Que n'ont-ils pas fait cette proposition de loi plus tôt ?Vingt-six sénateurs UMP s'en prennent aux magnats des médias
Une proposition de loi émanant de sénateurs UMP propose de limiter l'influence de Martin Bouygues et Vincent Bolloré...
Sur les 132 sénateurs du groupe UMP, vingt-six ont décidé de régler son compte au groupe Bouygues. Fédérés par le sénateur Francis Delattre, ils ont déposé une proposition de loi visant à "rétablir un pluralisme équilibré dans l'expression politique des médias". À leurs yeux, le CSA est incapable de garantir l'expression de la pluralité des courants d'opinion... Ils prennent donc les choses en main. Concrètement, leur proposition vise à limiter le poids des industriels possédant une chaîne de télévision quand ceux-ci dépendent pour 40 % de marchés ou de contrats publics. Dans ce cas, ces industriels ne pourraient détenir plus de 10 % des capitaux ou des droits de vote de ladite chaîne de télévision, dès lors que celle-ci contribue à l'information politique et générale.
Appliquée au pied de la lettre, cette proposition aurait des conséquences désastreuses pour Martin Bouygues, entrepreneur en bâtiment. Il n'aurait alors plus que deux solutions : soit céder TF1 pour n'en garder que 10 % au maximum, soit retirer de TF1 toutes les émissions d'information et ne conserver que les divertissements. Même la gauche, qui a caressé en son temps cette douce utopie, a renoncé à ce type de projets de loi !
Martin Bouygues dans le viseur
Le sénateur Delattre et ses vingt-cinq collègues expliquent, dans les motifs de la proposition de loi, pourquoi ils en ont après les médias, accusés d'être asservis "au seul corpus idéologique du politiquement correct". "Ces phénomènes ont indiscutablement aidé les favoris des élections présidentielles de 2007 comme de 2012, avec, pour ces dernières, une indécence caricaturale", peut-on lire dans les motifs de la proposition. Pour le sénateur Delattre et ses amis, les causes sont nombreuses : d'abord des rédactions trop à gauche. "Mais plus encore, ajoutent les 26 sénateurs UMP, par le jeu des groupes propriétaires des entreprises médiatiques, dont nombre d'entre eux prospèrent dans les contrats et commandes publiques. Ces relations économiques stratégiques, pour nombre d'entre elles, n'inclinent pas à l'indépendance mais à l'anticipation de la victoire."
Si l'on suit bien ce raisonnement, TF1 aurait aidé à la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007 parce qu'il faisait la course en tête, et TF1 aurait concouru à la victoire de François Hollande parce qu'il était le favori des sondages. Martin Bouygues, ami intime de l'ancien président de la République, sera sans doute assez surpris d'apprendre qu'il a favorisé le candidat socialiste... Le texte évoque aussi Vincent Bolloré, qui, à la suite de la revente au groupe Canal+ de ses chaînes TNT, a réussi à "s'installer comme actionnaire de référence" du groupe Vivendi, la maison mère de Canal+.
La presse écrite n'est pas visée
Toutefois, une faille surgit dans l'exposé des motifs. Il faudrait d'abord prouver que le groupe Bolloré dépende pour 40 % de ses revenus des commandes publiques. Ce n'est pas gagné. Si l'on se fie à son bilan annuel, les activités du groupe Bolloré résident à 84 % dans les transports et la logistique, avec une grosse part en Afrique. En outre, le texte déposé par les sénateurs ne le concerne plus, puisqu'en grimpant au niveau de Vivendi (avec un très faible pourcentage), le milliardaire breton ne possède plus directement de licences sur la TNT.
Par ailleurs, la proposition des sénateurs ne porte que sur les services de télévision. Comme si elle seule faisait l'opinion... De facto, deux industriels des médias échappent à la balance du sénateur Delattre : Serge Dassault (propriétaire du Figaro et sénateur UMP) et Arnaud Lagardère (Paris Match, Europe 1, le JDD...), deux hommes qui ne sont pas connus pour être des ennemis de l'UMP. Pourtant, eux dépendent en effet grandement des commandes publiques à travers leurs activités aéronautiques. Si bien qu'en définitive le texte des 26 sénateurs UMP ne vise clairement que TF1, coupable, à leurs yeux, de ne pas avoir suffisamment soutenu Nicolas Sarkozy en 2012... Cette idée que l'élection n'a pas été honnête alimente le ressentiment de l'ancienne majorité et anime également la Droite forte, un mouvement à la droite de l'UMP. Celui-ci propose que France Télévisions et Radio France recrutent des journalistes de droite qui viendraient débattre avec ceux de gauche dans chaque JT.
Pendant 10 ans a été au pouvoir et c'est seulement lorsque le PS y est depuis 6 mois que ces sénateurs UMP se plaignent des connivences entre entre grand industriel, médias et pouvoir.
Cette proposition de loi n'a pas d''autres buts que de refiler la patate chaude au PS.