Chronique d'une censure annoncée.
Loi immigration : après la censure du Conseil constitutionnel, LR et RN crient au «coup de force»
La droite et l’extrême droite ont entonné le refrain de la «
censure de la volonté populaire par les juges», après la décision des sages sur la loi immigration adoptée en décembre. Ils réclament un référendum sur le sujet.
De l’eau à leur petit moulin antisystème. La censure d’une large partie de la loi Darmanin sur l’immigration, annoncée par le Conseil constitutionnel ce jeudi 25 janvier, conforte la droite et l’extrême droite dans leur commune certitude. Seule une révision de la Constitution peut permettre de maîtriser l’immigration, ont claironné à tout-va les élus des deux camps. La riposte était dans les tuyaux depuis un moment.
L’extrême droite mariniste a ainsi dégoupillé son refrain contre le «coup de force des juges», selon le président du Rassemblement national, Jordan Bardella. «Coup d’Etat des juges», a renchéri avec un accent séditieux la branche jeunesse du RN – conduite par Pierre-Romain Thionnet, proche collaborateur du patron du parti – avant de corriger le message. «Seule une réforme de la Constitution permettra de répondre aux enjeux migratoires qui touchent de plein fouet notre pays», a commenté Marine Le Pen.
Ciotti recycle de vieux refrains
Chez Les Républicains, même larmes de crocodile. Un «coup de force», a grimacé François-Xavier Bellamy, tête de liste aux européennes ; un «hold-up démocratique» pour Guilhem Carayon, porte-parole. Et voilà les héritiers du gaullisme qui chargent l’institution de la Ve République, «instrument particulièrement important» à son «bon fonctionnement», déclarait de Gaulle en 1958. Qu’importe : le chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau, a hurlé à la «censure [de] la voix des Français». Le même se défendait ce jeudi matin au micro de France Inter de toute dérive illibérale, convoquant le précédent Pasqua. En 1993, le Conseil constitutionnel avait censuré 8 des 51 dispositions de la loi sur l’immigration de l’ancien ministre de l’Intérieur, dont l’une relative au droit d’asile. Une «dérive», avait grogné le Corse. Le Premier ministre de l’époque, Edouard Balladur, avait fustigé, lui, les positions «plus philosophiques que juridiques» des juges. Jeudi, Eric Ciotti a donc recyclé de vieux refrains, estimant que le Conseil a «jugé en politique plutôt qu’en droit» : «Cette censure est une capitulation, a bougonné le président de LR aux côtés des présidents de groupes, Bruno Retailleau (Sénat) et Olivier Marleix (Assemblée). Elle abandonne de nouveau la France à tous les vents de l’immigration massive.»
Entre la droite et le gouvernement, qui a berné qui ? Au Parlement, le gouvernement a laissé les rênes à la droite, pour inscrire dans sa copie ses obsessions droitières, pourtant largement susceptibles d’être censurées par les juges. Le gouvernement avait lui-même concédé que certaines dispositions pouvaient être écartées. De quoi anticiper la décision de ce jeudi ?
«Le Conseil constitutionnel valide l’intégralité du texte du gouvernement», s’est ainsi vanté ce jeudi Gérald Darmanin, avec un brin de cynisme, prenant «acte» du grand nettoyage des mesures signées LR.
Agitation de LR
L’essentiel des «cavaliers législatifs» censurés par les sages – restriction de l’accès aux prestations sociales pour les étrangers, durcissement des conditions du regroupement familial, caution réclamée aux étudiants étrangers, délit de séjour irrégulier, restrictions du droit du sol… – avaient été réclamés et obtenus par la droite. Le principe de quotas est, lui, jugé, «au fond», contraire à la Constitution. «Le législateur [ne] peut imposer au Parlement l’organisation d’un débat en séance publique ou la fixation par ce dernier de certains objectifs chiffrés en matière d’immigration», relève le Conseil. De quoi fournir quelques autres billes à la droite.
Pour Ciotti, la censure du Conseil constitutionnel «présente d’ailleurs l’avantage paradoxal de nous indiquer avec netteté les limites qui sont posées à la volonté souveraine du peuple français».
La droite enjoint désormais l’exécutif à reprendre ces mesures, et vite, dans un nouveau texte. «La précipitation est mauvaise conseillère», ironise-t-on dans l’entourage de Darmanin.
L’agitation de LR (et du RN) sur la révision constitutionnelle ne devrait guère atterrir plus loin. Seuls le président de la République et le Parlement ont l’initiative pour toucher à la loi fondamentale. Le chef de l’Etat, qui s’était dit favorable au changement des règles du référendum, a constaté en novembre, devant les oppositions réunies à Saint-Denis, qu’aucune majorité ne s’est dégagée pour s’engager sur la voie d’un tel chantier. Même blocage au Parlement. A l’Assemblée, le camp présidentiel refuse de s’engager sur cette voie. Au Sénat, les centristes ne sont pas plus emballés. Or sans eux, les troupes LR de Bruno Retailleau n’ont pas la majorité. Tout ça pour ça.
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