#MeToo Police : des femmes dans les équipes de nuit pour empêcher les viols, une goutte d’eau dans un océan d’impunité
Alors que l’affaire des viols au dépôt de Bobigny suscite un tollé général, les autorités ont annoncé la présence d’une policière dans les effectifs de nuit. Une mesure destinée à pallier l’absence de mesures sur les questions des violences sexuelles commises par des policiers.
Alors que l’affaire des viols au dépôt du tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis) prend de l’ampleur, les autorités annoncent qu’une policière sera systématiquement présente dans l’équipe de nuit chargée de la surveillance.
Rappel des faits :
le 29 octobre, une jeune femme de 26 ans avait révélé directement auprès d’un magistrat du parquet avoir été violée à deux reprises la nuit précédente par deux policiers, déclenchant immédiatement une enquête.
Depuis, les deux policiers ont été mis en examen à Paris et écroués le 1er novembre pour viols et agressions sexuelles par personne abusant de l’autorité conférée par leurs fonctions.
Depuis, les réactions sont nombreuses. Le ministre de l’Intérieur, Laurent Nuñez, a évoqué des «agissements extraordinairement graves et inacceptables» s’ils étaient avérés.
Face au tollé général que suscite cette affaire, qui s’est déroulée dans un lieu dénoncé à de multiples reprises pour sa vétusté et ses graves dysfonctionnements et où un homme est mort en décembre 2024, le barreau de Seine-Saint-Denis a annoncé mardi la suspension immédiate de la participation de ses plus de 650 avocats aux permanences pénales. En réponse, des mesures ont été annoncées. «
Le directeur territorial de la sécurité publique s’est engagé à ce qu’il y ait systématiquement toujours une femme dans l’effectif de nuit» a promis vendredi le procureur de Bobigny, Eric Mathais, auprès de l’AFP.
Un goût amer
Sur le papier, l’intention est louable. Toute mesure destinée à lutter contre les violences faites aux femmes, à organiser leur protection, l’est par principe. Mais on s’interroge. On en a le droit. Il y a comme un goût amer dans cette histoire.
Quel message fait-on passer lorsqu’on convoque une femme afin de chaperonner une équipe d’hommes afin d’éviter qu’ils ne violent d’autres femmes ?
C’est d’abord lui déposer une lourde charge sur les épaules : celle d’être en quelque sorte garante de la sécurité d’autres femmes – une caution entièrement féminine, alors que la responsabilité de tout cela repose avant tout sur les hommes auteurs de violences. Ensuite, est-il vraiment acquis qu’une femme serait en mesure d’empêcher tout un groupe d’homme de commettre un crime sexuel ?
Enfin, adjoindre des femmes au sein des effectifs de nuit au dépôt du tribunal de Bobigny, d’accord. Et ailleurs ? En septembre, une touriste britannique a déposé plainte au commissariat de La Ciotat (Bouches-du-Rhône). Elle a indiqué avoir été «transportée dans un véhicule de police au commissariat de La Ciotat pour ivresse publique et manifeste», menottée sur la banquette arrière et encadrée par deux policiers, quand l’un d’eux l’aurait «embrassée sur le visage et pénétrée digitalement». Il a été mis en examen et placé en détention provisoire pour viol et agression sexuelle. Ces faits ne se sont pas déroulés au dépôt, donc. Surprise : les violences sexuelles ont lieu partout. Faudrait-il une femme dans chaque patrouille ?
Indispensable question de la formation
Il est vrai que plus on tend vers la mixité dans une corporation, plus les violences sexistes et sexuelles tendent à baisser. «Certains environnements, organisations de travail, certains postes de travail et certaines activités exposent au risque de VSS», pointait un rapport de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, remis au gouvernement en novembre 2024. Parmi eux, donc, «les faibles degrés de mixité». Mais on ne résout pas l’indispensable question de la féminisation des personnels des forces de l’ordre (aujourd’hui, 29 % de femmes dans la police nationale, avec des disparités selon les services) en saupoudrant une personne, au sein d’une équipe, à un moment précis de la journée, dans un endroit particulier.
C’est également oublier qu’en la matière, la question de la formation est indispensable : il existe encore des manques importants, d’abord dans la prise en charge des victimes de violences sexuelles, mais aussi dans la sensibilisation des membres des forces de l’ordre à ces violences auxquelles ils sont confrontés dans l’exercice de leurs fonctions, mais dont ils sont aussi parfois les auteurs.
C’est tout l’objet de l’enquête #MeToo Police publiée par Libération en juin, récompensée cette semaine par le Grand Prix de la fondation Varenne. L’article déroulait une succession accablante de témoignages de femmes. Des violences qui font système, «continent caché au croisement des dominations masculine et policière», disait l’article, qui pointait «la culture d’une institution masculine à outrance». Il citait une étude américaine datant de 2022, où l’on lit que «la culture professionnelle, le sexisme et la hiérarchie organisationnelle majoritairement masculine de l’organisation policière favorisent la discrimination sexuelle, le harcèlement et la violence envers les femmes». Résultat, «ce travail offre des occasions faciles de commettre des crimes sexuels», notamment lors de contrôles routiers, ou auprès de publics fragiles, comme les enfants ou les travailleuses du sexe.
Tâche immense
Que faire ? Dans le sillage des révélations de Libération en juin, des parlementaires LFI ont proposé une résolution portant sur «les violences sexistes et sexuelles commises par les agents de la police et de la gendarmerie nationales dans le cadre professionnel et les mécanismes favorisant l’impunité des auteurs de ces violences». Résolution restée jusqu’ici lettre morte et en attente d’une relance – s’il fallait une preuve que le sujet est loin d’être consensuel chez nos politiques, derrière l’indignation de circonstance à chaque fait divers.
La tâche est immense et le travail commence à peine. Cette impunité, la journaliste Sophie Boutboul, autrice d’un livre-enquête sur les policiers auteurs de violences conjugales intitulé Silence, on cogne, écrit avec Alizé Bernard, en a dessiné les contours. Dans un entretien donné à Libération, elle disait «la peur exacerbée par une emprise rendue particulièrement étouffante de par la fonction de l’auteur, la détention d’une arme de service et la nature des menaces, toujours très semblables : “c’est moi, la loi” ; “ta plainte, elle reviendra sur mon bureau”, “je connais la procédure”, “je peux te mettre sur écoute”. En gros : “J’ai le pouvoir.”»
Comment croire que ce système-là sera mis à mal par une seule femme au sein d’une équipe de nuit ?
https://www.liberation.fr/societe/droit ... directed=1