..........................................Serge Money, un disque d'or au barreau...........................................
L'amoureux des mots a d'abord conquis le milieu du rap avec son collectif Mafia Trece, avant de devenir un avocat pénal à l'éloquence respectée.
Avant de devenir avocat pénaliste, Serge Money a eu son heure de gloire dans les années 1990 avec son collectif de rap Mafia Trece.
Il est 16 heures, un vendredi pluvieux à Ivry-sur-Seine, à la limite de Paris et du Val-de-Marne (94). Au deuxième étage de la mairie, une centaine de personnes assistent à un concours d'éloquence pour le mémorial de Caen. Sur une estrade, des collégiens de la ville enchaînent des sketches par binôme sur le thème des droits de l'homme. Mariage forcé, viol, Ouïghours, racisme, liberté d'expression, rien n'est épargné au jury composé d'une dizaine de membres.
Installé au premier rang, un homme élégant, costume trois-pièces, grosse montre et chaussures vernies, griffonne sur une feuille et s'arrête de temps à autre pour lever la tête. À quelques mètres de lui, une petite collégienne aux tresses colorées mime une avocate : « Objection votre honneur ! » s'exclame-t-elle. Il sourit. Non pas que la scène soit un cliché des séries judiciaires à l'américaine, mais parce que Serge Money avait sûrement les mêmes fantasmes plus jeune.
À 44 ans, l'avocat pénal a déjà dix ans de métier derrière lui, dont une année comme secrétaire de la prestigieuse conférence des avocats. Lui qui vient d'une famille de quatre enfants à Ivry-sur-Seine et dont les parents ivoiriens sont des ouvriers n'a pas le profil typique. D'abord parce que sur les 204 derniers secrétaires de la conférence, on compte seulement deux hommes noirs. Et surtout parce que l'un d'eux a été rappeur.
« Soirées traquenard » et disque d'or:
On retrouve notre homme dans son luxueux cabinet avec parquet, tableaux et moulures, à deux pas du Trocadéro. Serge Money n'a jamais renié Cochise, son ancien nom d'artiste. Celui qui passait des heures en studio à affûter ses rimes. « Quand on veut être avocat, rapper est extrêmement cohérent. C'est l'envie de parler et de se battre pour les autres. L'envie de dire tout haut ces choses qu'on vit et de représenter ces gens-là.
Que ce soit dans le droit ou la musique, ce sont les mots qui font la différence », explique calmement l'ancien membre du collectif Mafia Trece, les mains croisées sur son bureau. Entre 1997 et 2000, le groupe de rap qui compte de futures stars comme Diam's et Yannick se distingue par son style : « À l'époque le rap, c'était IAM, MC Solaar, NTM. Nous, on avait que des scènes devant des nanas, on n'avait pas un public de banlieue. On n'a jamais eu de bagarre ou d'embrouilles. Il y avait un côté très boys band », se souvient Serge Money.
À l'époque, le jeune rappeur n'est qu'en première année de droit. Il se souvient des sessions en studio : « Il y avait des musiques, on choisissait un thème, et chacun posait. Fallait voir comment on se poussait, on se charriait, on était hyper critiques entre nous, raconte-t-il. Je crois qu'on est les premiers à avoir fait des rimes à 100 %. » Parmi les neuf membres du collectif, Serge est le rappeur intello : « il avait un vocabulaire imagé, poétique, travaillé », se souvient Aurélien Sorin qui le connaît depuis le lycée.
« Son écriture était théâtrale, elle racontait des histoires », renchérit Monique Day, sa meilleure amie.
Après un EP et un titre remarqué, « Je plaide pour la rue », Mafia Trece sort son premier album en 1997, Cosa Nostra, qui se vend à 100 000 exemplaires grâce à une bonne promotion sur Skyrock. « Il s'est passé un truc avec Mafia Trece qui nous a dépassés », raconte l'ancien avocat en repensant à la belle époque. Fred Musa, animateur des émissions Planète rap sur Skyrock et ami de Serge Money, se souvient notamment des « soirées traquenard » à Paris où l'alcool coule à flots.
Celui qui se voyait refuser l'accès en boîte de nuit quelques mois plus tôt est désormais invité en carré VIP avec ses potes. Mais les années passent et le collectif se divise. Yannick sort un single « dans notre dos », puis Mafia Trece signe chez Sony et se retrouve écrasée par la bureaucratie. L'étudiant en droit était sûr de son coup, aujourd'hui il en rigole : « Évidemment que j'avais signé des contrats de merde et que je m'étais fait baiser ! » Disque d'or, mais divisé, le collectif de Mafia Trece se disloque.
« Tu ne vas pas prendre Money, attends, il est noir ! »
Abîmé par l'échec, profondément blessé par la mort de son frère qui l'avait initié au hip-hop, Cochise revient aux fondamentaux, en particulier à son rêve de gosse : devenir avocat. C'est sa meilleure amie Monique qui le pousse à revenir sur les bancs de la Sorbonne malgré son âge avancé. « Il n'y avait pas d'autre issue, explique-t-elle, c'était presque un état d'urgence. » Serge suit son conseil « presque pour qu'elle se taise ». Mais retourner à l'université à 30 ans n'est pas chose aisée quand on a connu les showcases et les festivals : « J'avais des salles notes au début, c'était catastrophique », se souvient-il.
À la fac, la différence d'âge est flagrante avec les autres étudiants et certains chargés de TD connaissent le rappeur. « Ce n'était pas tout rose, raconte Monique Day, il était solitaire, il rentrait, il bossait. » Mais la pugnacité de Serge porte ses fruits. Petit à petit, l'étudiant retrouve le goût des études. Les ateliers d'écriture qu'il anime lui assurent un petit revenu, car Serge n'a rien perdu de sa plume.
Le jeune homme prête serment en 2009 et débarque dans un milieu codifié où tout le monde se connaît. On ne lui dit pas en face, mais il est clairement l'intrus. « Je ne suis pas considéré, pas des leurs, il y a un peu de dédain. Je viens manger à une table où il n'y a pas de chaise pour moi. Lorsqu'on en vient aux partages de bénéfices, les instants redeviennent grégaires », estime l'avocat.
Forcément, le mépris s'accompagne de commentaires racistes : « Tu ne vas pas prendre Money, attends, il est noir ! » argumentent certains de ses confrères devant leurs clients. Serge Money a forcé les portes de l'ascenseur social et ce n'est pas du goût de tout le monde : « Sale noir, t'as deux manières de le dire : en le prononçant ou en ne le prononçant pas. Plus tu montes dans la société, et moins on le prononce, mais on te le dira toujours. »
"Sale noir, t'as deux manières de le dire : en le prononçant ou en ne le prononçant pas. Plus tu montes dans la société, et moins on le prononce, mais on te le dira toujours."
Plaider avec les tripes:
Aujourd'hui, la vie est peut-être un peu plus simple pour l'avocat. On ne l'appelle plus « l'extraterrestre », du fait de son parcours chaotique. Le cabinet qu'il a fondé avec son associé tourne bien, en témoignent les incessants appels qu'il reçoit et la demi-douzaine de clients qui l'attendent derrière sa porte. La plupart sont là pour des affaires de « pénal dur » : violence, stup ou banditisme. Une sorte de revanche, ou du moins de clin d'œil à la vie pour celui qui a connu les contrôles au faciès. Il offre parfois ses services gratuitement aux clients qui ont peu de moyens. « J'aime plaider l'humain, j'aime plaider avec mes tripes », dit-il.
Pour Louis-Romain Riché, avocat et ami, « il a démystifié le métier de pénaliste qui abuse des effets de style. Lui est hyper carré, il plaide sur le dossier. En plus de l'éloquence, il a la compétence ». De son côté, Serge Money estime retrouver les mêmes sensations dans les joutes judiciaires qu'avant de monter sur scène : « On trépigne, on entend plein de choses, le public, la foule, et puis, au moment de commencer le show, on a cette boule au ventre. Moi, je me demande toujours si je vais être à la hauteur, si je ne vais pas être à côté de la plaque », avoue-t-il.
Si sa vie d'artiste s'est arrêtée en 2001, Serge Money continue à écouter des rappeurs comme Youssoupha et Nekfeu, quand ce n'est pas Michel Berger ou Renaud. Pas question de s'écouter lui-même en revanche. Il déteste. L'avocat s'oriente désormais vers le droit pénal des affaires, « un peu plus intellectuel », selon lui. Qui sait ce qu'il fera dans cinq ans. Peut-être de la politique ? « Avocat n'est pas ma dernière vie. J'ai encore envie de donner. » Une chose est sûre, vous le croiserez encore à Ivry-sur-Seine.
Source:Le Point.