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Quel bilan final pour UNE voiture ?
A ce stade de la comparaison voiture « ordinaire » et voiture électrique, nous pouvons déjà dire que l’avantage « évident » à l’électricité ne coule pas de source. Pour pouvoir faire une comparaison stricte, il faut en tout état de cause :
tenir compte des émissions de fabrication (et éventuellement de démantèlement) dans les deux cas de figure,
raisonner avec des véhicules de poids et performances égales (ce qui en pratique sera souvent difficile), car souvent on compare des véhicules électriques qui sont des petits modèles avec des véhicules à essence qui sont en moyenne plus lourds et plus puissants,
ne pas comparer des données « sur le papier » pour des véhicules non encore utilisés en série avec des données « en utilisation réelle » pour les véhicules à essence, car chacun sait que les « données constructeur » en ce qui concerne la consommation et les émissions de CO2 sont sous-évaluées de 30 à 50% par rapport à la réalité (à tel point que les chiffres des constructeurs sur les émissions de CO2 devraient être considérés comme de la publicité mensongère !),
ne pas oublier de tenir compte des consommations des accessoires (chauffage du véhicule, effectué avec de la chaleur fatale du moteur pour les véhicules à essence, mais qui devra provenir soit de la batterie, soit d’un petit système de chauffage…. à pétrole dans le cas des véhicules électriques ; désembuage des vitres, éclairage de la route, sans oublier les mille et un petits moteurs électriques accessoires qui actionnent les lève-vitre, essuie-glaces, réglage des rétroviseurs, et j’en passe),
et évidemment regarder comment évolue le bilan en fonction de la manière dont l’électricité est produite.
Quel bilan final pour PLEIN de voitures ?
Dans le passage du véhicule à pétrole qui pue et qui pollue au véhicule électrique qui est l’ami des papillons, reste à voir un dernier point de détail : quelle capacité additionnelle de production électrique il faudrait fournir pour électrifier le parc actuel de véhicules terrestres qui ne le sont pas déjà (ceux qui le sont déjà sont les trains, les trams et les trolleys, pour l’essentiel). Pour cela nous allons faire un petit calcul pour la France :
La consommation actuelle des transports était d’un peu moins de 45 millions de tonnes de produits pétroliers – soit environ 500 TWh – en 2019 (1 Twh = 1 milliard de kWh).
Dans cet ensemble, les transports terrestres consomment environ 40 Mtep, soit environ 460 TWh. Dans cet ensemble, les véhicules particuliers représentent une grosse moitié (les utilitaires et les camions l’autre moitié).
Un moteur thermique de voiture a un rendement de l’ordre de 20% en moyenne sur carburant consommé (c’est plutôt 40% pour les poids lourds), ce qui signifie que l’énergie mécanique qui sort du moteur est égale à 20% de l’énergie libérée par la combustion du carburant, le reste partant sous forme de chaleur. Le moteur électrique, lui a un rendement de 80% sur électricité utilisée (c’est la même signification), mais…
Le stockage fait perdre 20% environ de l’électricité produite, alors que le stockage de l’essence consomme zéro en première approximation,
les pertes de distribution de l’électricité sont de 8% (de la centrale à la prise basse tension) pour l’électricité, mais plutôt de l’ordre de 2% à 3% pour les carburants,
et pour un véhicule électrique il faut utiliser la batterie pour alimenter les auxiliaires (chauffage en hiver, phares, essuie-glace et désembuage, etc) alors que pour un moteur thermique c’est donné presque gratuitement (notamment le chauffage, qui sur un véhicule électrique en hiver peut quasiment doubler la consommation),
bref le rendement de la chaîne électrique est de 0,8 (rendement du moteur) * 0,8 (rendement du stockage) * 0,92 (rendement de la distribution) * 0,8 (utilisation des auxiliaires) ≈ 50% au total, contre 0,2 (rendement du moteur) * 1 (rendement du stockage) * 0,98 (rendement rendement de la distribution) = 0,2 pour le moteur thermique en première approximation.
la chaîne électrique est donc 2,5 fois plus efficace que la chaîne « carburants », et il faudrait donc un peu moins de 200 TWh électriques pour électrifier la totalité des véhicules routiers actuels à performances identiques (mêmes masses, mêmes puissances, mêmes distances parcourues). C’est en gros la moitié de la consommation électrique française (qui est de 450 TWh environ).
Si on entend produire cette électricité avec du nucléaire, il faut – sans tenir compte de l’optimisation possible des réacteurs existants, notamment avec la charge de nuit, dont je ne sais pas ce que cela peut représenter – rajouter environ 18 EPR (sur la base de 80% de facteur de charge annuel, et 1,6 GW de puissance installée par EPR), pour un coût d’investissement de 150 à 200 milliards d’euros et une durée de vie d’environ 60 ans. A cela il faut ajouter le « renforcement du réseau », parce que passer de 550 TWh (production 2019) transportés à 750 TWh ne se fait pas à réseau constant. Pour donner des bases de comparaison, le PIB français est de l’ordre de 2400 milliards d’euros en 2019, et, sur la base de 80 dollars le baril et 1,15 dollar par euro, l’importation de pétrole pour les carburants routiers nous a coûté environ 20 milliards d’euros en 2019,
Si on entend produire cette électricité avec des éoliennes, il faut installer environ 100 GW de puissance (sur la base de 2000 heures annuelles de production à pleine puissance par an, soit un facteur de charge moyen de 23%), pour un coût d’environ 150 milliards d’euros (en 2019) à terre, et une durée de vie de 20 à 30 ans. A cela il faut aussi ajouter le « renforcement du réseau », et des capacités de stockage inter-saisonnier car l’éolien produit plus en hiver qu’en été. En pratique il faut augmenter ce coût d’un facteur 3 pour la partie de l’électricité qui a besoin d’être stockée ailleurs que dans les batteries des voitures. Par exemple, installer un kW de station de pompage, une espèce de double barrage qui sert de système de stockage, coûte 5000 ou 6000 euros par kW installé en France, soit bien plus que l’éolienne elle-même.
Si on entend produire cette électricité avec des panneaux solaires photovoltaïques, il faut installer environ 200 GW de puissance (sur la base de 1000 heures annuelles de production à pleine puissance par an), pour un coût d’environ 200 milliards d’euros (en 2019), et une durée de vie de 20 à 30 ans. A cela il faut aussi ajouter le « renforcement du réseau » et des capacités de stockage intermédiaire, comme ci-dessus.
Si on entend produire cette électricité avec des centrales à gaz, sachant que le rendement de ces installations est de l’ordre de 50%, alors il faut importer 400 TWh de gaz pour ces centrales, soit juste 20% de moins… que le pétrole économisé !! (et un coût d’importation de l’ordre de la moitié du coût du pétrole importé). Ces centrales émettront du CO2, certes moins qu’avec du pétrole, mais la décote ne sera « que » de 40%, ce qui ne sera pas suffisant pour diviser les émissions par 4 à 5. Par ailleurs il faudrait installer 25 GW de centrales à gaz (sur la base de 8000 heures de production par an), pour un coût d’environ 15 milliards d’euros (et une durée de vie de 40 ans).
Rappelons que le gaz européen vient à 50% de la Mer du Nord, qui a passé son pic de production, et à 30% de Russie, qui ne devrait pas beaucoup augmenter ses exportations vers l’Europe (les « réserves de croissance » en Russie sont situées en Sibérie orientale, et elles iront probablement… aux Chinois).
Si on entend produire cette électricité avec des centrales à charbon, sachant que le rendement de ces installations est de l’ordre de 40%, alors il faudrait importer 500 TWh de charbon – environ 60 millions de tonnes de charbon – par an pour ces centrales, et un coût d’importation de l’ordre de 6 milliards d’euros par an. Il faudrait alors installer 25 GW de centrales à charbon (sur la base de 8000 heures de production par an), pour un coût d’environ 40 milliards d’euros (et une durée de vie de 40 ans). Et en pareil cas les émissions de CO2 dues à la mobilité augmenteraient de 50% !
Il reste un dernier détail à régler avec une flotte de véhicules 100% électriques : l’appel de puissance quand on recharge. Si le parc de voitures en France (environ 30 millions) devient 100% électrique, avec une batterie de 40 kWh par voiture (de quoi faire 300 km en gros), et que tout le monde se branche le soir en recharge rapide pour recharger son véhicule, en appelant donc 40 kW à ce moment là, on aurait besoin d’une puissance de… 1200 GW, soit 12 fois ce que fournissent les centrales pilotables en France actuellement.