
Il est dangereux d'invoquer la morale.
Pour un particulier, il risque fort de se la voir retourner en pleine face, en pleine vie pour peu que, de manière inévitable, tôt ou tard, il se mette en faute par rapport aux préceptes qu'il prétend dispenser.
Pour un Etat, c'est encore pire.......
La moralisation du capitalisme, une éthique de l'exigence et de la rigueur, un somptuaire maîtrisé, autant d'objectifs qu'une démocratie responsable et digne ne peut qu'approuver. Mais alors, quelle formidable et dangereuse boîte de Pandore est ouverte !
Dans une société qui gronde, qui affirme avoir mal à beaucoup de ses membres, qui réclame matériellement et se plaint psychologiquement, qui ne supporte plus l'évidente inégalité, la richesse ostensible - qui déteste qu'autrui vienne lui rappeler les gouffres qui séparent les uns des autres et lui rendre trop douloureuse la tolérance, ouvrir une brèche légitime dans le bloc de l'existant, suggérer une forme d'équité citoyenne, c'est s'attirer immédiatement des éloges mais risquer le bouleversement par la suite. En effet, par quel miracle parviendrait-on à arrêter le curseur éthique là où on désire l'arrêter, l'envie sociale là où on souhaite la voir se fixer ? Il y a dans la proclamation constante de la morale publique un impérialisme inéluctable qui, après s'être attaché au moins important et à rectifier le plus choquant, viendra s'immiscer dans les processus officiels et les interventions structurelles de l'Etat. Celui-ci a cherché à mettre fin à certains bonus scandaleux des chefs d'entreprise, à imposer l'idée d'une corrélation obligatoire entre profit personnel et réussite professionnelle. Qui pourrait s'élever contre cette volonté de s'en prendre, en raison d'une conjoncture infiniment critique, à des dysfonctionnements offensants pour le commun des citoyens ?
Le paradoxe, c'est qu'au-delà de ces réactions faciles à justifier, on sent de plus en plus la difficulté de l'Etat à faire comprendre - parce qu'il aspire à la fois à plus de rigueur donc à moins d'argent dans la gestion des carrières de haut niveau et à aider le mieux possible les secteurs en difficulté par une surabondance d'argent - qu'on ne peut pas lâcher la bride partout et en même temps, son incapacité à répondre à l'ensemble des demandes sociales et son souci de cohérence. Il va se voir opposer de plus en plus une argumentation discutable mais dévastatrice selon laquelle il ne peut refuser 200 euros ici puisqu'il a octroyé des millions là.
Se dire «de gauche», c'est bien utile
Plus gravement, n'importe quelle augmentation qui ne sera pas objectivement justifiée choquera et se mettra en rupture par rapport à une morale collective qui, devenue exigeante en gros, ne pourra plus se permettre de ne pas l'être au détail. Prenons l'exemple de Jean-Pierre Jouyet passé de Secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes à la présidence de l'Autorité des marchés financiers (AMF).C'est Le Parisien qui nous révèle qu'Eric Woerth, ministre du Budget qui a fait une excellente prestation technique au Grand Jury dimanche, a augmenté l'indemnité de fonction de Jean-Pierre Jouyet avec effet rétroactif. Son montant va passer de 149 000 euros à 220 000 euros. Je sais bien que J-P Jouyet ne cesse de répéter qu'il demeure un homme de gauche et qu'évidemment il ne peut qu'accepter ce qui lui est aussi généreusement octroyé. Sans doute l'avantage décisif de se dire «de gauche»consiste-t-il à pouvoir enrober de nécessaire pureté tout ce qui se rapporte à l'argent.
En tout cas, en cette période où la démocratie est aux aguets, où on ne cesse de vérifier si le discours d'économie et de modestie est confirmé dans et par la réalité, comment ne pas s'étonner de cette entorse apparente à la pratique affichée ? L'Etat, il est vrai, a ses raisons que la raison ordinaire ne peut percevoir. Jean-Pierre Jouyet pourra présider en toute tranquillité.
Je suis persuadé que la boîte de Pandore n'est pas près de se refermer. La morale a sa logique qui va contraindre la République à l'oublier, à force et par lassitude, ou à se métamorphoser, par conviction. Le vice ou la vertu, en quelque sorte.
Mardi 17 Février 2009 - 11:22
Philippe Bilger
Dans une société qui gronde, qui affirme avoir mal à beaucoup de ses membres, qui réclame matériellement et se plaint psychologiquement, qui ne supporte plus l'évidente inégalité, la richesse ostensible - qui déteste qu'autrui vienne lui rappeler les gouffres qui séparent les uns des autres et lui rendre trop douloureuse la tolérance, ouvrir une brèche légitime dans le bloc de l'existant, suggérer une forme d'équité citoyenne, c'est s'attirer immédiatement des éloges mais risquer le bouleversement par la suite. En effet, par quel miracle parviendrait-on à arrêter le curseur éthique là où on désire l'arrêter, l'envie sociale là où on souhaite la voir se fixer ? Il y a dans la proclamation constante de la morale publique un impérialisme inéluctable qui, après s'être attaché au moins important et à rectifier le plus choquant, viendra s'immiscer dans les processus officiels et les interventions structurelles de l'Etat. Celui-ci a cherché à mettre fin à certains bonus scandaleux des chefs d'entreprise, à imposer l'idée d'une corrélation obligatoire entre profit personnel et réussite professionnelle. Qui pourrait s'élever contre cette volonté de s'en prendre, en raison d'une conjoncture infiniment critique, à des dysfonctionnements offensants pour le commun des citoyens ?
Le paradoxe, c'est qu'au-delà de ces réactions faciles à justifier, on sent de plus en plus la difficulté de l'Etat à faire comprendre - parce qu'il aspire à la fois à plus de rigueur donc à moins d'argent dans la gestion des carrières de haut niveau et à aider le mieux possible les secteurs en difficulté par une surabondance d'argent - qu'on ne peut pas lâcher la bride partout et en même temps, son incapacité à répondre à l'ensemble des demandes sociales et son souci de cohérence. Il va se voir opposer de plus en plus une argumentation discutable mais dévastatrice selon laquelle il ne peut refuser 200 euros ici puisqu'il a octroyé des millions là.
Se dire «de gauche», c'est bien utile
Plus gravement, n'importe quelle augmentation qui ne sera pas objectivement justifiée choquera et se mettra en rupture par rapport à une morale collective qui, devenue exigeante en gros, ne pourra plus se permettre de ne pas l'être au détail. Prenons l'exemple de Jean-Pierre Jouyet passé de Secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes à la présidence de l'Autorité des marchés financiers (AMF).C'est Le Parisien qui nous révèle qu'Eric Woerth, ministre du Budget qui a fait une excellente prestation technique au Grand Jury dimanche, a augmenté l'indemnité de fonction de Jean-Pierre Jouyet avec effet rétroactif. Son montant va passer de 149 000 euros à 220 000 euros. Je sais bien que J-P Jouyet ne cesse de répéter qu'il demeure un homme de gauche et qu'évidemment il ne peut qu'accepter ce qui lui est aussi généreusement octroyé. Sans doute l'avantage décisif de se dire «de gauche»consiste-t-il à pouvoir enrober de nécessaire pureté tout ce qui se rapporte à l'argent.
En tout cas, en cette période où la démocratie est aux aguets, où on ne cesse de vérifier si le discours d'économie et de modestie est confirmé dans et par la réalité, comment ne pas s'étonner de cette entorse apparente à la pratique affichée ? L'Etat, il est vrai, a ses raisons que la raison ordinaire ne peut percevoir. Jean-Pierre Jouyet pourra présider en toute tranquillité.
Je suis persuadé que la boîte de Pandore n'est pas près de se refermer. La morale a sa logique qui va contraindre la République à l'oublier, à force et par lassitude, ou à se métamorphoser, par conviction. Le vice ou la vertu, en quelque sorte.
Mardi 17 Février 2009 - 11:22
Philippe Bilger