Nicolas Sarkozy, un parrain bien-aimé
Sa tactique ? A chaque attaque, il s’emploie à restaurer sa réputation et la confiance qu’il doit inspirer à ses soutiens.
Un chef de clan n’est rien sans ses vassaux, tance Pierre Lascoumes, directeur au Centre d’études européennes.
S’il est une qualité qu’il faut reconnaître à Nicolas Sarkozy, c’est bien celle d’avoir su choisir son entourage. Durant toute sa carrière, les fusibles, les seconds couteaux et les porte-flingues n’ont pas manqué et, surtout, ne lui ont jamais manqué.
Sa carrière leur doit beaucoup.
C’est pourquoi sa condamnation récente pour «association de malfaiteurs» (dont il a annoncé vouloir interjeter appel) me semble tout à fait justifiée. S’agissant de délinquance politico-financière, le recours à cette qualification utilisée pour le grand banditisme et le terrorisme est tout à fait adéquat.
Humiliante, certes, mais rendant bien compte des pratiques illicites concernées.
Messieurs Guéant et Hortefeux viennent d’être reconnus comme les principaux opérateurs des relations vénéneuses entretenues entre les autorités françaises et libyennes.
Ils n’ont reculé devant rien pour servir le dessein de leur maître, sans négliger leurs propres intérêts.
Confrontés à l’opiniâtreté des policiers enquêteurs, des juges d’instruction et du tribunal, ils n’ont jamais dévié de leur ligne : tout ce qui a été accompli, l’a été à leur seule initiative. Nicolas Sarkozy n’a, en rien, téléguidé leurs manœuvres dolosives.
Celui-ci a beau jeu de clamer qu’il est condamné pour des agissements qu’il n’a jamais initiés ni approuvés.
Le parallèle avec le dossier Bygmalion s’impose. Le dépassement des frais de la campagne présidentielle de 2012 valut la première condamnation à Nicolas Sarkozy à une peine d’emprisonnement ferme (décision non définitive puisqu’un pourvoi en cassation a été formé). Dans ce dossier, l’enquête et les audiences ont démontré qu’en théorie personne n’a jamais eu le courage ou l’audace d’indiquer au candidat que le plafond des dépenses autorisées était explosé. Sans broncher, l’entourage a assumé la vertigineuse ascension des dépenses, puis des manipulations comptables exigées par la production de comptes présentables.
Nicolas Sarkozy a prétendu avoir ignoré tout cela et avoir signé les comptes en toute innocence.
On pourrait aussi remonter au dossier Bettencourt qui a tant torturé Nicolas Sarkozy à une époque (avant qu’il ne soit blanchi). Là, également, aucun témoignage direct n’est jamais venu étayer le soupçon de versement de fonds en espèces en sa faveur. Il s’agit chez Nicolas Sarkozy d’un comportement constant qui cherche à le dédouaner de toute responsabilité.
Seuls les magistrats, toujours suspicieux, n’ont jamais cru à ces fictions.
Une emprise séductrice
Dans tous ces cas, il faut dire «Bravo l’artiste». Son emprise séductrice s’est étendue à une partie non négligeable de l’appareil administratif et politique dont la soumission a connu peu d’exceptions. Mais il est utile d’aller plus loin et d’identifier les techniques de manipulation qu’il maîtrise à la perfection. On dit souvent qu’il était «une bête de communication». A chaque fois, dès la sortie du tribunal, il s’empare de la scène médiatique où il rencontre peu de contradicteurs. Il y déploie sans encombre sa rhétorique de justification. Etymologiquement, ce terme signifie ce qui permet au pêcheur de retourner en grâce. A toute force, Nicolas Sarkozy s’attache à rétablir «le juste» tel qu’il le conçoit. A chaque attaque, il s’emploie à restaurer sa réputation et la confiance qu’il doit inspirer à ses soutiens.
Un chef de clan n’est rien sans ses vassaux.
Ecoutez-le dans les jours qui viennent, vous verrez un «parrain à l’œuvre».
La technique de base de Nicolas Sarkozy est le déni. Il feint de ne pas comprendre ce qui lui est reproché et considère que toute accusation, aussi étayée soit-elle, est dépourvue de fondement. Il passe, sans vergogne, de la naïveté à l’honneur outragé. Il ne voit jamais ce qui lui est reproché.
Deuxième tactique, il manie avec habileté l’art de la controverse, de la remise en question de la façon dont sa situation est abordée. Personne ne comprend ses agissements, et il fait tout pour brouiller les pistes. Il conteste les catégories traditionnelles dans lesquelles un problème est pensé. Il discute sans fin les distinctions du licite et de l’illicite, de l’intérêt individuel et du bien commun, cela afin d’étendre la zone grise où les repères normatifs se dissolvent.
Troisième tactique la déresponsabilisation, «ce n’est pas moi, c’est l’autre».
Pas plus qu’il ne s’est soucié de contrôler le financement de sa campagne de 2007, il ne s’est soucié de l’état des comptes de sa campagne de 2012. Plus ou moins explicitement, il met alors en cause son entourage, ses inféodés qui ont agi sans en référer à lui. Enfin,
la quatrième tactique est le retournement de l’accusation. Les médias et la justice sont ses cibles constantes. Mais aussi les rivaux politiques ne sont pas épargnés. Il se présente en victime et crie haut et fort son indignation.
A l’annonce du dernier jugement il explose : «
La haine n’a pas de limite. Cette injustice est un scandale.»
Comme ses maîtres Bernard Tapie et Jacques Chirac, il assume ses turpitudes sous le regard fasciné de beaucoup de Français.
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