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Scandale des eaux en bouteille : de l’Élysée à Matignon, révélations sur le lobbying de Nestlé au sommet de l'Etat
La réglementation européenne: ... l'eau minérale naturelle, qui "se distingue par sa pureté originelle", est "microbiologiquement saine" et ne doit "en aucun cas faire l'objet d'un traitement de désinfection".Ces documents permettent aujourd'hui de reconstituer la chaîne de responsabilité politique de ce qui s'apparente à une entente secrète entre l'État français et une multinationale, elle-même à l'origine d'une tromperie à grande échelle. Ainsi, de nombreuses rencontres et échanges ont été organisés au plus haut sommet de l'État, entre des responsables de Nestlé et les conseillers et directeurs de cabinets de nombreux responsables politiques : d'Emmanuel Macron (Élysée) à Bruno Le Maire (ministère de l'Économie) en passant par François Braun (Santé), Elisabeth Borne (Matignon) ou encore Roland Lescure (Industrie). Un mail atteste notamment d'une rencontre entre des représentants de la multinationale et Alexis Kohler, secrétaire général de l'Élysée.
Cette opération de lobbying, d'une ampleur insoupçonnée, que le directeur général de la santé en 2023 qualifie de "chantage", a eu pour effet de convaincre l'Etat de contourner la réglementation relative aux eaux minérales naturelles, malgré le risque sanitaire. En effet, le gouvernement a accordé au groupe agroalimentaire le droit d'utiliser, jusqu'à aujourd'hui, des filtres non conformes dans ses usines. Et ce, alors que la direction générale de la santé, et le ministère de la santé, avaient indiqué à Matignon que cette demande n'était "pas acceptable".
Mon oeil!
Peit extrait de l'enquête que n'a pas menée...CNews!
EPILOGUEPERRIERl'usine de conditionnement de la célèbre marque d'eau minérale pétillante est inspectée, soit plus d'un an après le premier rendez-vous de Nestlé à Bercy, et plus de quatre mois après la remise du rapport final de l'IGAS. Le compte rendu de cette inspection, établi par l'Agence régionale de santé d'Occitanie, fait d'ailleurs état de "déviations microbiologiques sur l'ensemble des captages (coliformes, entérocoques, E.coli)". Forages qui présentent également des traces de polluants chimiques (métabolites de pesticides, perchlorates, perfluorés…). Dans l'usine, les inspecteurs découvrent toute une batterie de "traitements interdits : double canalisation et traitements UV et charbons actifs dissimulés derrière des armoires électriques et des bâtiments annexes" et "microfiltration à 0,2 micron", soit largement en dessous du seuil autorisé.
L'Etat est un délinquant ...Une réunion où tout bascule
D'après nos informations, une réunion est alors organisée entre Matignon, le ministère de la Santé, et celui de l'industrie. Ce jour-là, le cabinet d'Agnès Firmin-Le Bodo perd son arbitrage, et accepte finalement de se ranger à la position de l'industrie, en faveur de Nestlé, malgré les alertes sanitaires. Le 23 février 2023, une semaine plus tard, Jérôme Salomon adresse, à 18h33, un mail de relance à son ministère de tutelle, sous forme d'ultimatum, faisant part de son intention de mettre en œuvre, "sauf avis contraire [du ministère]", son plan d'action "d'ici le 15 mars prochain". La directrice de cabinet d'Agnès Firmin-Le Bodo, cette fois, lui répond dans la foulée. Elle le remercie et lui indique que des échanges sont en cours, et qu'il devrait avoir un retour très rapidement. En réalité, une heure auparavant, une concertation interministérielle dématérialisée (CID) a tranché en faveur de Nestlé, lui accordant la possibilité d'utiliser "la pratique de la microfiltration inférieure à 0,8 [micron]", tout en préconisant "une surveillance renforcée (bactériologique et virologique) de la qualité de l'eau". Nestlé a obtenu gain de cause. Le mois suivant, en mars, la dirigeante de Nestlé Waters, Muriel Lienau, est promue présidente de Nestlé France.
Contacté par la cellule investigation de Radio France et Le Monde, l'Élysée ne conteste pas nos informations : "L'Élysée n'a pas vocation à intervenir sur les méthodes de microfiltration de l'eau, mais l'attention de ses équipes a été attirée sur ce sujet par l'entreprise Nestlé, et l'Elysée a renvoyé les intéressés vers les services de l'Etat compétents". D'anciens collaborateurs d'Elisabeth Borne assurent que "le sujet n'a jamais été remonté à la Première ministre". Son directeur de cabinet de l'époque, Aurélien Rousseau, admet qu'une note, que Radio France et Le Monde ont consultée, lui a bien été adressée, mais il assure ne pas s'en souvenir : "C'est le seul document qui évoque le sujet qui m'a été transmis. Aucun sujet de santé publique ne m'a été remonté. Il y a eu une erreur d'appréciation manifeste sur la profondeur du sujet".
Dans l'entourage de Bruno Le Maire, destinataire du rapport de l'Igas, on assure que "le ministre a appris cette affaire dans la presse". Son directeur de cabinet, Bertrand Dumont, interrogé sur sa rencontre avec les dirigeants de Nestlé, affirme, lui aussi, ne pas s'en souvenir, avant de préciser : "Peut-être que lors d'une rencontre avec les dirigeants de Nestlé, la question a été abordée, parmi d'autres, mais je ne m'en souviens pas". L'ancien ministre délégué chargé de l'Industrie et de l'Energie, Roland Lescure, assure pour sa part qu'il "ne savai[t] pas que la Direction générale de la santé réclamait la suspension de l'exploitation des ressources. Nous avons fait une recommandation au regard des informations dont nous disposions. C'est Matignon qui était ensuite décisionnaire". L'ancien ministre de la Santé François Braun se souvient bien qu'"un risque sanitaire avait été identifié, mais le risque humain, lui n'était pas avéré". Agnès Firmin-Le Bodo, aujourd'hui députée du groupe Horizons et Indépendants, n'a pas souhaité répondre à nos questions, "compte tenu de la commission d'enquête en cours au Sénat".
Victor Blonde, le conseiller de l'Elysée et de Matignon, qui a récemment rejoint une banque d'affaires spécialisée dans les fusions acquisitions (Perella Weinberg), affirme aujourd'hui que "toutes les décisions ont été prises de manière concertée et en cohérence avec le ministre de la Santé". Jérôme Salomon, désormais en poste à l'OMS à Genève, ne nous a pas répondu. Enfin, Nestlé Waters assure "n’avoir jamais menacé l’Etat de quoi que ce soit", et maintient que ses microfiltres à 0,2 micron "garantissent la sécurité alimentaire, sans être une désinfection".