"Ça a été d'une grande violence" : Les Républicains actent dans la douleur et la division leur non-participation au gouvernement de Sébastien Lecornu
" Le parti de Bruno Retailleau s'est déchiré samedi entre partisans et opposants d'un maintien de la droite au gouvernement. Dans le premier camp, les députés. Dans le second, les sénateurs."
Il est un peu moins de 14 heures, samedi 11 octobre, lorsque le communiqué tombe, lapidaire. "La confiance et les conditions ne sont pas réunies pour que Les Républicains participent au gouvernement", acte le bureau politique du parti de droite. Embarqués dans la coalition gouvernementale avec le camp d'Emmanuel Macron depuis le bref passage de Michel Barnier à Matignon, les caciques de LR font donc marche arrière et tournent le dos au socle commun, au lendemain de la reconduction de Sébastien Lecornu comme Premier ministre. Place désormais à un "soutien texte par texte".
L'ancien parti de Nicolas Sarkozy a accouché dans la douleur de cette position qui a cependant été "adoptée à une large majorité" des membres de son instance de direction collégiale, après plus de deux heures de discussions. "La situation n'est pas simple", a tenté de résumer devant les caméras à la sortie de la réunion le secrétaire général des LR, Othman Nasrou. "
Nous sommes à la fois pris face au défi de la stabilité et l'envie que le pays ait un budget. (…) Mais nous voyons néanmoins une direction sur laquelle nous pouvons nous interroger : la suspension de la réforme des retraites et d'autres demandes qui nous paraissent totalement dangereuses pour le pays et qui sont portées par le Parti socialiste", a poursuivi ce très proche de Bruno Retailleau.
"Impossible de le suivre"
Après un an de présence gouvernementale, le médiatique ministre de l'Intérieur démissionnaire a tenté toute la semaine d'embarquer ses troupes vers cette non-participation au gouvernement. "La composition du gouvernement ne reflète pas la rupture promise", avait écrit Bruno Retailleau dans un message cinglant publié sur X(Nouvelle fenêtre), le 5 octobre. Sa petite phrase a entraîné la chute du premier gouvernement de Sébastien Lecornu. Lors de la réunion des chefs de parti, vendredi à l'Elysée, l'ancien patron des sénateurs LR a affirmé devant Emmanuel Macron que l'expression du socle commun était désormais morte, selon son entourage à franceinfo. Il a aussi assuré au président qu'un retour autour de la table de LR passait par la négociation d'une nouvelle base programmatique.
Mais le patron de la droite tient-il seulement ses troupes ? Quelques minutes après l'annonce de la reconduction de Sébastien Lecornu à Matignon, vendredi soir, certains députés ont publiquement affiché leur soutien au Premier ministre. "En renommant Sébastien Lecornu, le président de la République donne une chance à la stabilité, a écrit sur X(Nouvelle fenêtre) le député LR Vincent Jeanbrun. Le Premier ministre doit maintenant bâtir un compromis pour doter la France d'un budget. C'est notre première urgence. Elle est vitale. Tous les parlementaires doivent être à la hauteur." Ce n'est sans doute pas un hasard si samedi matin, Sébastien Lecornu a effectué son premier déplacement depuis sa reconduction à L'Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne), ville dont Vincent Jeanbrun a longtemps été maire.
Une scission s'est même nettement dégagée lors de la réunion en visioconférence des parlementaires LR, samedi matin : les députés "plutôt pour" une participation au gouvernement contre les sénateurs "plutôt contre" cet engagement, selon des sources concordantes à franceinfo. "Oui, je suis favorable à une participation au gouvernement", a ainsi assuré un député pendant le bureau politique.
"Il faut une participation au gouvernement avec une mise en veille sur la réforme des retraites, a appuyé un autre député de droite. Bruno Retailleau joue un va-tout politique qui risque d'être fatal aux LR. Impossible de le suivre."
"La feuille de route est floue"
"Il y a une volonté de Laurent Wauquiez de prendre l'avantage", décrypte le constitutionnaliste Benjamin Morel, à propos du patron des députés LR, qui a perdu la bataille du parti face à Bruno Retailleau, soutenu par Gérard Larcher, le patron LR du Sénat. "Le Sénat préfère une dissolution de l'Assemblée nationale maintenant, car ça heurterait moins les élections municipales et par ricochet les sénatoriales. Les députés LR, eux, en ont très peur. Laurent Wauquiez fait l'unité du groupe là-dessus autour de lui", poursuit le politologue.
"Mais une dissolution ajoutera du chaos au chaos, et l'absence d'un budget ou l'adoption d'un budget contraint nous emmènera à une prise en main du FMI, sans compter que l'arrivée du RN finira d'engloutir les LR", met en garde un député.
Du côté des sénateurs LR, on met au contraire en balance la question des convictions et des positions de LR, qui l'emporteraient sur tout le reste.
"La feuille de route est floue pour le moment. On a un gouvernement qui annonce entrer en discussion sur la réforme des retraites, livre un sénateur. Si nous faisons cela, nous provoquons une augmentation de la dépense publique. Or, nous voulons une diminution." Même position de la puissante patronne LR de la région Ile-de-France. "Suspendre la réforme des retraites, qui est la seule réforme courageuse de ce mandat, serait d'une immense gravité pour la France", a prévenu Valérie Pécresse lors du bureau politique, selon un participant.
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"Un pugilat" et un moment "d'une grande tension"
Mais le vote du bureau politique ne s'est pas passé sans éclats et certains députés ont claqué la porte, furieux des conditions dans lesquelles l'événement a été organisé. Une députée évoque ainsi "un pugilat" et un moment "d'une grande tension". "Ça a été d'une grande violence", confirme un député LR, dénonçant un vote "monté de toutes pièces", "jamais vu", "même au temps du RPR". "Les députés ne vont pas se laisser dicter leur conduite par des députés européens et des conseillers régionaux", poursuit le même. "Je suis inquiet pour la suite, embraye un autre. Les députés ne seront pas la serpillière des sénateurs."
Tous les élus de l'Assemblée ne sont toutefois pas d'accord entre eux. "Citez-moi une personne chez nous, hors ministres sortants, qui en a quelque chose à faire des postes au gouvernement, s'agace l'un d'eux. On s'en fout réellement qu'il y ait des ministres LR. Tout ce qui compte, c'est notre position sur la censure, et ce que nous parvenons à imprimer ou pas sur le fond".
Les Républicains, qui avaient retrouvé une place de parti de gouvernement depuis un an, affichent de nouveau au grand jour leurs divisions.
Du côté des sénateurs, certains s'attendent même à avoir quelques surprises au moment de l'annonce de la composition de l'équipe gouvernementale de Sébastien Lecornu. "On n'est pas à l'abri que certains y aillent", glisse un élu."
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