Ce que dit la rumeur :
Cette idée d’une « loi scélérate », source de l’endettement excessif de la France et donc, indirectement, de tous ses maux économiques depuis plus de quarante ans, est fréquemment évoquée par Debout la France, le Rassemblement national, Jacques Cheminade ou François Asselineau, mais aussi par de nombreux blogs d’extrême droite et de gauche radicale. Elle postule que l’Etat pouvait auparavant emprunter à un taux d’intérêt nul auprès de la Banque de France, ce qui lui a été interdit par la loi, comme l’explique par exemple le site Reveillez-vous.fr :
« La “dette publique” a été créée artificiellement par la loi scélérate dite “Pompidou-Rothschild” pondue en 1973, et qui interdit à l’Etat d’emprunter à taux zéro auprès de la Banque de France, ce qui était la norme jusqu’à cette date. »
POURQUOI C’EST FAUX :
Cette rumeur n’est pas nouvelle. Elle avait déjà été démontée dans Le Monde en décembre 2011 dans une tribune de l’économiste Alain Beitone. Quelques mois plus tard, une autre tribune des économistes Pierre-Cyrille Hautcœur et Miklos Vari détaillaient le mécanisme de propagation de cette « légende urbaine »,
qui serait partie d’un livre publié en 2008 par un certain André-Jacques Holbecq, passionné d’ovnis et d’économie. Explications :
Une loi de clarification, pas de révolution
La loi de 1973 n’a pas bouleversé le système d’organisation de la Banque de France, mais a surtout permis de rassembler en un seul texte des statuts et règles disséminés dans de nombreuses lois, ordonnances et décrets qui s’étaient empilés depuis sa prise de contrôle par l’Etat en 1936 et sa nationalisation en décembre 1945.
L’article 25 en première ligne
La plupart des critiques se concentrent en réalité sur l’article 25 de la loi du 3 janvier 1973, constitué d’une seule phrase : « Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France. » Pour ses détracteurs, cela implique que l’Etat ne peut plus créer de monnaie et se trouve donc désormais obligé de se financer auprès des banques privées (dont la banque Rothschild).
L’escompte est une forme d’avance de liquidités consentie par une banque en échange d’une créance. C’est un système de financement à court terme, utilisé à l’époque par les entreprises notamment – elles échangent une promesse de paiement (un effet de commerce, lettre d’échange ou billet à ordre) contre de l’argent disponible immédiatement.
Selon l’article 25, le Trésor public, c’est-à-dire l’organisme chargé des finances de l’Etat, ne peut présenter ses propres obligations (bons du Trésor ou autre) à la Banque de France comme garantie pour obtenir des liquidités.
Le simple rappel d’une règle existante
Mais en fait, la règle qui interdit à l’Etat de s’appuyer sur ses propres créances pour obtenir des liquidités, existait déjà dans les statuts adoptés en 1936 par la Banque de France, avec une formulation plus alambiquée : « Tous les effets de la dette flottante émis par le Trésor public et venant à échéance dans un délai de trois mois au maximum, sont admis sans limitation au réescompte, sauf au profit du Trésor public. » L’article 25 ne fait que reclarifier ce principe.
Giscard et Pompidou n’étaient pas à la manœuvre
De plus, comme l’explique l’économiste Guillaume Nicoulaud, sur le site Contrepoints, cette précision ne figurait pas dans le projet de loi initial. Il a été introduit par un amendement au Sénat, que le gouvernement s’est contenté d’accepter. A aucun moment on ne peut donc affirmer que l’article 25 serait une initiative émanant du président Georges Pompidou ou de son ministre de l’économie, Valéry Giscard d’Estaing.
Pas d’interdiction de financer l’Etat
Non seulement la loi de 1973 ne crée pas de nouveau mécanisme empêchant la Banque de France de financer l’Etat, mais il réaffirme cette possibilité dans son article 19, qui permet en plus au Parlement d’approuver « les conditions dans lesquelles l’Etat peut obtenir des avances et des prêts ».
A la suite de cette loi, une convention a été passée permettant à la Banque de France de verser 10,5 milliards de francs à l’Etat gratuitement, et dix autres milliards à faible taux. Cette pratique a perduré, puisque ce « concours non rémunéré » s’élevait à 40,3 milliards de francs en 1992, selon le bilan annuel de l’institution.
Pour ses détracteurs, la loi de 1973 serait à l’origine de la dette française, puisqu’elle aurait obligé l’Etat à se financer sur les marchés, donc à payer des taux d’intérêt qui alourdissent toujours davantage la facture. En réalité, l’Etat se finançait auprès des banques bien avant 1973, et a bien sûr continué par la suite.
Un article abrogé en 1994
Quant aux demandes répétées d’« abroger la loi Pompidou-Rothschild », elles ne sont pas non plus fondées, puisque l’article 25 a déjà été abrogé le 1er janvier 1994. En effet, il était en contradiction avec le traité de Maastricht, qui interdit aux banques centrales de créer de la monnaie en accordant des crédits aux Etats membres de l’Union européenne pour éviter tout risque d’inflation.
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/ar ... 55770.html