission ?» demande-t-il à tous ceux qu’il rencontre, même ceux qu’il insulte à l’antenne. Les anciens sarkozystes devenus ministres comme Gérald Darmanin ou Rachida Dati sont reçus avec déférence. «Parce que, dans les médias Bolloré, on considère qu’ils se sont bien comportés avec le groupe», persifle un observateur à droite.
Hors studios, voilà régulièrement Praud à 8 heures dans les loges d’Europe 1 pour échanger avec l’invité de l’interview de Sonia Mabrouk. Quand le nom de Jean-Louis Borloo circule pour le job de Premier ministre, l’animateur lui passe plusieurs coups de fil pour lui demander si la rumeur dit vrai. Les LR rejettent un moratoire sur les énergies renouvelables pourtant déposé par un député de leur parti ? Praud, farouchement anti-éoliennes, appelle directement leur président Bruno Retailleau pour obtenir des explications. «On va voir son autorité, lui qui veut gouverner la France», appuie l’animateur sur Europe 1.
Avec Les Républicains, héritiers de son parti de cœur, lui le nostalgique du RPR d’antan et du sarkozysme triomphant, Pascal Praud tape fort pour les droitiser. «Ils insistent avec cette logique d’union des droites, mais personne n’en veut, ni Marine Le Pen ni nous», juge un député LR. «Praud a trouvé un créneau avec l’union des droites, parce que beaucoup d’électeurs sont d’accord là-dessus, et tant pis si ça ne correspond pas à la réalité de nos institutions, abonde un communicant. Il y a une grande naïveté là-dedans. En France, il y aura toujours plusieurs droites et c’est comme ça.»
Tant pis pour la nuance. Le sénateur LR Roger Karoutchi appelle à un front républicain avec le RN contre LFI ? Praud en fait l’ouverture de son émission : «La poutre bouge !» clame-t-il. Le 10 octobre, le voilà, écharpe nouée autour du cou, qui accueille le porte-parole de LR Jonas Haddad à l’antenne d’Europe 1 avec un long et violent réquisitoire de plus de quatre minutes se concluant ainsi : «Vos électeurs vous demandent un rapprochement que vous leur refusez. Etes-vous à ce point déconnecté de leurs attentes, ce qui est possible ?» Sollicité par Libération, Haddad minore l’attaque : «C’est son style, chaque média a sa ligne.» Tout en s’étonnant tout de même que «tout le plateau soit comme ça, qu’il n’y ait pas de contradicteur» autour de la table.
La disgrâce de Wauquiez et l’ascension de Zemmour
Dans le camp de Laurent Wauquiez – «peut-être l’homme politique que Praud a le plus insulté ces derniers mois», note avec une pointe de joie mauvaise un observateur à droite – on encaisse aussi. Après une première campagne violente au printemps à l’occasion du congrès de LR, Praud s’en prend depuis des semaines au président des députés de la droite à l’Assemblée, lui qui s’est refusé à voter la censure du gouvernement Lecornu II. «Laurent Wauquiez ne peut-il pas, pour une fois, faire preuve de courage dans sa vie ?» s’interroge l’animateur à l’antenne, à propos de celui qu’il surnomme «Laurent le maléfique».
Il est loin le temps où l’ancien maire du Puy-en-Velay invitait Praud pour une entrevue. S’ils se téléphonent régulièrement, «ils ne se sont pas vus depuis des mois», indique-t-on aujourd’hui côté Wauquiez, où l’on soupçonne plutôt le rival Bruno Retailleau, voire Eric Ciotti, de chuchoter à l’oreille de la vedette de CNews. Reste que Wauquiez devrait sûrement revenir en grâce à ses yeux, après avoir évoqué l’idée d’une primaire de la droite «de Gérald Darmanin à Sarah Knafo» pour 2027 – une rencontre avec le président de Reconquête Eric Zemmour a même eu lieu mercredi 12 novembre à l’Assemblée.
La ligne d’arrivée n’a jamais semblé aussi proche pour CNews et Pascal Praud, qui ont réussi au passage à faire de l’une des anciennes figures de la chaîne un perturbateur de la droite française. Déjà lors de la présidentielle de 2022, le journaliste poussait le nom de son ancien collègue Zemmour dans les dîners. C’était le cas par exemple à La Baule, tandis que la campagne battait son plein, fin 2021. Fidèle vacancier de la station balnéaire, base arrière des droites où ses fans retraités pullulent, Pascal Praud s’est trouvé avec sa compagne à la table du maire et ami, Franck Louvrier, qui a aussi convié Valérie Pécresse et son mari. Le présentateur de CNews a passé la soirée à faire la leçon à la candidate LR en vantant les mérites de Zemmour et de l’union des droites, tout en lui affirmant qu’il n’existe pas d’espace électoral pour elle – le piteux résultat de Pécresse ne lui a pas donné tort. Celle-ci s’est défendue tout aussi vertement, lui opposant que la candidature Zemmour ne fera que morceler la droite et réélire Macron. Pas faux, là non plus.
Deux ans plus tard, après la dissolution à l’été 2024, la bataille a repris de plus belle : tout le groupe Bolloré a poussé pour l’union des droites aux législatives, dans le sillage du ralliement d’Eric Ciotti au RN. Persuadé que Jordan Bardella était en route pour Matignon, Pascal Praud faisait alors en privé la leçon à Bruno Retailleau, convaincu qu’il manquait là une occasion de faire triompher ses idées. En face, le sénateur vendéen campait sur ses positions : «Vous vous plantez, le RN n’aura jamais la majorité.» «S’il a beaucoup de talent pour commenter, il n’a pas le recul pour anticiper, sa pensée politique est très sommaire, juge-t-on côté LR. Il ne faut pas surestimer son influence.»
«Les gens», «les Français» et un populisme assumé
Dans les «50 nuances de droite» (une de ses expressions fétiches), où se situe Pascal Praud ? En privé, il avoue se retrouver plutôt dans les idées de Bruno Retailleau, un homme de sa génération, originaire de Nantes comme lui. Reconquête ? Il trouve le discours zemmourien trop violent pour être présidentiable. L’animateur a en réalité son propre programme politique, qu’il égrène au fur et à mesure des émissions : conservateur, autoritaire et ultralibéral, avec une touche de progressisme pour mieux brouiller les pistes. Sur les sujets de société, il rappelle ainsi systématiquement être favorable à la PMA, la GPA ou l’euthanasie. Mais à côté, il prône la répression à tous crins sur les sujets d’insécurité, de justice ou d’immigration, et se rêve en porte-voix des chefs d’entreprise, probusiness vantant la retraite par capitalisation ou la suppression de la contribution sociale généralisée (CSG)…
Tout cela baigne dans un populisme assumé, Praud prenant à partie «les Français», «les gens», pour valider ses opinions face à «la tambouille» du petit monde politique. Pour cela, il se base souvent sur les sondages, comme ceux en faveur de l’union des droites ou contre l’immigration – quand d’autres sondages contreviennent à ses idées, ils passent à la trappe, notamment ceux approuvant la condamnation de Nicolas Sarkozy ou se montrant favorables à la taxe Zucman.
Les chroniqueurs qui le côtoient sur le plateau de l’Heure des pros dressent le portrait d’un homme de droite d’un autre temps. «Il parle souvent de la droite des années 80, des assises du RPR de Villepinte sur l’immigration en 1990, explique ainsi l’ancien sénateur socialiste André Vallini. Même si, hors antenne, quand on approfondit la discussion, il n’a pas forcément les mêmes jugements. Il peut faire valoir que l’immigration peut être nécessaire d’un point de vue économique par exemple.» «Il est tenant d’une vieille droite républicaine, un peu anachronique et caricaturale, appuie l’avocat Alain Jakubowicz, ancien président de la Licra. Ce n’est pas un type d’extrême droite. Je pense qu’il n’a jamais voté pour le Front national par exemple…»
C’est peut-être bien pour ça qu’au RN, on s’en méfie. Pascal Praud s’en fait pourtant un ardent défenseur dès que le parti est critiqué dans les autres médias, et notamment sur le service public, grignotant les derniers fils du cordon sanitaire. Parfois, il opère aussi comme un rabatteur. Face au comédien Pierre Arditi, à l’écrivaine Amanda Sthers ou à Alain Jakubowicz (plusieurs fois), toujours le même interrogatoire : «Dans un second tour entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, pour qui votez-vous ?» En face, les invités esquivent, se refusant à cette tentative grossière pour achever la dédiabolisation du parti d’extrême droite.
Pour autant, les relations de CNews avec le RN sont ambivalentes – sur la chaîne, Marine Le Pen ne se sent pas nécessairement chez elle. Un proche de la leader d’extrême droite estime ainsi que la sphère Bolloré préférera toujours faire monter face à elle un «candidat du système», comme ce fut le cas avec Eric Zemmour lors de la dernière présidentielle. «CNews pense que Marine sera condamnée, juge ce responsable du RN. Ils ont déjà essayé de faire de Jordan [Bardella] un anti-Marine pour nous emmerder, mais je pense surtout qu’ils veulent nous refaire une Zemmour avec Sarah Knafo. Leur dernier poulain, Bruno Retailleau, a disparu, donc toute leur énergie se reporte sur elle.»
De plus en plus de ponts existent cependant entre CNews et le RN. Marine Le Pen a récemment été reçue par Vincent Bolloré, chez lui, dans le XVIe arrondissement de Paris, et Jordan Bardella vient de publier son deuxième livre chez Fayard, maison d’édition de la bollosphère, avec, en prime, une tournée tapageuse dans tous les médias du milliardaire breton. Quand le président du RN fait un stop dans son émission, Pascal Praud en profite pour lui glisser en direct deux trois idées en faveur des classes moyennes supérieures : «Pour ceux qui gagnent 40 000 euros par an ? Plus d’impôt sur le revenu !» Quel journaliste fait ça ?
Avec Macron, le jeu du chat et de la souris
Ces temps-ci, l’Heure des pros a radicalisé sa formule de défouloir anti-Macron, à coups de psychanalyses de comptoir sur un Président «psychorigide», avec une «volonté de petit dictateur»… «Des ministres nous disent qu’il est devenu fou !» A une époque, le cercle proche d’Emmanuel Macron tentait encore de faire entendre raison à la vedette de CNews : le 15 octobre 2020, Pascal Praud se retrouve face à un quatuor composé de Bruno Roger-Petit, conseiller mémoire du Président (et ancien chroniqueur dans l’Heure des pros période i-Télé), de la plume du chef de l’Etat Jonathan Guémas, du conseiller en com Clément Leonarduzzi et de Florian Bachelier, alors député LREM.
Le sujet au cœur de ce dîner ? Ses prises de position, jugées outrancières, contre la stratégie du gouvernement dans la crise du Covid. Le choix du salon pour le recevoir, au premier étage de l’aile ouest du palais, n’avait pas été laissé au hasard. Il s’agissait d’un ancien bureau où, en 1994, le conseiller de Mitterrand François de Grossouvre avait été retrouvé mort, suicidé, la tête à moitié arrachée par une balle de 357 Magnum. A peine assis, quand les conseillers de l’Elysée lui apprennent qu’il se trouve à l’endroit où le corps a été retrouvé, Praud serait devenu blême. Coup de pression alambiqué ? Rien de mémorable pour l’intéressé.
Agent de liaison officiel, Bruno Roger-Petit dit en tout cas aujourd’hui en privé avoir lâché l’affaire avec celui qu’il considérait autrefois comme un précieux thermomètre des humeurs des Français. Le conseiller du Président lui envoie pourtant toujours des SMS. C’était encore le cas le 13 novembre au matin, pendant l’émission, pour tenter de rectifier les propos de Praud sur la libération de Boualem Sansal. A l’été 2024, «BRP» avait averti le présentateur de CNews de la dissolution qui se profilait, avant même que le Premier ministre Gabriel Attal n’en soit informé. A l’antenne, Praud fait toujours des œillades ironiques à «notre excellent ami Bruno Roger-Petit», le seul conseiller encore à l’Elysée depuis 2017, «parce qu’il dit les choses au Président, lui !», s’amuse l’animateur en plateau. Avant d’ajouter : «A mon avis, il va revenir ici après l’Elysée, il aura des choses à nous dire.»
Avec Macron, finalement, Pascal Praud aura joué au jeu du chat et de la souris tout au long des deux mandats. Une scène de théâtre de boulevard résumerait leur relation : elle s’est régulièrement déroulée dans le VIIe arrondissement de Paris. L’animateur est un client régulier du restaurant asiatique haut de gamme Lily Wang, situé près de chez lui. La cantine aux lumières tamisées est aussi prisée du couple Macron. A chaque fois que Pascal Praud y croise le Président, il ne peut s’empêcher de l’interpeller et de lui donner des conseils. Si bien que le chef de l’Etat l’a surnommé «le concierge du Lily Wang» – Libération le racontait déjà en 2023.
Sauf que l’histoire ne s’arrête pas là : à force de tomber à chaque fois sur l’animateur de CNews, les Macron auraient cessé de venir dîner dans le restaurant asiatique. Ils le suspectaient même de guetter, depuis son appartement, la présence des motards de la garde républicaine, pour ensuite descendre à la rencontre du chef de l’Etat. L’éloignement n’a duré qu’un temps : aux dernières nouvelles, le couple Macron serait retourné récemment au Lily Wang. Derrière son rideau, le «concierge» a aperçu les motos.
A la fin, si les audiences de l’Heure des pros grimpent autant à dix-huit mois de l’élection présidentielle, c’est bien parce que l’émission capitalise aussi sur l’impopularité d’un Emmanuel Macron en fin de règne. Dans le même temps, poussant à fond le curseur de l’outrance, trumpisant le débat public, imposant aux partis leurs thèmes et parfois leurs idées, Pascal Praud et les médias Bolloré font, pour l’heure, tourner la grande roue de l’union des droites. Alors, Jordan Bardella ? Bruno Retailleau ? Marine Le Pen ? Eric Zemmour ? Sarah Knafo ? Gérald Darmanin ? Voire Philippe de Villiers ? Sur qui s’arrêtera le curseur ?
https://www.liberation.fr/economie/medi ... R3EOEJRVI/
Le succès aidant, sa recette a essaimé sur toute l’antenne, et de plus en plus dans le reste du PAF – jusqu’à la chaîne publique Franceinfo, sous le feu des critiques de la gauche pour avoir engagé deux anciens de CNews. Au milieu, passé adolescent par le conservatoire d’art dramatique de Nantes, le sexagénaire cabotine et parle souvent de son émission comme d’un «petit théâtre». Connecté en continu aux colères des réseaux sociaux, notamment X, Praud se pose en pourfendeur du conformisme médiatique et récolte, comme le Rassemblement national, les fruits de l’ambiance dégagiste du moment.
Avec de l’autre côté de l’écran, rien de moins que le «premier parti de France» : les retraités. En analysant les audiences Médiamétrie de l’Heure des pros, on s’aperçoit ainsi que, parmi les 600 000 téléspectateurs environ qui regardent son émission matinale (entre 9 heures et 10 h 30), près de 60 % ont plus de 65 ans. Et même un tiers (200 000 téléspectateurs, donc) ont plus de 75 ans. A peu près les mêmes proportions que pour son émission du soir, dont l’audience monte à près d’un million de fidèles. Un public qui reste aussi très longtemps devant CNews : si ses audiences sont si importantes, c’est à cause de la durée d’écoute (le temps passé devant la chaîne) de ces plus de 65 ans. Surtout, c’est une génération qui pèse plus que les autres dans le corps électoral – lors de la présidentielle 2022, les seniors représentaient un cinquième de la population, mais un quart des votants. Enfin, une génération qui, historiquement, rechigne aussi à voter pour l’extrême droite.
Alors, au-delà de la simple formule de son émission, son activisme pour pousser au mariage entre le Rassemblement national, Reconquête et les Républicains se joue aussi plus concrètement en plateau ou en coulisses. Pascal Praud y porte ardemment le combat de l’union des droites depuis des mois, voire des années, aligné sur ce sujet avec son patron Vincent Bolloré – déjà au moment des législatives anticipées de 2024, le milliardaire breton avait échafaudé avec Eric Ciotti, alors président de LR, le ralliement de celui-ci au RN. Cette fois, l’automne politiquement mouvementé est l’occasion d’une nouvelle bataille. Sur la une du JD News, toutes les figures de la droite et de l’extrême droite défilent pleine page – la semaine dernière, Marion Maréchal y rêvait à voix haute d’une coalition «de Bardella à Retailleau». «Pour un futur candidat de la droite à la présidentielle, CNews est un sujet incontournable, affirme un communicant de LR. Et Praud a acquis un poids plus imposant qu’en 2022.»
«Il n’y a pas de contradicteur» autour de la table
Avec les acteurs du monde politique, qu’il croise régulièrement dans les restaurants où il dîne ou qu’il a constamment au téléphone, les saoulant parfois d’appels ou de SMS, Pascal Praud intimide ou récompense selon la considération qui lui est portée. «Vous ne voulez pas venir dans mon émission ?» demande-t-il à tous ceux qu’il rencontre, même ceux qu’il insulte à l’antenne. Les anciens sarkozystes devenus ministres comme Gérald Darmanin ou Rachida Dati sont reçus avec déférence. «Parce que, dans les médias Bolloré, on considère qu’ils se sont bien comportés avec le groupe», persifle un observateur à droite.
Hors studios, voilà régulièrement Praud à 8 heures dans les loges d’Europe 1 pour échanger avec l’invité de l’interview de Sonia Mabrouk. Quand le nom de Jean-Louis Borloo circule pour le job de Premier ministre, l’animateur lui passe plusieurs coups de fil pour lui demander si la rumeur dit vrai. Les LR rejettent un moratoire sur les énergies renouvelables pourtant déposé par un député de leur parti ? Praud, farouchement anti-éoliennes, appelle directement leur président Bruno Retailleau pour obtenir des explications. «On va voir son autorité, lui qui veut gouverner la France», appuie l’animateur sur Europe 1.
Avec Les Républicains, héritiers de son parti de cœur, lui le nostalgique du RPR d’antan et du sarkozysme triomphant, Pascal Praud tape fort pour les droitiser. «Ils insistent avec cette logique d’union des droites, mais personne n’en veut, ni Marine Le Pen ni nous», juge un député LR. «Praud a trouvé un créneau avec l’union des droites, parce que beaucoup d’électeurs sont d’accord là-dessus, et tant pis si ça ne correspond pas à la réalité de nos institutions, abonde un communicant. Il y a une grande naïveté là-dedans. En France, il y aura toujours plusieurs droites et c’est comme ça.»
Tant pis pour la nuance. Le sénateur LR Roger Karoutchi appelle à un front républicain avec le RN contre LFI ? Praud en fait l’ouverture de son émission : «La poutre bouge !» clame-t-il. Le 10 octobre, le voilà, écharpe nouée autour du cou, qui accueille le porte-parole de LR Jonas Haddad à l’antenne d’Europe 1 avec un long et violent réquisitoire de plus de quatre minutes se concluant ainsi : «Vos électeurs vous demandent un rapprochement que vous leur refusez. Etes-vous à ce point déconnecté de leurs attentes, ce qui est possible ?» Sollicité par Libération, Haddad minore l’attaque : «C’est son style, chaque média a sa ligne.» Tout en s’étonnant tout de même que «tout le plateau soit comme ça, qu’il n’y ait pas de contradicteur» autour de la table.
La disgrâce de Wauquiez et l’ascension de Zemmour
Dans le camp de Laurent Wauquiez – «peut-être l’homme politique que Praud a le plus insulté ces derniers mois», note avec une pointe de joie mauvaise un observateur à droite – on encaisse aussi. Après une première campagne violente au printemps à l’occasion du congrès de LR, Praud s’en prend depuis des semaines au président des députés de la droite à l’Assemblée, lui qui s’est refusé à voter la censure du gouvernement Lecornu II. «Laurent Wauquiez ne peut-il pas, pour une fois, faire preuve de courage dans sa vie ?» s’interroge l’animateur à l’antenne, à propos de celui qu’il surnomme «Laurent le maléfique».
Il est loin le temps où l’ancien maire du Puy-en-Velay invitait Praud pour une entrevue. S’ils se téléphonent régulièrement, «ils ne se sont pas vus depuis des mois», indique-t-on aujourd’hui côté Wauquiez, où l’on soupçonne plutôt le rival Bruno Retailleau, voire Eric Ciotti, de chuchoter à l’oreille de la vedette de CNews. Reste que Wauquiez devrait sûrement revenir en grâce à ses yeux, après avoir évoqué l’idée d’une primaire de la droite «de Gérald Darmanin à Sarah Knafo» pour 2027 – une rencontre avec le président de Reconquête Eric Zemmour a même eu lieu mercredi 12 novembre à l’Assemblée.
La ligne d’arrivée n’a jamais semblé aussi proche pour CNews et Pascal Praud, qui ont réussi au passage à faire de l’une des anciennes figures de la chaîne un perturbateur de la droite française. Déjà lors de la présidentielle de 2022, le journaliste poussait le nom de son ancien collègue Zemmour dans les dîners. C’était le cas par exemple à La Baule, tandis que la campagne battait son plein, fin 2021. Fidèle vacancier de la station balnéaire, base arrière des droites où ses fans retraités pullulent, Pascal Praud s’est trouvé avec sa compagne à la table du maire et ami, Franck Louvrier, qui a aussi convié Valérie Pécresse et son mari. Le présentateur de CNews a passé la soirée à faire la leçon à la candidate LR en vantant les mérites de Zemmour et de l’union des droites, tout en lui affirmant qu’il n’existe pas d’espace électoral pour elle – le piteux résultat de Pécresse ne lui a pas donné tort. Celle-ci s’est défendue tout aussi vertement, lui opposant que la candidature Zemmour ne fera que morceler la droite et réélire Macron. Pas faux, là non plus.
Deux ans plus tard, après la dissolution à l’été 2024, la bataille a repris de plus belle : tout le groupe Bolloré a poussé pour l’union des droites aux législatives, dans le sillage du ralliement d’Eric Ciotti au RN. Persuadé que Jordan Bardella était en route pour Matignon, Pascal Praud faisait alors en privé la leçon à Bruno Retailleau, convaincu qu’il manquait là une occasion de faire triompher ses idées. En face, le sénateur vendéen campait sur ses positions : «Vous vous plantez, le RN n’aura jamais la majorité.» «S’il a beaucoup de talent pour commenter, il n’a pas le recul pour anticiper, sa pensée politique est très sommaire, juge-t-on côté LR. Il ne faut pas surestimer son influence.»
«Les gens», «les Français» et un populisme assumé
Dans les «50 nuances de droite» (une de ses expressions fétiches), où se situe Pascal Praud ? En privé, il avoue se retrouver plutôt dans les idées de Bruno Retailleau, un homme de sa génération, originaire de Nantes comme lui. Reconquête ? Il trouve le discours zemmourien trop violent pour être présidentiable. L’animateur a en réalité son propre programme politique, qu’il égrène au fur et à mesure des émissions : conservateur, autoritaire et ultralibéral, avec une touche de progressisme pour mieux brouiller les pistes. Sur les sujets de société, il rappelle ainsi systématiquement être favorable à la PMA, la GPA ou l’euthanasie. Mais à côté, il prône la répression à tous crins sur les sujets d’insécurité, de justice ou d’immigration, et se rêve en porte-voix des chefs d’entreprise, probusiness vantant la retraite par capitalisation ou la suppression de la contribution sociale généralisée (CSG)…
Tout cela baigne dans un populisme assumé, Praud prenant à partie «les Français», «les gens», pour valider ses opinions face à «la tambouille» du petit monde politique. Pour cela, il se base souvent sur les sondages, comme ceux en faveur de l’union des droites ou contre l’immigration – quand d’autres sondages contreviennent à ses idées, ils passent à la trappe, notamment ceux approuvant la condamnation de Nicolas Sarkozy ou se montrant favorables à la taxe Zucman.
Les chroniqueurs qui le côtoient sur le plateau de l’Heure des pros dressent le portrait d’un homme de droite d’un autre temps. «Il parle souvent de la droite des années 80, des assises du RPR de Villepinte sur l’immigration en 1990, explique ainsi l’ancien sénateur socialiste André Vallini. Même si, hors antenne, quand on approfondit la discussion, il n’a pas forcément les mêmes jugements. Il peut faire valoir que l’immigration peut être nécessaire d’un point de vue économique par exemple.» «Il est tenant d’une vieille droite républicaine, un peu anachronique et caricaturale, appuie l’avocat Alain Jakubowicz, ancien président de la Licra. Ce n’est pas un type d’extrême droite. Je pense qu’il n’a jamais voté pour le Front national par exemple…»
C’est peut-être bien pour ça qu’au RN, on s’en méfie. Pascal Praud s’en fait pourtant un ardent défenseur dès que le parti est critiqué dans les autres médias, et notamment sur le service public, grignotant les derniers fils du cordon sanitaire. Parfois, il opère aussi comme un rabatteur. Face au comédien Pierre Arditi, à l’écrivaine Amanda Sthers ou à Alain Jakubowicz (plusieurs fois), toujours le même interrogatoire : «Dans un second tour entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, pour qui votez-vous ?» En face, les invités esquivent, se refusant à cette tentative grossière pour achever la dédiabolisation du parti d’extrême droite.
Pour autant, les relations de CNews avec le RN sont ambivalentes – sur la chaîne, Marine Le Pen ne se sent pas nécessairement chez elle. Un proche de la leader d’extrême droite estime ainsi que la sphère Bolloré préférera toujours faire monter face à elle un «candidat du système», comme ce fut le cas avec Eric Zemmour lors de la dernière présidentielle. «CNews pense que Marine sera condamnée, juge ce responsable du RN. Ils ont déjà essayé de faire de Jordan [Bardella] un anti-Marine pour nous emmerder, mais je pense surtout qu’ils veulent nous refaire une Zemmour avec Sarah Knafo. Leur dernier poulain, Bruno Retailleau, a disparu, donc toute leur énergie se reporte sur elle.»
De plus en plus de ponts existent cependant entre CNews et le RN. Marine Le Pen a récemment été reçue par Vincent Bolloré, chez lui, dans le XVIe arrondissement de Paris, et Jordan Bardella vient de publier son deuxième livre chez Fayard, maison d’édition de la bollosphère, avec, en prime, une tournée tapageuse dans tous les médias du milliardaire breton. Quand le président du RN fait un stop dans son émission, Pascal Praud en profite pour lui glisser en direct deux trois idées en faveur des classes moyennes supérieures : «Pour ceux qui gagnent 40 000 euros par an ? Plus d’impôt sur le revenu !» Quel journaliste fait ça ?
Avec Macron, le jeu du chat et de la souris
Ces temps-ci, l’Heure des pros a radicalisé sa formule de défouloir anti-Macron, à coups de psychanalyses de comptoir sur un Président «psychorigide», avec une «volonté de petit dictateur»… «Des ministres nous disent qu’il est devenu fou !» A une époque, le cercle proche d’Emmanuel Macron tentait encore de faire entendre raison à la vedette de CNews : le 15 octobre 2020, Pascal Praud se retrouve face à un quatuor composé de Bruno Roger-Petit, conseiller mémoire du Président (et ancien chroniqueur dans l’Heure des pros période i-Télé), de la plume du chef de l’Etat Jonathan Guémas, du conseiller en com Clément Leonarduzzi et de Florian Bachelier, alors député LREM.
Le sujet au cœur de ce dîner ? Ses prises de position, jugées outrancières, contre la stratégie du gouvernement dans la crise du Covid. Le choix du salon pour le recevoir, au premier étage de l’aile ouest du palais, n’avait pas été laissé au hasard. Il s’agissait d’un ancien bureau où, en 1994, le conseiller de Mitterrand François de Grossouvre avait été retrouvé mort, suicidé, la tête à moitié arrachée par une balle de 357 Magnum. A peine assis, quand les conseillers de l’Elysée lui apprennent qu’il se trouve à l’endroit où le corps a été retrouvé, Praud serait devenu blême. Coup de pression alambiqué ? Rien de mémorable pour l’intéressé.
Agent de liaison officiel, Bruno Roger-Petit dit en tout cas aujourd’hui en privé avoir lâché l’affaire avec celui qu’il considérait autrefois comme un précieux thermomètre des humeurs des Français. Le conseiller du Président lui envoie pourtant toujours des SMS. C’était encore le cas le 13 novembre au matin, pendant l’émission, pour tenter de rectifier les propos de Praud sur la libération de Boualem Sansal. A l’été 2024, «BRP» avait averti le présentateur de CNews de la dissolution qui se profilait, avant même que le Premier ministre Gabriel Attal n’en soit informé. A l’antenne, Praud fait toujours des œillades ironiques à «notre excellent ami Bruno Roger-Petit», le seul conseiller encore à l’Elysée depuis 2017, «parce qu’il dit les choses au Président, lui !», s’amuse l’animateur en plateau. Avant d’ajouter : «A mon avis, il va revenir ici après l’Elysée, il aura des choses à nous dire.»
Avec Macron, finalement, Pascal Praud aura joué au jeu du chat et de la souris tout au long des deux mandats. Une scène de théâtre de boulevard résumerait leur relation : elle s’est régulièrement déroulée dans le VIIe arrondissement de Paris. L’animateur est un client régulier du restaurant asiatique haut de gamme Lily Wang, situé près de chez lui. La cantine aux lumières tamisées est aussi prisée du couple Macron. A chaque fois que Pascal Praud y croise le Président, il ne peut s’empêcher de l’interpeller et de lui donner des conseils. Si bien que le chef de l’Etat l’a surnommé «le concierge du Lily Wang» – Libération le racontait déjà en 2023.
Sauf que l’histoire ne s’arrête pas là : à force de tomber à chaque fois sur l’animateur de CNews, les Macron auraient cessé de venir dîner dans le restaurant asiatique. Ils le suspectaient même de guetter, depuis son appartement, la présence des motards de la garde républicaine, pour ensuite descendre à la rencontre du chef de l’Etat. L’éloignement n’a duré qu’un temps : aux dernières nouvelles, le couple Macron serait retourné récemment au Lily Wang. Derrière son rideau, le «concierge» a aperçu les motos.
A la fin, si les audiences de l’Heure des pros grimpent autant à dix-huit mois de l’élection présidentielle, c’est bien parce que l’émission capitalise aussi sur l’impopularité d’un Emmanuel Macron en fin de règne. Dans le même temps, poussant à fond le curseur de l’outrance, trumpisant le débat public, imposant aux partis leurs thèmes et parfois leurs idées, Pascal Praud et les médias Bolloré font, pour l’heure, tourner la grande roue de l’union des droites. Alors, Jordan Bardella ? Bruno Retailleau ? Marine Le Pen ? Eric Zemmour ? Sarah Knafo ? Gérald Darmanin ? Voire Philippe de Villiers ? Sur qui s’arrêtera le curseur ?
https://www.liberation.fr/economie/medi ... R3EOEJRVI/

