Affaire Théo : « Je ne suis pas un violeur »… L’un des policiers accusés estime être lui aussi une « victime »
COMPTE-RENDU Au premier jour du procès de trois policiers jugés pour leur participation à une interpellation violente en 2017, l’un d’eux s’est présenté comme une « victime ». Au même titre que le jeune homme qui a été grièvement blessé
Publié le 09/01/24 à 18h39
« J'ai toujours essayé de faire mon travail du mieux que je peux et d'en rendre compte à ma hiérarchie », a expliqué ce mardi Marc-Antoine C., 34 ans, à la barre.
« J'ai toujours essayé de faire mon travail du mieux que je peux et d'en rendre compte à ma hiérarchie », a expliqué ce mardi Marc-Antoine C., 34 ans, à la barre. — Benoit PEYRUCQ
Trois policiers impliqués dans l’interpellation violente de Théo Luhaka, en 2017 à Aulnay-sous-Bois, sont jugés à partir de ce mardi jusqu’au 19 janvier devant la cour d’assises de Seine-Saint-Denis. Ils sont renvoyés devant les assises pour « violences volontaires » après la blessure de ce jeune homme noir de 28 ans au niveau de la zone rectale, par une matraque télescopique.
Le principal accusé, âgé de 34 ans, doit répondre de « violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente chez la victime ». Il encourt quinze ans d’emprisonnement.
Ce mardi, le gardien de la paix Marc-Antoine C. a exprimé sa « profonde compassion à l’égard » du jeune homme qui a été blessé. Evoquant les conséquences de cette affaire sur sa vie, il s’est présenté comme une « victime ».
A la cour d’assises de Seine-Saint-Denis,
La salle d’audience est bondée. De nombreux policiers en civil et des syndicalistes ont pris place dans le public. Ils sont venus soutenir leurs trois anciens collègues de la BST d’Aulnay-sous-Bois, jugés à partir de ce mardi devant les assises de la Seine-Saint-Denis pour « violences volontaires » avec circonstances aggravantes. Les accusés sont assis sur des chaises, face aux magistrats et aux jurés.
A quelques mètres, Théodore Luhaka, emmitouflé dans sa doudoune bleue et entouré de sa famille, s’est installé derrière son avocat, Me Antoine Vey, sur le banc des parties civiles. Le jeune homme de 28 ans, grièvement blessé lors d’un contrôle d’identité il y a sept ans, les écoute attentivement décliner leur identité et commenter le résumé des faits que vient de lire la présidente, Jadis Pomeau.
Costume sombre, lunettes vissées sur le nez, Marc-Antoine C., 34 ans, est le principal accusé du procès. C’est lui qui a porté le coup de matraque télescopique qui a provoqué une rupture du sphincter de Théo. Une blessure dont il garde des séquelles irréversibles. « Je suis intervenu pour dégager mon collègue qui était dans une situation très délicate dans le cadre d’une interpellation très difficile, face à un individu qui se rebellait », se justifie-t-il. Le policier assure n’avoir porté qu’un coup « qui m’a été enseigné en école, qui est légitime et réglementaire ». « Bien sûr, la blessure est désolante et j’y pense tous les jours, c’est une blessure grave », souffle-t-il. Avant d’exprimer sa « profonde compassion à l’égard » du jeune homme.
Sept lettres de félicitations
Clotilde D. l’a rencontré un an après les faits pour réaliser son enquête de personnalité. Interrogée en visio, elle évoque le parcours scolaire et professionnel « très très positif » de l’accusé. « Ses choix professionnels se sont toujours portés vers l’aide à autrui : maître-nageur, pompier volontaire, puis école de gendarmerie, de police et de pompier. Il a obtenu les deux premiers et s’est tourné vers la police », comme son père, signale-t-elle. Originaire du Pas-de-Calais, Marc-Antoine C. a rejoint le commissariat de police d’Aulnay-sous-Bois en 2013. Ses collègues décrivent ce passionné de sport « comme une personne investie », « quelqu’un d’ambitieux, de respectueux, de calme ».
« J’avais l’intime conviction que dans ce département, il y avait une misère humaine, une détresse sociale, que j’allais pouvoir me rendre utile », raconte Marc-Antoine C..
Se sentant « investi d’une mission » pour lutter contre la « criminalité », il a passé quatre ans dans le 93, où il a « appris plus que certains policiers dans toute leur carrière ». « On voit que les rapports sont tout à fait élogieux vous concernant », observe d’ailleurs la présidente. L’accusé a reçu sept lettres de félicitations, dont une signée par l’ancien ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve. « Je pense que je suis quelqu’un de carré », soutient-il. « J’ai toujours essayé de faire mon travail du mieux que je peux et d’en rendre compte à ma hiérarchie. »
« Plusieurs victimes » dans cette affaire
Puis l’accusé évacue ce qu’il a sur le cœur. « Avec cette affaire, lâche-t-il, j’ai tout perdu. Je n’ai pas pu retourner à mon domicile car je vivais en Seine-Saint-Denis. J’ai dû déménager. Mon déménagement, ce sont des proches qui l’ont fait. J’ai perdu ma profession. Du jour au lendemain, on vous traite avec la pire étiquette, celle d’un violeur. Moi, je ne veux pas gagner des millions. Tout ce que je voulais, c’est me rendre utile. Avec cette affaire, j’échappe de peu au placement en détention provisoire. » Mais il doit se « présenter chaque semaine dans le commissariat de la ville » où il a grandi. A chaque fois, il ressent de la « honte ». Marc-Antoine C. a le sentiment d’avoir « servi de fusible pour que les banlieues ne s’embrasent pas plus encore ». En attendant le verdict de la cour, il a été affecté à « un poste de soutien de correspondant informatique », loin du terrain.
Pour Marc-Antoine C., « il y a plusieurs victimes » dans cette affaire. Théo, « qui a été involontairement blessé ». Mais aussi lui-même et ses deux co-accusés, victimes selon lui « d’une médiatisation, d’une crucifixion politique ». « Nous ne sommes pas des mauvais gars et on se retrouve devant une cour d’assises, avec des peines qui peuvent être énormes », regrette-t-il, ajoutant avoir « vachement subi ». « Je pense que certains se seraient pendus s’ils avaient vécu tout cela ». L’accusé a été, d’une certaine façon, soulagé quand la vidéo de l’interpellation de Théo a été diffusée dans les médias. « On voit clairement que cette affaire n’est pas une histoire de viol salace avec des policiers qui maintiennent un homme au sol et un autre qui le sodomise », soutient-il. Avant de lancer : « Je ne suis pas un violeur, je ne suis pas un criminel ».