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« On modifie nos notes sans nous informer » : les correcteurs du bac furieux face à l’harmonisation
Le ministère reconnaît que les notes des épreuves de spécialité ont été « harmonisées » « par lots », sans demander l’avis des 64 000 correcteurs. Qui sont furieux.
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Pap Ndiaye a bien raison. Avec 709 000 candidats, 3,5 millions de copies à corriger et 64 050 enseignants correcteurs mobilisés cette année, l’organisation du baccalauréat est bel et bien "un défi". Mais aussi l’objet de toutes les suspicions. À commencer par celle, récurrente, de manipulation des notes.
Depuis quelques jours, les réseaux sociaux se font le relais de la colère des enseignants. "Comme d’autres je découvre que les notes que j’ai mises à mes copies de bac ont été modifiées. L’harmonisation, je peux comprendre. Mais par qui ? Selon quels critères ?", s’agace ainsi sur Twitter Thibault Leroy, un professeur d’histoire géographie.
« Quel mensonge »
"Ce bac 2022 est une vaste blague. On nous demande notre expertise professionnelle, et ensuite on modifie nos notes sans nous informer. Et ensuite en commission d’harmonisation, on nous demandera d’encore les augmenter. Des copies qui valent 6 finiront à 9 ou 10. Quel mensonge !" s’insurge cette autre enseignante.
L’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public (APPEP) fait le même constat : "Des correcteurs ont constaté que les moyennes de leur lot avaient été modifiées à la louche, sans qu’ils en soient avisés ni qu’ils sachent par qui, dans le cadre de réunions d’harmonisation restreintes et opaques."
Le logiciel Santorin en accusation
Pour comprendre d’où vient le problème, il faut avoir en tête que dorénavant, les bacs général et technologique se déroulent en deux temps : deux épreuves de spécialité en mars, la philo mi-juin, et le Grand oral fin juin. En raison de l’épidémie de Covid, les épreuves de spécialité ont été reportées à la mi-mai cette année. C’est leur correction qui pose aujourd’hui problème.
Depuis 2021, les copies manuscrites des élèves sont numérisées. Les correcteurs doivent se brancher sur une plateforme en ligne, baptisée Santorin pour y avoir accès et pouvoir les corriger (ils sont payés 5 € par copie). L’an passé, beaucoup s’étaient plaints de la fatigue oculaire et des difficultés pour classer les copies afin de les comparer et d’ajuster les notes.
Cette année, les accusations sont plus graves. "Le logiciel permet de modifier la moyenne globale des lots jugés discordants, selon des critères purement statistiques, sans le consentement du correcteur et au mépris de son travail »,"s’agace l’APPEP.
Pas de « traitement aveugle », pour le ministère
Le ministère se défend de tout tripatouillage. L’harmonisation des notes est une pratique habituelle. Elle vise à corriger ce qu’on appelle les biais docimologiques, c’est-à-dire les préjugés du professeur liés à l’humeur, à sa fatigue ou à sa concentration. «"C’est une commission qui a procédé à ces harmonisations par lots. On n’a pas changé le processus. La dématérialisation permet d’harmoniser globalement un lot de copies et des correcteurs peuvent avoir l’impression qu’il y a eu un traitement aveugle alors qu’avant on procédait copie par copie »,"a indiqué lundi Édouard Geffray, le directeur général de l’enseignement scolaire, bras droit du ministre.
L’APPEP dénonce une "harmonisation autoritaire et artificielle »."Jusqu’à présent, celle-ci se faisait "de façon collégiale". "En comparant ses copies avec celles des autres correcteurs, chacun peut apprécier s’il a été trop sévère ou trop généreux, et ajuster ses notes en conséquence. Le correcteur doit rester juge et responsable de sa notation". Le redressement des notes « par lots » est tout autre. "Si cette pratique se généralisait, elle porterait un sérieux préjudice à la sincérité de la correction des épreuves du baccalauréat, et à la confiance que les candidats et leurs familles doivent avoir à l’égard de l’institution scolaire », juge l’association des profs de philo."
Le Snes, principal syndicat du secondaire, est au diapason : "Par un simple clic, des inspecteurs défont le long travail de correction des professeurs qui s’appuient sur une pratique et une expertise indiscutable : la correction est un acte pédagogique, qui demande du temps, des allers-retours entre les copies pour évaluer le plus finement la production de l’élève."
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