Le RN prend les agriculteurs pour de bonnes poires.
Le RN en campagne pour flatter les agriculteurs
Un nombre croissant d'agriculteurs se laissent séduire par le discours du RN qui vante le « localisme » alors qu'au début du siècle, le mouvement fondé par Jean-Marie Le Pen prônait une agriculture productiviste capable de « nourrir la planète».
Février 2002. Alors que la campagne présidentielle qui le verra accéder au second tour bat son plein, Jean-Marie Le Pen effectue une brève visite au Salon de l'agriculture. Brève, car il se fait siffler, traiter de « facho » et doit prestement regagner sa voiture ciblée par des agriculteurs.
Un quart de siècle plus tard, le leader du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, peut envisager la même visite avec plus de sérénité. S'il risque d'être assailli, c'est par les demandes de « selfies », son domaine d'excellence.
Jusqu'au début des années 2000, le monde agricole, profondément ancré à droite, était décrit comme un rempart contre le parti d'extrême droite, car il lui apportait très peu de voix. C'est l'inverse aujourd'hui : lors de la présidentielle de 2022, Marine Le Pen a obtenu auprès des agriculteurs un score légèrement supérieur à sa moyenne nationale.
Mais si le RN séduit cet électorat, c'est avec un discours qui a singulièrement évolué depuis l'époque de Jean-Marie Le Pen, au point parfois de se situer loin des idées du fondateur du Front national, nationaliste aux réflexes libéraux qui s'amusait qu'on le surnommât « le Ronald Reagan français ».
Lors de la campagne pour l'élection présidentielle de 2007, Jean-Marie Le Pen exaltait ainsi une agriculture française productiviste ayant pour ambition de « nourrir la planète » et de répondre à « l'appel d'offres alimentaire du monde ». Un discours que ne renierait peut-être pas la FNSEA, ciblée aujourd'hui par le RN au nom de la défense des « petits paysans » face aux intérêts des « grands céréaliers » .
Le concept se veut habile. Il prétend concilier écologie et préférence nationale et procurer à celle-ci légitimité politique et force morale puisqu'il s'agit de sauver la planète…
«
A l'est, dans le sous-continent indien et plus loin encore jusqu'à la Chine, en marche forcée vers la puissance, le matin des paysans arrive ! » s'enflammait le leader du FN. Et c'est pourquoi, prévenait-il, il faut «
préparer les jeunes agriculteurs de France pour qu'ils soient à ce grand rendez-vous agricole planétaire, prêts à répondre à l'appel d'offres alimentaire géant que la Chine, l'Inde et l'Asie vont lancer… »
Citant l'urbanisation en Chine ou en Afrique et le manque d'eau en Inde, il prophétisait l'ouverture d'immenses marchés : « Bientôt, quand l'Inde s'asséchera, les paysans d'Europe devront la nourrir… Alimenter le monde au XXIe siècle, voilà le vrai défi ! »
Mirages du localisme
Les héritiers de Jean-Marie Le Pen tiennent aujourd'hui un tout autre discours, bien éloigné de ces rêves mondiaux. Ils vantent au contraire les mérites des « circuits courts » et du « localisme ». Le concept se veut habile. Il prétend concilier écologie et préférence nationale et procurer à celle-ci légitimité politique et force morale puisqu'il s'agit de sauver la planète…
Dans sa récente lettre ouverte aux agriculteurs de France, Jordan Bardella pousse la logique en demandant une loi «
mangeons français ! », faisant écho à une proposition plus large de Marine Le Pen qui préconisait lors de la campagne de 2012 une loi «
achetons français ».
Le marché mondial est oublié, le RN ne jure plus que par le « local ». « Les agriculteurs ne sont pas dupes, ils savent bien que ce discours ne résout pas leurs problèmes », dit-on à la FNSEA . Mais le fait est qu'il séduit en dépit de ses faiblesses évidentes.
On n'a jamais vu nulle part que favoriser un nombre limité de producteurs nationaux les rendait plus productifs, plus efficaces et moins chers. C'est même tout le contraire et l'histoire de la deuxième moitié du XXe siècle montre que les pays qui se sont essayés à cette forme d'autarcie se sont effondrés économiquement.
Martine à la ferme
«
Bardella, c'est Martine à la ferme ! »
se moque un syndicaliste agricole qui met dans le même sac le « localisme » version RN, avec son parfum de nostalgie, et certaines postures radicales des écologistes.
Pour un pays qui compte 145.000 entreprises exportatrices, a vendu plus de 84 milliards d'euros de produits agroalimentaires à l'étranger l'an dernier et affiche dans ce domaine un rare excédent,
le localisme est une impasse. De plus, alors que l'inflation alimentaire a atteint 20 % sur les deux dernières années,
le RN n'explique pas comment acheter local améliorerait le pouvoir d'achat dont il se veut le défenseur.
«
Le concept de localisme est intéressant, mais il ne faut pas perdre de vue la rationalité économique »,
admet Jean-Philippe Tanguy, député de la Somme à qui Marine Le Pen a demandé de « mettre de l'ordre » dans les idées économiques du parti. Un parti qui a plutôt choisi de repousser le moment de tester la validité de ses propositions.
Il est plus facile de flatter que de convaincre.
https://www.lesechos.fr/idees-debats/ed ... rs-2078215