.....................................Assistants parlementaires du MoDem :Le document qui fait trembler Bayrou....................................
« Le Point » révèle le contenu d'une note rédigée par un cadre du parti en 2011 et fustigeant les députés « qui ne veulent pas respecter [leurs] engagements ». Par Nicolas Bastuck, Marc Leplongeon, Emilie Trevert et Aziz Zemouri.
C'est une des pièces maîtresses dans l'information judiciaire ouverte contre le MoDem pour abus de confiance et escroquerie. Un document qui pourrait faire basculer l'enquête et qui intéresse fortement les policiers de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) alors que le parti de François Bayrou est soupçonné d'avoir en partie rémunéré, et ce, pendant des années, des collaborateurs grâce aux fonds du Parlement européen.
En 2011, deux ans après les élections qui ont propulsé six membres du MoDem au Parlement européen, Bernard Lehideux, vice-président du parti, ancien député européen et ex-directeur de cabinet de François Bayrou, se lamente auprès du trésorier du parti. « Je n'arrive plus à rien et j'en ai assez de ces gens qui ne veulent pas, en fait, respecter les engagements qu'ils ont pris », écrit-il. En cause ? Le peu d'aide financière apportée, selon lui, au MoDem par ses eurodéputés.
La missive, adressée au trésorier Jean-Jacques Jégou, donc, commence par un état des lieux : « Les députés européens se sont engagés immédiatement après leur élection, et cela, comme l'avaient fait leurs prédécesseurs, à consacrer un tiers de la dotation mise à leur disposition pour payer leurs assistants aux salaires et charges des collaborateurs travaillant ensemble au siège du MoDem. » Soit la somme de 6 491 euros par mois.
Je n'arrive plus à rien:
Pour le MoDem de François Bayrou, la phrase est extrêmement embarrassante. Le Parlement européen interdit en effet aux assistants de travailler au siège du parti politique de leur député. Comme l'a révélé Franceinfo, le Mouvement démocrate avait ainsi reçu, en 2014, plusieurs alertes de Strasbourg lui enjoignant de ne pas se mettre dans cette « situation [qui] pourrait facilement donner lieu à un conflit d'intérêts ».
Dans sa note datée de 2011, et partiellement révélée dans l'émission Secrets d'info sur France Inter, Bernard Lehideux fait le point sur le cas de chaque eurodéputé, Robert Rochefort, Marielle de Sarnez, Sylvie Goulard, Jean-Luc Bennahmias et Nathalie Griesbeck. Élue en 2009 sous les couleurs du MoDem, Corinne Lepage, elle, n'est pas concernée : elle a déjà quitté le parti. Dans sa note, Lehideux associe des montants à chaque prénom (Marielle 9 400, Jean-Luc 1 900, Sylvie 5 800, Nathalie 1 900, Robert 4 400). Les policiers de l'OCLCIFF cherchent actuellement à savoir à quoi correspondent ces sommes : de l'argent déjà versé ou des montants à recouvrir ?
Des révélations après une série d'auditions:
Ces nouvelles révélations tombent mal pour un parti qui compte 47 députés à l'Assemblée nationale, principale force de soutien d'En marche !, et qui vient de faire sa rentrée, dimanche, dans le Morbihan, en présence du Premier ministre Édouard Philippe. Contacté, l'entourage de François Bayrou et de Marielle de Sarnez s'insurge : « Cette note ne prouve absolument pas que de l'argent du Parlement européen servait à rémunérer des salariés du MoDem. Tous les députés européens avaient leur bureau de la circonscription France au siège du parti. Leurs assistants parlementaires travaillaient en partie pour leurs députés et en partie pour le MoDem : leur rémunération européenne, selon les contrats qu'on a remis à la police, était prise en charge par leur député. »
Un flou sur lequel joue le parti centriste et qui contraint les enquêteurs à établir, tâche après tâche, les missions exactes des collaborateurs… Un travail fastidieux. Et l'entourage des patrons du Mouvement démocrate de poursuivre : « Le temps qu'ils consacraient à travailler pour le parti, c'est le parti qui les rémunérait. Dans la mesure où les parlementaires européens étaient logés gratuitement dans nos locaux, on n'allait pas non plus prendre en charge la rémunération de leurs collaborateurs. À l'époque, nous avions sollicité le Parlement européen pour savoir si nos parlementaires devaient s'acquitter d'un loyer en faveur du siège du MoDem. Il nous a été répondu que, s'ils réglaient leur location, cela reviendrait à un financement illégal de parti politique. »
Jégou : « Le parti n'a commis aucun délit »:
Jean-Jacques Jégou, l'ancien trésorier du MoDem, récipiendaire de la note, est tout aussi colère. « Que dit cette note ? J'étais tiers payant, un simple intermédiaire. Ni moi ni le MoDem ne percevions cet argent. Le Parlement européen versait chaque mois leurs indemnités aux parlementaires sur un compte ad hoc. J'établissais alors les bulletins de salaire correspondant au travail de leurs assistants parlementaires qui travaillaient pour eux depuis le siège du MoDem. En général, il s'agissait de mi-temps ou de tiers-temps, preuve qu'ils partageaient leur temps et étaient rémunérés en conséquence. »
Pour l'ancien trésorier, cette situation concernait « à peine cinq personnes ». « Le parti n'a commis aucun délit, poursuit-il. (…) Nous, au MoDem, on n'a jamais volé l'Europe. Au contraire, nous avons toujours travaillé pour elle ! Il n'y a aucun enrichissement personnel chez nous. L'argent servait à faire de la politique. Rien d'autre. » Interrogé par Le Point, l'auteur de la note, Bernard Lehideux, se refuse à tout commentaire : « Je connais évidemment ce papier, mais je refuse absolument de parler de quoi que ce soit. Il y a une enquête en cours. »
Goulard concentrée sur son « grand oral »:
Même son de cloche du côté des élus en cause, comme Nathalie Griesbeck, eurodéputée de 2004 à 2019, qui maintient n'avoir « aucun souvenir » d'une « quelconque note » lui enjoignant de consacrer une partie de sa dotation à l'emploi de collaborateurs pour le siège parisien de son parti. Comme tous les acteurs du dossier, la femme politique nous confirme avoir été entendue par la police en audition libre, il y a plusieurs semaines, mais assène : « Nul n'a jamais essayé de me fourguer qui que ce soit dans mon dos. Si tel avait été le cas, j'aurais évidemment refusé. »
Elle poursuit : « Vu ma position au sein de la commission Liberté, Affaires intérieures et Justice, c'était impensable. Pendant toutes ces années, le Parlement a validé les contrats et la rémunération de tous mes collaborateurs. S'il avait émis la moindre réserve, je me serais aussitôt conformée à ses recommandations et aurais modifié mon organisation en conséquence. »
Sylvie Goulard, qui prépare actuellement son grand oral devant le Parlement européen, en vue, si sa candidature est validée, d'endosser prochainement les habits de commissaire européenne au Marché intérieur, fait savoir qu'elle se consacre entièrement à la préparation de ses dossiers et qu'elle ne souhaite pas commenter. Quant à Robert Rochefort, questionné sur le sujet avant l'été, il avait juré lui aussi n'avoir « aucun souvenir de cette note ». Avant de formuler cette étrange remarque, preuve qu'il s'était renseigné : « C'est prévu dans le règlement du Parlement européen : tout engagement pris par un futur député européen n'a plus de valeur une fois qu'il est élu... »
Source:Le Point.