http://www.lemonde.fr/afrique/article/2 ... _3212.htmlEgypte : le jour où Mohamed Morsi a été destitué
Klaxons, feux d'artifice, tambours, pétards, sifflets et cris de joie. La bande son de la deuxième révolution égyptienne, c'est tout ça à la fois. Une cacophonie hilare, une sarabande jubilatoire, qui ont commencé dès les premiers mots, à la télévision, du général Abdel Fattah Al-Sissi, le ministre de la défense. Quelques minutes plus tard, il mettait un point final à la présidence Morsi.
Mais Esra Ahmed, une comptable de 35 ans, n'a même pas attendu la fin de son discours pour filer sur le pont Kasr El-Nil, en direction de la place Tahrir, une main dans celle de son mari, l'autre dans celle de sa meilleure amie. "C'est un nouveau début, un recommencement, on va corriger tout ce qui a été raté après la chute de Moubarak, a-t-elle confié à l'envoyé spécial du Monde, Benjamin Barthe, en zigzagant entre les roulottes de patates douces et les vendeurs de fanions rouge-blanc-noir, aux couleurs de l'Egypte. Le peuple a repris le pouvoir. On va reconstruire le pays tous ensemble et on fera une place aux Frères musulmans, qui sont une composante de la société [...]. Ce que l'on a fait en trois jours, c'est un modèle pour le monde arabe et un modèle aussi pour l'Occident. La BBC n'a-t-elle pas dit qu'il s'agissait des plus grosses manifestations de l'histoire de l'humanité ?"
Depuis dimanche 30 juin, ils étaient des centaines de milliers à demander le départ du président Mohamed Morsi, un an après son arrivée au pouvoir. La journée de mercredi s'annonçait alors sous tension : l'ultimatum de quarante-huit heures qu'avait fixé l'armée à ce dernier pour "satisfaire les revendications du peuple", sous peine de se voir imposer une "feuille de route" expirait à 16 h 30.
Morsi destitué, la Constitution suspendue
A 19 heures, l'armée égyptienne a signifié au président islamiste qu'il n'était plus président. Vers 21 heures, dans une allocution télévisée, le chef d'état major Abdel Fattah Al-Sissi, béret vissé sur la tête, entouré des principaux chefs religieux du pays et du représentant de l'opposition Mohamed El-Baradei, annonçait que la Constitution était suspendue et que M. Morsi était remplacé par le président de la Haute Cour constitutionnelle, Adly Mansour. Ce dernier prêtera serment jeudi.
L'armée a évoqué peu après la tenue d'une élection présidentielle anticipée et la mise à l'écart de fait de Mohamed Morsi, une annonce accueillie par une explosion de joie par ses opposants qui manifestaient en masse à travers le pays. "Un comité chargé d'examiner les propositions d'amendements constitutionnels sera formé", a précisé le général. Un gouvernement regroupant "toutes les forces nationales" et "doté des pleins pouvoirs" sera chargé de "gérer la période actuelle". Ce plan a été discuté durant la journée entre l'armée, les responsables de l'opposition et les chefs religieux.
L'opposant et ex-candidat à la présidentielle Amr Moussa, à la tête du parti libéral du Congrès, a annoncé dans la nuit de mercredi à jeudi que "les consultations commencent maintenant pour un gouvernement et la réconciliation".
Morsi appelle à résister au "coup d'Etat" : "Je suis le président élu d'Egypte"
Après avoir rejeté l'ultimatum mardi et mis en avant la "légitimité" que lui conférait son élection démocratique, M. Morsi a jusqu'au dernier moment tenté de régler la crise mercredi en proposant "un gouvernement de coalition et de consensus afin d'organiser des législatives à venir". Mais comme depuis le début de la crise, le président avait encore un temps de retard sur les événements.
Réagissant à son éviction, Mohamed Morsi a appelé les Egyptiens à résister "pacifiquement" à ce qu'il a qualifié de "coup d'Etat", a déclaré un de ses proches collaborateurs sous couvert de l'anonymat. "Ce qu'ils ont fait est illégal, ils n'ont pas autorité pour le faire", a-t-il ajouté.
Dans un enregistrement vidéo diffusé en fin de soirée, il rappelait : "Je suis le président élu d'Egypte." Il a également "demandé au peuple de défendre [sa] légitimité" faisant planer le risque de la poursuite du bras de fer.
Interdiction de quitter le pays
En fin de journée mercredi, le président Mohamed Morsi et plusieurs dirigeants des Frères musulmans s'étaient vu signifier une interdiction de quitter l'Egypte, l'armée justifiant cette décision dans le cadre d'une enquête sur "l'affaire des évasions de la prison de Wadi Natroun en 2011", ont indiqué des sources de sécurité.
A la fin de janvier 2011, en plein soulèvement contre Hosni Moubarak, les gardiens des principales prisons du pays avaient pris la fuite en raison de mutineries, laissant les prisonniers s'échapper. C'est notamment comme cela que Khairat Al-Chater, le cerveau de la confrérie, qui dirigeait l'organisation de sa cellule, avait recouvré la liberté alors qu'il purgeait une peine de sept ans de réclusion, prononcée en 2008 par un tribunal militaire, pour blanchiment d'argent et financement des Frères musulmans, alors interdits.
L'armée se déploie
Des barrières ont été dressées et des fils de fer barbelés installés autour de la caserne où est censé se trouver le président Mohamed Morsi au Caire. Des blindés et des véhicules de transport de troupes ont par ailleurs été déployés autour du site où se tenait mercredi soir le principal rassemblement des partisans du chef de l'Etat pour les empêcher de marcher sur le palais présidentiel. Dans un communiqué, les militaires affirmaient ne pas avoir l'intention de s'en prendre aux manifestants et expliquaient que leur but est seulement de sécuriser la zone. "L'armée égyptienne appartient à tous les Egyptiens", indiquait le communiqué.
Un journaliste de Reuters a vu des soldats prendre position aux abords de la mosquée Babaa Adaoueya où plusieurs dizaines de milliers de militants des Frères musulmans se sont rassemblés pour demander le respect de l'ordre constitutionnel.
D'après les services de sécurité, quatre partisans de Mohamed Morsi ont été tués et dix autres personnes blessées dans des affrontements avec militaires et policiers dans la ville de Marsa Matrouh, sur la côte méditerranéenne, près de la frontière libyenne. Un autre homme a péri dans des affrontements similaires à Alexandrie, la deuxième ville du pays.
300 Frères musulmans visés par des mandats d'arrêt
Les forces de sécurité égyptiennes ont arrêté le chef du Parti justice et liberté (PJL), émanation politique de la confrérie islamiste, Saad El-Katatni, et un de ses adjoints. D'après le quotidien Al-Ahram, quelque 300 membres du mouvement dont est issu Mohamed Morsi sont également poursuivis. L'agence Mena, qui ne confirme pas ce chiffre, indique cependant que la police entend arrêter "un certain nombre de membres des Frères musulmans accusés d'incitation à la violence et de troubles à la sécurité et à la paix générales".
On jugera de la suite des événement et de la nature du prochain régime mais la destitution des Frères Musulmans et, en soi, une bonne chose.



