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Contrôles de sans-papiers dans les gares et transports : quel bilan pour l’opération express de Retailleau ?
Les 18 et 19 juin, plus de 4 000 policiers et gendarmes ont été mobilisés pour «interpeller les clandestins», selon le ministre de l’Intérieur.
Dix jours plus tard, sur les 691 étrangers arrêtés, plus de 500 ont été remis en liberté.
«Durant ces quarante-huit heures, on va mobiliser 4 000 gendarmes, des policiers, des douaniers, des forces Sentinelle pour interpeller des clandestins», avait déclaré, mercredi 18 juin au matin, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, à CNews et Europe 1. Avant d’ajouter : «Ce que je veux dire, c’est que les clandestins ne sont pas les bienvenus en France de la façon la plus ferme et la plus définitive.» Après cette annonce, les forces de l’ordre ont donc été déployées le 18 et le 19 juin dans les gares, les trains et les bus.
Selon le ministère de l’Intérieur, «plusieurs» personnes ont également été assignées à résidence et 198 obligations de quitter le territoire (OQTF) ont été délivrées.
73 personnes, de leurs côtés, ont été réadmises sur le sol français. Et de préciser : «
Toutes les suites ne sont pas encore connues. Eloigner un étranger en situation irrégulière peut prendre du temps, surtout en l’absence de papiers.»
Au total, 128 250 ressortissants de pays tiers étaient sous le coup d’une OQTF en 2024, selon la base de données Eurostat.
«Inspiration trumpiste»
Dans une note adressée aux préfets et consultée par l’AFP, le ministre de l’Intérieur avait livré quelques instructions pour que soient contrôlés les «trains à destination des pays voisins et des grandes métropoles françaises, en arrivée comme en départ». Dans ce document, il célèbre notamment une «augmentation conséquente d’interception d’étrangers en situation irrégulière ces dernières semaines (+ 28 %)». Il évoque également une opération similaire menée les 20 et 21 mai, passée sous les radars, qui aurait débouché sur plus de 750 interpellations.
L’opération a suscité l’indignation de la gauche, de plusieurs syndicats (CGT, Solidaires et FSU) et des associations de défense des droits des immigrés, qui la qualifient de «rafle». Sur Bluesky, l’association Utopia 56 dénonce les «millions d’euros d’argent public dépensés pour propager la peur et servir une opération d’autopromotion». Interrogée par France Info, la secrétaire générale de la Cimade, Fanélie Carrey-Conte, y voit quant à elle le signe d’une «inspiration trumpiste» de Bruno Retailleau et une forme de remise en cause de l’Etat de droit.
Pour elle, il s’agit de rappeler «qu’il y a des droits fondamentaux qui sont garantis par des conventions et des engagements internationaux» et pas uniquement «ce que voudrait l’opinion».
«Stéréotypes de race et de classe»
Quatre organisations, parmi lesquelles le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature, avaient saisi le Conseil d’Etat en urgence, le 18 juin, pour demander la suspension de l’instruction diffusée par Bruno Retailleau. Leur requête a été rejetée dès le lendemain soir, faute d’urgence, l’opération étant terminée. Un recours au fond devait toutefois être déposé dans les jours suivants, alors que le ministre souhaite, dans son instruction, que ce type d’opérations soit «régulièrement organisé». Dans leur communiqué, les syndicats soulignent le risque d’une pratique discriminatoire : «Il est fort probable que le choix de la personne contrôlée se fasse sur des critères arbitraires et soi-disant “instinctifs”, au premier rang desquels des stéréotypes de race et de classe, la tenue vestimentaire ou l’origine ethnique réelle ou supposée de la personne.»
C’est dans ce contexte que sera examinée mardi la proposition de loi visant à prolonger la durée de maintien en centres de rétention administrative des personnes condamnées pour des faits graves, déposée par la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, à l’Assemblée nationale.
https://www.liberation.fr/checknews/con ... D2KEXEYTA/
Interrogé par CheckNews, le ministère de l’Intérieur livre les détails de cette opération express, très médiatisée. Au total, 4 679 forces de l’ordre ont été mobilisées lors d’opérations de contrôle des personnes en situation irrégulière. Elles ont contrôlé 844 gares, 1 273 trains, et 691 personnes en situation irrégulière y ont été interpellées en deux jours. Selon les informations du site Infomigrants, confirmées par France Info, une centaine de personnes auraient été reconduites à la frontière, et une trentaine auraient été placées en centre de rétention administrative, «en vue de leur expulsion».
198 obligations de quitter le territoire
Les associations recensent en effet peu de cas de placement en rétention, en dépit des nombreux moyens déployés par Bruno Retailleau. «Dans les CRA [centres de rétention administrative, ndlr] où nous sommes présents, nous ne comptons que neuf retenus : quatre à Lille, trois à Metz, deux à Vincennes», a indiqué Mathilde Buffière, responsable du service rétention du Groupe SOS Solidarités-Assfam au média StreetPress. L’association France Terre d’asile en compte quant à elle trois, tout comme la Cimade. «Toutes étaient inconnues des services de police. Et toutes ont été libérées, soit par un juge, soit par la préfecture», a détaillé au média indépendant Adrien Chhim, chef du service d’aide aux étrangers retenus à France Terre d’asile.